ANALYSES

Subventions au carburant dans la région Afrique du Nord – Moyen-Orient : une réforme inévitable

Tribune
9 septembre 2010
Les subventions au carburant, qui constituent la plus grande part des subventions à la consommation en Égypte, au Maroc, et en Syrie, bénéficient davantage aux riches qu’aux pauvres. Avec l’augmentation du prix du pétrole au cours de l’année 2010 et la contraction des marges de manœuvre fiscales, la question de la subvention au carburant devient très critique. La Jordanie, la Syrie, et dans une moindre mesure la Tunisie ont diminué l’ampleur de ces subventions, tandis que l’Égypte et le Maroc ne se sont toujours pas engagés sur cette voie. La réforme des subventions au carburant s’avère pourtant inévitable, leur charge fiscale devenant de plus en plus encombrante. En choisissant de ne pas agir immédiatement, les décideurs politiques gaspillent d’importantes ressources fiscales et s’engagent dans des politiques qui ne sont pas soutenables dans la durée.

Le lourd fardeau des subventions à la consommation

Bien que les économies des pays importateurs de pétrole soient parvenues à croitre en plein milieu de crise mondiale – la croissance de leur PIB ayant varié entre 2.8 pour cent en Jordanie et 5 pour cent au Maroc en 2009 – leurs déficits budgétaires se sont creusés, en raison des plans publics de sauvetage et des demandes sociales grandissantes. Le déficit budgétaire représentait en moyenne 4.1 pour cent du PIB dans les cinq pays, atteignant 7 pour cent du PIB en Égypte au terme de l’année 2009. Le Maroc et la Tunisie, dont les budgets étaient proches de l’équilibre en 2008, ont vu ceux-ci se détériorer de près de 3 points de PIB en 2009. Les subventions à la consommation continuent d’absorber une part non-négligeable des ressources publiques, évinçant les dépenses dans d’autres secteurs clés comme la santé, l’éducation, et l’infrastructure de base. En Égypte, les subventions à la consommation se sont élevées à près de 8 pour cent du PIB en moyenne au cours des quatre dernières années – trois fois les dépenses publiques d’investissement. La Tunisie, le Maroc, et la Syrie ont consacré une moyenne de 3.2 pour cent du PIB aux subventions en 2009. En Jordanie, celles-ci ont compté pour plus de 3 pour cent du PIB en moyenne entre 2006 et 2009, bien que désormais elles évoluent nettement à la baisse.

Les subventions au carburant représentent la majorité des subventions à la consommation en Egypte, au Maroc, et en Syrie. Leur part varie entre 60 et 95 pour cent, en fonction du prix mondial de pétrole. Bien que politiquement populaires, ces subventions posent trois problèmes :

· Effet sur les pauvres : Les différentes études disponibles révèlent que les subventions universelles (non-ciblées) de carburant profitent davantage aux riches qu’aux pauvres.

· Consommation de pétrole : En abaissant artificiellement les prix du pétrole, les subventions favorisent l’usage de technologies intensives en carburant et conduisent à un comportement de surconsommation.

· Volatilité budgétaire : Les subventions au carburant étant dépendantes du prix mondial du pétrole, leur charge dans le budget de l’État est fortement volatile. Lors de la chute du prix du pétrole en 2009, par exemple, les dépenses en subventions se sont contractées à 9 milliards de dollars, contre 16 milliards en 2008. Avec la reprise de la croissance globale, le prix du pétrole brut rebondit. En effet, le prix moyen du pétrole au cours des cinq premiers mois de 2010 s’est élevé à environ 80 dollars par baril, comparé à un prix moyen de 62 dollars en 2009.

Réformes en Jordanie et en Syrie

La Jordanie, la Syrie, et dans une moindre mesure la Tunisie, sont en avance dans leurs efforts pour réformer leurs subventions au carburant :

· La Jordanie : Une étude du Fonds Monétaire International (FMI) datant de 2005 a constaté que les 20 pour cent les plus pauvres de la population du pays recevaient moins de 10 pour cent de l’ensemble des subventions au carburant, alors que les 20 pour cent les plus riches en recevaient plus de 40 pour cent. Les résultats de cette étude ont été utilisés pour soutenir la réforme. Le système des subventions au carburant a été éliminé en 2008. Depuis, la Jordanie a mis en place un mécanisme automatique d’ajustement qui permet de répercuter la variabilité du prix mondial sur les utilisateurs locaux.

· La Syrie : En 2008, le pays a augmenté le prix local de la plupart des produits pétroliers, permettant une économie de 7 pour cent du PIB de subventions implicites. En parallèle, le gouvernement a mis en place un programme de bons d’achat qui permet à chaque ménage d’obtenir une dotation de 1.000 litres de diesel par an au tiers du prix du marché. Afin de faire face au marché parallèle des bons qui s’est développé, les autorités syriennes ont adopté en 2009 un système d’aide ciblé aux plus démunis qui couvre environ la moitié des ménages. Ce dernier a mis fin au programme des bons d’achat.

En Jordanie et en Syrie, les décideurs ont également adopté des mesures d’accompagnement visant à atténuer l’impact des prix plus élevés du carburant sur les ménages à faible revenu. La Jordanie a augmenté le salaire minimum et les rémunérations des petits fonctionnaires. Des mesures similaires ont également vu le jour en Syrie.

· La Tunisie : En janvier 2009, le pays a lancé un nouveau mécanisme de détermination des prix des produits pétroliers. Le nouveau mécanisme permet d’indexer partiellement les prix locaux sur ceux du marché mondial.

Le besoin de rattrapage de l’Egypte et du Maroc

Les gouvernements d’Égypte et du Maroc devraient investir leurs ressources fiscales limitées dans les secteurs sociaux à déficit, tels que la santé et l’éducation, plutôt que de les dépenser dans les subventions au carburant. Si ces gouvernements conviennent sur la nécessité de d’abandonner les subventions par des mesures plus ciblées, ils craignent néanmoins le malaise social que cela pourrait engendrer. Toutefois, le statuquo ne constitue pas une solution. Les autorités en Egypte et au Maroc devraient apprendre des expériences réussies de l’élimination des subventions au carburant dans les autres pays. Ils doivent pour cela s’appuyer sur trois piliers :
· Convaincre l’opinion publique : Il est essentiel de mettre l’accent sur les inconvénients d’un système généralisé des subventions au carburant, son coût budgétaire exorbitant, et son caractère inéquitable.

· Adopter graduellement la réforme : Il faut ensuite prendre un engagement ferme et crédible de réduire le poids des subventions, graduellement mais continuellement. Cette approche graduelle est particulièrement importante en Égypte, où l’écart entre le prix du produit subventionné et celui du marché est énorme.

· Atténuer l’impact sur les pauvres : Il est nécessaire enfin d’accompagner la réforme par des mesures qui permettent de soulager le pouvoir d’achat des familles pauvres des effets inflationnistes de la suppression des subventions au carburant. L’Égypte pourrait s’engager à augmenter le salaire minimum dans le secteur public. Plus de cinq millions d’Égyptiens travaillent pour le gouvernement et 1.3 million pour les entreprises publiques. Or le salaire mensuel minimum ne dépasse pas les 53 dollars dans le secteur public. Paradoxalement, l’Égypte dépense autant d’argent pour les subventions à la consommation que pour les rémunérations des fonctionnaires. Élargir l’assurance maladie aux pauvres est une autre alternative possible. Aujourd’hui, moins de 20 pour cent des pauvres au Maroc et en Égypte ont une assurance médicale. Ils sont souvent forcés de vendre leurs actifs ou d’emprunter à des taux d’usure afin de pouvoir s’acquitter des coûts exorbitants des traitements médicaux.