ANALYSES

Le temps de la déflation ?

Tribune
24 septembre 2010
Face à cet aveu de perte de contrôle de la Réserve fédérale, les marchés financiers ont réagi très violemment. Le rendement des obligations gouvernementales américaines (à 10 ans) a perdu près de 15 points de base après l’annonce du communiqué, ce qui est d’une ampleur relativement rare. Le dollar a également immédiatement chuté contre toutes monnaies, là encore d’une ampleur relativement rare en quelques minutes. Le prix du pétrole a également chuté, abandonnant sa corrélation inverse avec le dollar. En effet, les perspectives économiques décrites par la Fed font craindre aux marchés une baisse de l’activité et donc de la demande de pétrole. Enfin, le prix de l’once d’or a augmenté de 20 dollars en quelques minutes pour atteindre le niveau de 1290 $ l’once. L’or était connu pour être un refuge contre l’inflation mais les perspectives économiques et d’endettement sont telles qu’il est également devenu un refuge dans un moment de craintes déflationnistes ! Seuls les marchés boursiers ont réagi de façon plus mitigée car cette annonce de la Fed est à la fois pour eux une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle est que la Fed est là pour créer des liquidités, ce qui nourrit les marchés actifs et donc les soutient, la mauvaise est bien sûr son pessimisme affiché.

Si les marchés ont réagi aussi violemment, c’est qu’ils ont été quelque peu surpris par le ton du communiqué de la Réserve fédérale. Ils avaient largement anticipé que la Fed était disposée à des mesures accommodantes supplémentaires, notamment l’achat de bons du trésor américain mais n’étaient pas préparés à un aveu aussi clair de perte de contrôle sur les prix par la Banque centrale.

Qu’est-ce qui peut justifier une telle inquiétude de la Fed, elle qui nous avait habitué à une communication bien plus rassurante y compris aux pires moments de la crise ?

La réponse est dans son communiqué, à savoir une consommation des ménages contrainte par un niveau de chômage élevé, un niveau de crédit resserré, des employeurs rétifs à l’embauche… bref, un cercle vicieux en termes de niveau d’activité économique. Il faut reconnaître que structurellement, la situation macro-économique américaine est inquiétante. Même dans le scénario le plus optimiste de reprise, le niveau d’activité économique d’avant crise ne sera pas retrouvé avant deux ans. Il n’y a donc aucune raison que le marché de l’emploi s’améliore pendant cette période, avec ses conséquences en matière de revenus et de consommation et donc d’investissement des entreprises. Il ne faut de plus pas oublier l’effet richesse négatif de l’immobilier puisque le nombre de ménages américains se retrouve en situation de faillite virtuelle, la valeur de leur patrimoine étant devenue inférieure au niveau de leur endettement. Outre ces cas, il faut s’attendre à terme à des hausses d’impôts et donc à une baisse du revenu disponible, ce qui ne peut qu’affecter la consommation. Avec de telles perspectives, les entreprises ne sont pas incitées à investir ni à re-stocker, d’autant qu’elles sont largement en situation d’excédents de capacités de production. Et ce sont justement ces capacités excédentaires de production qui rendent la Fed si nerveuse au sujet de la déflation.

Quels sont les moyens de sortir de cette spirale déflationniste ? Ils sont peu connus et les gouvernements et les Banques centrales les cherchent activement. Tous deux ont mis en place des politiques monétaires et budgétaires extrêmement accommodantes, d’une ampleur rarement vue avec des résultats plus que modestes. La déflation pourrait annihiler tous ces efforts pour de nombreuses années et c’est bien pour cela que le chacun pour soi menace la poursuite de la coopération internationale esquissée aux G20. Le risque déflationniste ne peut que donner un argument supplémentaire aux États-Unis pour souhaiter et obtenir une baisse substantielle du dollar afin d’espérer de l’inflation importée et une érosion du niveau de leur dette.
Quid de la zone euro ?

Sans pressions inflationnistes, les Européens n’ont aucun intérêt à voir l’euro s’envoler. Si l’effet de la hausse de l’euro sur la perte de compétitivité des économies européennes est largement évoqué depuis des années, son effet potentiellement déflationniste dans un contexte de demande atone ne l’est pas encore. En effet, le niveau d’inflation sous-jacente, c’est-à-dire hors alimentation et énergie, est sous la barre des 1% en base annuelle, et autour de 1.5 % en ce qui concerne l’inflation totale. Dans le contexte économique actuel de la zone euro, ces niveaux peuvent être considérés comme une antichambre de la déflation. À quand un aveu de la BCE sur sa difficulté à contrôler la situation ?