ANALYSES

Eté 2010 : retour sur une série noire d’évènements climatiques

Tribune
30 septembre 2010
Chroniques climatiques

Cet été les épisodes climatiques extrêmes se sont multipliés, des records de température ont été atteints et l’année 2010 est en passe de devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée (1).
Alors forcément la question se pose de la capacité de résilience des Etats fassent à ces phénomènes déstabilisateurs et de l’impact de ces évènements sur la scène internationale (médiatique, politique, économique, etc.).
En Chine. Le pays a subi cet été ses pires inondations depuis plus de 10 ans. Glissements de terrain, coulées de boue et précipitations torrentielles ont entraîné des centaines de milliers d’évacuations (2).
En Russie. La canicule a sévi pendant plusieurs semaines. Moscou et sa région ont connu des températures allant jusqu’à 45°C et ne descendant pas sous la barre des 30°C la nuit. Les foyers d’incendies se sont alors multipliés et ont détruit près d’un million d’hectares de forêt. Dans la capitale un épais brouillard consécutif à ces incendies a contraint les gens à une mobilité réduite et à une protection respiratoire de rigueur pendant plusieurs jours.
Au Pakistan. Les inondations ont causé plusieurs milliers de morts et disparus, avec plus de 14 millions de sinistrés : des terres agricoles dévastées, des risques sanitaires démultipliés. C’est un pays déjà fragile et vulnérable qui est de loin le plus sévèrement touché par le fléau « climat » de l’été 2010.

Conséquences politiques

Dans tous ces épisodes, comme dans toute catastrophe naturelle, les dégâts causés sont des éléments perturbateurs pour les populations et surtout pour les Etats. Désordre social, pertes économiques, menaces sur des installations stratégiques, ou encore effets secondaires type propagation de maladies ou contestations politiques, tous ces éléments sont de nature à renforcer ou bien souvent au contraire à mettre en péril le crédit, la légitimité et la stabilité de l’Etat du pays sinistré. Ainsi la réactivité des autorités – mécanismes existants de gestion de crise, moyens logistiques de secours, capacité et/ou volonté de mobilisation de l’aide internationale – permet de décrypter dans une certaine mesure les forces et faiblesses des Etats concernés.

En Chine, les autorités ont une peur viscérale des contestations sociales qui pourraient résulter d’une mauvaise gestion des catastrophes naturelles. Les autorités sont organisées en conséquence, et par ailleurs se montrent en général réticentes aux propositions d’aide émanant d’autres pays. Cela avait été particulièrement le cas lors du séisme du Sichuan en 2008 qui avait fait plus de 30.000 victimes. Ce rejet s’explique par la nature du régime qui redoute un risque d’ingérence et autres tentatives d’influence qui pourraient accompagner les interventions de partenaires étrangers. Sur ce point la réaction de la Russie, cet été, fut au premier abord semblable. En effet, les Russes ont mis un certain temps avant d’ouvrir leurs frontières à des secouristes étrangers. La raison est simple : avoir recours à l’aide peut être perçu comme un aveu de faiblesse. Les Européens se sont particulièrement inquiétés de la situation en Russie, le risque d’extension des incendies dans la région de Moscou aux installations nucléaires faisant planer le spectre d’un épisode semblable à celui du nuage de Tchernobyl en 1986. A l’heure du bilan, Moscou a plutôt minimisé les dégâts directement subis par la population (nombre de morts, problèmes sanitaires type respiratoires, destruction de villages, etc.) pour mettre en avant les conséquences économiques de la catastrophe, annonçant que la canicule pourrait coûter au pays 0,7 à 0,8 point de son PIB en 2010 (3). Au niveau international, cet évènement peut impacter sur les cours mondiaux du blé car la Russie s’est imposée un embargo pour subvenir aux besoins domestiques.
Au Pakistan, le gouvernement pakistanais a été mis en cause pour la lenteur de sa réaction et l’attitude du Président Asif Ali Zardari pointée du doigt car celui-ci n’a pas interrompu sa tournée en Europe début août pour gérer l’urgence de la crise dans son pays (4). Dans ce pays particulièrement sensible aux catastrophes naturelles (séisme de 2005), ces inondations constituent un facteur accablant pour une situation déjà fragile sur les plans politique, économique et social. C’est une des régions les plus pauvres du pays qui a été touchée, qui plus est, un territoire de haute importance stratégique dans les manœuvres politiques et militaires des alliés pour endiguer la présence talibane en et aux portes de l’Afghanistan. Les inondations ont donné l’occasion aux extrémistes de la région d’asseoir leur influence au sein des populations en dénonçant l’inertie des autorités et en organisant des mesures d’aide d’urgence : « La misère du peuple peut toujours être exploitée par des gens qui ont des objectifs politiques ou militants » (5). Et pourtant, malgré ce risque identifié et martelé par les représentants des Nations Unies, on a paradoxalement observé une faible mobilisation de la société civile pour soutenir les Pakistanais par l’envoi de dons.

Stress humain sur la planète

L’année 2010 enregistre des records en termes de fréquence et intensité des évènements climatiques. La question se pose de leur corrélation avec le phénomène global de changement climatique. En effet, dans les scénarios avancés par les scientifiques du GIEC, le réchauffement climatique pourrait se traduire par une récurrence accrue des épisodes extrêmes (6). Les scientifiques restent cependant prudents et n’omettent pas de rappeler qu’on on ne peut pas projeter une telle séquence d’évènements dans un modèle climatique global. Le climat se définit comme une moyenne de données météorologiques sur trente ans et donc on ne peut tirer des conséquences d’une seule séquence estivale isolée (7).
D’autre part, divers commentateurs observent que le réchauffement climatique constitue un bouc émissaire de premier choix, voir un « alibi », pour des autorités soucieuses de masquer leurs propres carences. En effet, les dégâts matériels et humains causés par ces épisodes sont aggravés par la main de l’homme dans les processus d’appropriation des territoires (8). La pression démographique, les politiques de grands travaux et d’urbanisation, ou encore les négligences humaines contribuent à aggraver les conséquences des catastrophes naturelles. En Russie, la mauvaise gestion des forêts et le défaut d’anticipation de ce type de risques expliquent en grande partie l’incapacité des autorités russes à contenir les incendies. En Chine, c’est le « développement à la chinoise » qui est pointé du doigt : la déforestation, la multiplication de barrages hydriques, l’imperméabilisation et la bétonisation, en modifiant le relief, aggravent et amplifient les phénomènes de glissement de terrain et de coulées de boues.

Sursaut de conscience sur l’enjeu climatique ?

Ces chroniques climatiques, qui ont eu un écho politico-médiatique retentissant, sont-elles de nature à tirer la sonnette d’alarme dans le cadre de la négociation Climat ?(9)
Certains voient en effet dans cette série noire l’occasion d’un regain de conscience, un sursaut de lucidité de la part des décideurs dans les forums de négociation climatique. Dmitri Medvedev a ainsi déclaré que les évènements de cet été étaient une preuve du changement climatique global, laissant entendre que la Russie pourrait en conséquence adopter une position moins réticente dans la négociation sur le climat (10). Sans doute ne faut-il pas se fier aux effets d’annonce qui sont là surtout pour détourner l’attention les erreurs de gestion du gouvernement. Non les évènements de l’été ne seront pas la surprise qui viendra combler l’impasse dans laquelle se trouve actuellement la négociation internationale sur le climat (11) …

(1) « Records de température pour 2010, en passe de devenir la plus chaude », Actualités News Environnement, 16/09/10 http://www.actualites-news-environnement.com/24133-temperatures-2010-chaude.html
(2) « Inondations : 130.000 personnes évacuées en Chine et en Corée du Nord »,
Libération, 22/08/10 http://www.liberation.fr/monde/0101653323-inondations-130-000-personnes-evacuees-en-chine-et-en-coree-du-nord
(3) « En Russie, l’heure du bilan des incendies a sonné »,
La Croix, 29/08/10 http://www.la-croix.com/en-Russie-l-heure-du-bilan-des-incendies–a-sonne/article/2437302/4077
(4) « Pakistan floods threaten key barrage in Southern Sindh », BBC News South Asia, 09/08/10 http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-10910778
(5)
« Le pire désastre naturel que le Pakistan ait connu », Interview de Jean-Maurice Ripert, envoyé spécial de l’ONU au Pakistan, Le Monde, 12/08/10 http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/08/11/jean-maurice-ripert-le-pire-desastre-naturel-au-pakistan_1397788_3216.html
(6) « Les phénomènes climatiques extrêmes sont-ils corrélés ? »,
Le Monde, 17/08/10
(7)
« Nous risquons d’être de plus en plus confrontés à des phénomènes climatiques exceptionnels », Interview de Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du GIEC, 12/08/10 http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/08/12/nous-risquons-d-etre-de-plus-en-plus-confrontes-a-des-phenomenes-climatiques-exceptionnels_1398086_3244.html
(8) « Catastrophe naturelles : des phénomènes en augmentation et amplifiés par l’homme »,
Actu Environnement, 11/08/10 http://www.actu-environnement.com/ae/news/inondations-coulees-boue-10827.php4
(9) « Will this summer of extremes be a wake-up call ? », The Guardian, 16/08/10 http://www.guardian.co.uk/environment/2010/aug/16/summer-extremes-wake-up-call
(10) « In weather chaos, a case for global warming »,
The New York Times, 14/08/10 http://www.nytimes.com/2010/08/15/science/earth/15climate.html?_r=2
(11) Le prochain sommet annuel de la Convention Climat des Nations Unies aura lieu fin novembre au Mexique, à Cancun. Au lendemain résultat plus que mitigé de Copenhague, des blocages persistent et tout laisse à penser que cette COP16 n’aura pas d’impact politique significatif.