ANALYSES

Le premier tour tant attendu des élections présidentielles en Côte d’Ivoire

Tribune
5 novembre 2010
Beaucoup avaient fini par ne plus croire en ces élections qui ont été six fois reportées depuis 5 ans. Les contestations portaient notamment sur les listes électorales et le désarmement. La commission électorale a été composée davantage avec un dosage politique qu’avec des juges indépendants.
Les déterminants du vote ont été ethno-régionalistes, du fait de l’instrumentalisation de l’ethnicité depuis 10 ans, notamment par le concept d’ivoirité. Ils ont été nationalistes, vue la posture indépendantiste et souvent anti-française de Laurent Gbagbo qui pouvait engranger des voix en présentant ses adversaires comme les candidats de l’étranger. Ils ont été démographiques et sociaux (la jeunesse privée d’emplois représente la moitié des électeurs ; Abidjan regroupe 1/3 des électeurs.). Ils renvoient aux grands partis. C’est le PDCI de Konan Bédié qui est finalement le grand perdant du premier tour.

14 candidats étaient en lisse dont trois ténors. Laurent Gbagbo qui a pris pour slogan « la paix est gagnée, maintenant le développement » ; il est d’une ethnie minoritaire, les Bétés, mais a les rênes du pouvoir, il est un fin tacticien et peut s’appuyer sur les jeunes patriotes tout en ayant un soutien populaire. Son discours nationaliste et populiste vante une seconde décolonisation et indépendance.
Henri Konan Bédié, successeur d’Houphouët Boigny (le vieux) avait le soutien des Akans (1/3 des Ivoiriens) et du PDCI, ancien parti unique à l’époque du « vieux ». Il avait pris pour slogan « notre expérience au service de l’avenir ».
Alassane Ouattara du RDR se présentait pour la première fois, après avoir été victime du poison de l’ivoirité développé par Konan Bédié et repris par Laurent Gbagbo. Il a l’appui d’une partie du Nord dont il est originaire et la stature d’un ancien premier ministre d’Houphouët Boigny et d’un ancien directeur adjoint du FMI. Il pourrait avoir la plus grande légitimité auprès de la communauté financière internationale pour redresser l’économie et les finances du pays, et vante sa capacité de gestionnaire permettant de retrouver l’emploi.
Les résultats du premier tour ont été connus mercredi 3 novembre. Les trois protagonistes ont adopté, lors de ce premier tour, une attitude favorisant un processus de paix.

La France a été très discrète dans ce jeu politique ivoirien, gardant en mémoire l’échec des accords de Marcoussis. La communauté internationale est fatiguée par la situation ivoirienne très coûteuse, et a le sentiment de ne pas progresser malgré les quelques 9500 casques bleus assurant la sécurité, en sus de la « Force Licorne » constituée de 900 soldats français.

Qu’en sera-t-il des résultats du second tour ?
L’accord entre Ouattara et Konan Bédié devrait permettre un report des voix de la majorité des votants du PDCI vers Alassane Ouattara qui arithmétiquement devrait gagner. Mais rien n’est joué. Les résultats des urnes du second tour seront-ils acceptés dans un pays où le désarmement n’a été que partiellement réalisé, où les frustrations sont grandes et où la commission électorale a été contestée et est minée par des rivalités internes ? Laurent Gbagbo n’a accepté que ces élections aient lieu que parce qu’il savait qu’il allait les gagner. Les patriotes, soutiens populaires de Gbagbo, accepteront-ils le résultat au cas où celui-ci serait battu ? Les partisans de Ouattara, exclus du jeu durant près de 10 ans, s’inclineront ils dans le cas d’un vote négatif avec toutes les suspicions sur la transparence et la légitimité du vote ? Et qu’en sera-t-il de la position de l’actuel premier ministre, Guillaume Soro, homme fort du Nord ?

En espérant que des troubles n’aient pas lieu et que le vote des urnes l’emporte sur le poids des armes, il reste à reconstruire un pays qui est en grave crise économique et qui demeure coupé en deux depuis 2002-2003 malgré l’accord établi entre Gbagbo et Soro. La présence des casques bleus et des soldats français de la Licorne a rendu impossible des conflits généralisés, mais le désarmement des Forces nouvelles du Nord et des milices du Sud n’a pas été généralisé. Certes les symboles de l’Etat sont de retour (drapeau) et la zone de confiance a été démantelée, mais le pays a un pouvoir bicéphale. Le Nord demeure organisé selon un système « féodal » selon le rapport des Nations unies de 2009. Les armées des forces nouvelles (FAFN) et « com zones » demeurent largement maîtres du terrain, contrôlent les ressources naturelles et le commerce (de l’essence, du coton, du cacao). Elles assurent la sécurité, et pratiquent des péages et rackets. Au Sud, Abidjan vit dans le désordre et la corruption est généralisée. Le cacao, le port d’Abidjan et les prébendes sont la base de financement du pouvoir.

Le président sortant des urnes aura à relever de nombreux défis pour réduire cette séparation entre le Nord et le Sud et assurer le développement économique. La grande majorité des Ivoiriens, fatigués de la situation, l’attendent avec force et impatience.

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