ANALYSES

Obama, incompris ou impuissant ?

Tribune
29 octobre 2010
De fait, les Républicains vont très probablement devenir majoritaires au moins à la Chambre des Représentants, et peut-être même au Sénat. Ce changement de majorité à mi-mandat est, en l’occurrence, très commun aux Etats-Unis. C’est une tendance en politique américaine depuis au moins 50 ans : le parti du Président perd généralement des sièges au Congrès lors des élections de mi-mandat. Pour celles de 1994 par exemple, Bill Clinton avait connu une sévère défaite, à la fois à la Chambre des Représentants et au Sénat, au point que l’on a parlé à l’époque d’une « Révolution républicaine ». Cela ne l’a toutefois pas empêché d’être réélu en 1996. L’un des seuls à avoir échappé à cette tendance est George W. Bush, qui, lors des élections de mi-mandat de 2002, avait su rassembler la nation et consolider sa majorité dans un contexte d’après 11-Septembre et de guerre contre le terrorisme.

Ces élections de mi-mandat sont donc un test pour Obama et son parti.
Malmené dans les sondages, critiqué sur son bilan, surpris par la montée en puissance du Tea Party (1), Obama peine à retrouver le souffle qui l’avait porté pendant sa campagne. Alors que son thème avait été axé sur le changement, la majorité des Américains est aujourd’hui perplexe sur sa capacité à véritablement faire évoluer la « politique washingtonienne » (2) et se montre très critique sur le rôle du « big government ». Les attentes suite à l’élection de Barack Obama étaient bien trop élevées pour que, deux ans après, son bilan soit au niveau des espoirs suscités.

En deux ans, il a réussi à faire adopter des mesures emblématiques, telles que la fermeture de Guantanamo (inachevée à ce jour), la réforme de la santé en mars 2010, la réforme du système financier en juillet 2010, mais ces mesures sont souvent incomprises et critiquées. Il a également réussi à obtenir, dès le début de son mandat, le vote du Congrès pour un plan de relance de 787 milliards de dollars permettant au pays d’éviter de sombrer dans le marasme économique.
Mais les Américains ne font que peu de cas de la capacité de l’équipe économique du Président à juguler la récession. Même si de récents rapports montrent que l’état de l’économie américaine aurait été bien pire sans le plan de relance, cela n’a que peu d’effet sur les intentions des électeurs. En effet, il est rare qu’une équipe gouvernementale soit félicitée d’avoir évité un désastre économique qui n’est du coup pas arrivé. Les électeurs ne s’intéressent pas tant aux hypothétiques problèmes qui auraient pu arriver qu’aux difficultés qu’ils connaissent au quotidien. Et la perception qu’ont les Américains de la santé économique de leur pays est la clé des élections.
Or, même si la situation ne s’est pas détériorée depuis, elle tarde à se rétablir : il est peu probable que l’économie américaine retrouve les niveaux d’avant la crise dans les mois qui viennent. Le taux de chômage reste à des niveaux record (9,6%), la consommation est en berne et les perspectives de croissance sont peu optimistes. L’état économique du pays, l’accroissement de la dette publique et le taux de chômage vont ainsi jouer en défaveur du parti du Président.

Sur les dossiers de politique étrangère, le bilan d’Obama est discutable, notamment à cause du fossé entre les promesses et les résultats.
Sa « stratégie des grands discours » a fait long feu, et semble même avoir été abandonnée. Quelles sont en effet les répercussions positives du discours d’Obama au peuple iranien, de son discours du Caire (sur les relations avec le monde musulman) et de son discours de Prague (sur un monde sans armes nucléaires) ? Que sont devenus les appels au « multi-partnership » ? Que de désillusions et désenchantements sur la capacité de Barack Obama à vraiment faire avancer les choses !
Certes, il a signé avec les Russes un nouveau traité visant à réduire les arsenaux nucléaires des deux pays (le « New START »). Mais il est possible que le Sénat s’oppose à sa ratification, d’autant plus s’il devient républicain à l’issue des élections.
Certes, l’image des Etats-Unis s’est améliorée dans de larges parties du monde (3). Mais quel poids cela aura-t-il dans le vote des Américains ? D’ailleurs, la situation était tellement détériorée qu’il aurait été difficile de faire pire.
Sur le front irakien, Obama est en train de mener la politique de retrait des troupes en Irak. Mais cette décision avait déjà été prise par l’Administration Bush. Concernant le dossier israélo-palestinien, Obama a à son crédit de s’y être consacré dès son premier mandat, et de parler clairement de « deux Etats pour deux peuples ». Mais les propos contradictoires des différents membres de son administration et le manque de fermeté à l’égard de la politique israélienne peuvent laisser perplexe quant à une réelle volonté de sortir de l’impasse.
En Afghanistan, la mise en œuvre d’une énième stratégie (basée sur la contre-insurrection, avec un renforcement des troupes sur le terrain et, parallèlement, une politique de réconciliation et réintégration avec une partie des insurgés, pour préparer la transition) ne permet toutefois pas d’envisager une amélioration de la situation à court ou moyen terme : les conditions de sécurité sur le terrain se détériorent et le gouvernement afghan n’est pas en capacité de prendre le relai.

La force du verbe de Barack Obama, qui avait fait son succès pendant la campagne électorale de 2008, n’a pas suffi pour gagner la bataille de l’opinion. Barack Obama reconnaît des erreurs tactiques et un manque de pédagogie et de communication (4), d’où une large incompréhension de son bilan auprès de l’opinion publique américaine, mais semble également rattrapé par la dure réalité du pouvoir, qui révèle son impuissance à mettre en œuvre le changement tant promis.

(1) Mouvement populiste sur une ligne très conservatrice, partisan d’un retour aux valeurs traditionnelles et d’un rôle de l’Etat limité.
(2) Son espoir de faire de la politique autrement, notamment par une approche bipartisane (à savoir une position conciliatrice et une coopération accrue entre les Républicains et les Démocrates) semble avoir échoué, en ne réussissant pas par exemple à obtenir une seule voix républicaine pour une mesure phare de l’Administration, la réforme de la santé.
(3) Voir le sondage de la BBC (avril 2010)
(4) Voir l’article de Peter Baker, « Education of a President », New York Times Magazine, 12 octobre 2010.