ANALYSES

Italie : Berlusconi obtient le vote de confiance, décryptage d’un équilibre instable

Tribune
7 octobre 2010
Mais avant de s’adonner à des prévisions politiques plus qu’incertaines, tentons de décrypter une situation politique complexe, où s’entremêlent plusieurs stratégies divergentes, à travers l’analyse du discours du Cavaliere et des réactions provoquées.

Le président du gouvernement Silvio Berlusconi a fait preuve, une fois de plus, de sa capacité oratoire et de sa rhétorique caractérisée par son fameux « tout va bien », qui lui permet d’atteindre son objectif : faire rêver les Italiens et continuer ainsi l’action du gouvernement. Berlusconi, dans son discours aux relents de campagne électorale, semble ainsi ignorer les statistiques d’un chômage croissant, les conseils de Bruxelles pour réduire l’énorme dette publique et même les alarmes de la Confindustria, l’union des industriels italiens.

Son intervention a commencé avec une « laudatio » (louange) de la démocratie et une série de flatteries vis-à-vis des parlementaires, qui jouent un rôle fondamental envers les électeurs. Il arrive même à reprendre une citation de Piero Calamandrei, intellectuel antifasciste déjà cité il y a quelques années par l’ex-leader de la gauche, Walter Veltroni, pour souligner l’importance des «raisons de la minorité ». Cet éloge de l’altérité et cette appropriation de la pensée d’un symbole du parti politique adverse apparaissent comme une stratégie, aujourd’hui souvent utilisée par les leaders européens, pour affaiblir la concurrence. Cette louange de la pensée différente et du dialogue qui fait suite aux dernières vicissitudes politiques, comme les divergences avec son ex-allié Gianfranco Fini, confine au burlesque. Mais Berlusconi continue sans gêne son discours, faisant magistralement suivre le seul point qui unit tous les présents : la commémoration des militaires morts en Afghanistan et le sens du devoir envers la patrie.

Après cette parenthèse, il se félicite de l’action du gouvernement face à la crise financière mondiale et commence avec l’énonciation, assez sommaire, des questions sur lesquelles il demande la confiance : le fédéralisme, la fiscalité, la justice, la sécurité, le Mezzogiorno (Sud de l’Italie).

A propos du fédéralisme, sujet très cher à son principal allié, Umberto Bossi, leader de la Ligue du Nord, il envisage un service public qui se doit efficace et qui ait la même qualité dans tout le pays.

Il se montre convaincu par l’idée d’une Italie fédérale, qui représente le meilleur choix pour le gouvernement car ne comportant aucun coût pour les caisses de l’Etat – chose qui aurait bien besoin d’une vérification…

Pour essayer de conquérir l’électorat catholique, il promet un soutien direct aux familles et une aide à la liberté d’éducation (c’est-à-dire, comme le montre aussi la politique de Renata Polverini dans le Lazio, couper ou réduire tous les fonds, sauf celui pour les écoles privées).

En matière de fiscalité, Berlusconi se dit déterminé à combattre l’évasion fiscale, favoriser l’internationalisation des entreprises, et unir « la rigueur à la croissance ». Il Cavaliere passe ensuite à la Justice, thème hypersensible et terrain de combat privilégié avec Fini. Il envisage une réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, avec la division des carrières entre procureurs et juges, une loi tutélaire des plus hauts offices de l’État et une réduction de la longueur des procès. Il dénonce « l’utilisation politique de la justice depuis 16 ans » et le manque de sanctions pour les juges qui font des erreurs!

A propos de la politique de sécurité, il affirme fièrement que l’arrivée des clandestins sur les côtes italiennes a baissé de 88% (suite à ses accords avec Kadhafi pour éviter les départs de la Libye), et il exalte l’action « exemplaire » du gouvernement sur la lutte anti-mafia.

En ce qui concerne le problème du Mezzogiorno, il s’attarde sur les infrastructures, mais lorsqu’il évoque la fin des travaux sur la Salerno-Reggio Calabria, une « autoroute » en travaux depuis 20 ans, un grand rire libératoire se produit dans la salle. Chacun a en mémoire la situation catastrophique de cette route qui devrait en théorie devenir un axe fondamental de communication grâce au pont qui un jour reliera la Sicile à la péninsule.

Le discours de Berlusconi a donc été un discours de propagande, d’intentions car il n’a rien expliqué, rien justifié et surtout rien proposé concrètement, car ce travail sera confié aux commissions parlementaires. Il s’agit donc de voter la confiance à un homme, Silvio Berlusconi, pour lui permettre de continuer son mandat ou, au contraire, lui refuser la confiance et ainsi provoquer des élections anticipées.

Si la gauche, à travers son porte-parole M. Bersani, se demande « où vit Berlusconi ? Et de quelle Italie parle-t-il? », elle n’arrive pas en vérité à profiter de cette série de secousses qui font trembler le gouvernement. Dario Franceschini, secrétaire du PD, a fait comprendre que son parti n’est pas encore prêt pour les élections, car il espère avant changer la loi électorale… performance assez difficile car il faut une très large majorité et cette réforme ne semble certainement pas en ce moment la priorité du PDL.

Derrière la question de confiance, on peut voir la volonté de « prendre son temps » : en accordant le vote de confiance à son « ennemi » Berlusconi, le président de la chambre des députés Fini a réalisé un calcul politique, le laps de temps accordé au gouvernement lui laissant les mains libres pour fonder d’ici peu son parti politique. Sa stratégie, après avoir fait trembler le gouvernement, a sauvé ce dernier de la chute, les « finiens » décidant de ne pas lui donner « le coup de grâce », au risque de brouiller leur message politique auprès de l’opinion. Il s’agit donc d’une tactique à long terme, qui ne profitera qu’aux hommes politiques. Toutefois, il semble que le peuple se lasse peu à peu.

Ainsi, plus de dix mille membres du « people violet » ont manifesté le 2 octobre, journée rebaptisée pour l’occasion le No Berlusconi Day . Il faut cependant déplorer l’absence des principaux partis d’opposition qui auraient pu jouer une carte intéressante, même si le risque d’instrumentalisation des manifestants n’était pas à négliger. La fracture entre citoyens et hommes politiques semble devenir toujours plus profonde.

*giorgiacastagnoli@gmail.com