ANALYSES

Grèce : routine et tradition terroristes

Tribune
8 novembre 2010
En juin dernier, cependant, un colis piégé visant le ministre de l’Intérieur grec a manqué ce dernier de peu, tuant son chef de la sécurité. Les alertes à la bombe sont par ailleurs courantes à Athènes. L’organisation ‘Lutte révolutionnaire’ les a multipliés pendant l’été 2009. Il existeen effet en Grèce ce qu’un article du Monde avait baptisé ‘Une routine terroriste’, mal connue du reste de l’Europe.
Depuis la mort du jeune Grigoroupoulos abattu d’une balle par un policier, le 6 décembre 2008, le pays connaît une série d’émeutes, bien évidemment relancées par le plan d’austérité qui a été imposé au pays. On peut y trouver des causes objectives – comportement de la police grecque, scandales atteignant la classe politique, système éducatif public inefficace, situation économique des jeunes diplômés, existence d’une multitude de squats plus ou moins anarchistes – à la montée en puissance et la violence d’une extrême-gauche dite groupusculaire et anarcho-autonome. Tout ceci contient une large part de vérité.
Pourtant, il existe une spécificité historique nationale en la matière. Dans une relative indifférence de ses voisins, la Grèce possède une tradition terroriste. Mitraillage, bombes et tirs de roquette, menaces contre journalistes et politiciens ne sont pas rares depuis trente-cinq ans dans un pays que la plupart considère comme une destination de vacances de tout repos.
Le mouvement le plus connu, ’17 novembre’, créé en 1975 (en allusion à la manifestation du 17 novembre 1973 contre les colonels alors au pouvoir en Grèce.), a ‘tenu’ jusqu’en 2002, il est vrai très mollement poursuivi par la police. Elle frappait des cibles étrangères (américaines, britanniques) ou des politiciens grecs. En 2002, un de ses membres a fait exploser par accident la bombe qu’il transportait ce qui a mené à l’arrestation d’autres participants. Or ’17 Novembre’ a tué vingt-trois personnes, presque une par an durant un quart de siècle sans subir aucune arrestation. Cette organisation présentait une particularité unique dans l’histoire de l’Euroterrorisme et des années de plomb : le fondateur de l’organisation, Alexandre Giotopoulos, lui-même fils d’un secrétaire de Trotsky, ne faisait pas mystère de ses sympathies pour le ‘prophète armé’.

Parallèlement, le groupe ELA (Ellinikos Laikos Agonas – Combat populaire grec) a subsisté de 1974 à son auto-dissolution théorique en 1995 ; il a à son actif 250 attentats contre des cibles américaines ou policières et des bâtiments officiels. Les Noyaux Révolutionnaires semblent en avoir repris la suite en 1995, se spécialisant surtout dans les actions anti-impérialistes contre des cibles étrangères.

Plus récemment (de 2003 à 2009), l’organisation hellénique « Lutte Révolutionnaire » (Epanastatikós Agónas) a pris le relais avec des tentatives d’assassinat, des tirs (dont une roquette) contre des bâtiments officiels, quelques bombes, etc. Une toute récente dissidente « Secte Révolutionnaire » (Sekta Epanastaton), qui se réclame de l’exemple de la Rote Armee Fraktion (Baader et Meinhof), pourrait constituer un troisième étage de la fusée : elle mitraille des bâtiments officiels ou des médias, lance des grenades et tue même un policier anti-terroriste et un journaliste d’investigation.
Parallèlement à ces organisations que nous n’osons qualifier de ‘majeures’ ou ‘structurées’, mais qui ressemblent quand même à ce que l’on avait pu connaître pendant les ‘années de plomb’, se développe une poussière de groupes aux noms surprenants et à l’activité sporadique. Outre la Conspiration des Cellules de Feu, Fraction des Nihilistes, Unité pour la Dégradation, Cellules hors-la-loi ou Ombres Enragées apparaissent.
Tout ceci n’est pas sans rappeler l’Italie d’après les grandes émeutes de 1977 où cohabitaient des organisations ‘historiques’ comme les Brigades Rouges ou Prima Linea et une poussière de groupes, souvent éphémères, mais produisant bon nombre d’attentats et dont les motivations idéologiques étaient plus proches de l’autonomie (rappelons que les Brigades Rouges se voulaient marxistes-léninistes orthodoxes).

La Grèce « rejouerait-elle » les années 70 ? Si l’histoire devait se répéter, en l’occurrence, ce ne serait certainement pas sous forme de comédie.
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