ANALYSES

Honduras, un coup d’Etat civil révélateur d’une Amérique latine nouvelle

Tribune
4 août 2010
Treize mois plus tard le panorama est en clair obscur. Le Honduras est toujours suspendu d’OEA. Mais il a été récemment réintégré dans le SICA (Système d’intégration centraméricain), le CARICOM (Communauté des Etats de la Caraïbe). Et après les Etats-Unis, le Canada, l’Union européenne et un certain nombre de latino-américains ont renvoyé leurs ambassadeurs à Tegucigalpa (capitale du Honduras). Chili et Mexique ont tout récemment annoncé le 31 juillet 2010 le retour de leurs chefs de mission diplomatique qui avaient été, comme on dit rappelés « en consultation », au lendemain du coup d’Etat du 28 juin 2009.

Ce changement d’environnement est sans doute peut-on penser le fruit du rétablissement de la normalité démocratique. La réponse n’est pas évidente. Elle appelle un commentaire de Normand. Peut-être bien que oui. D’abord parce que le chef de l’Etat de fait, Roberto Micheletti, président du parlement, mis en place le 28 juin 2009 par l’armée, était malgré tout constitutionnellement celui qui était appelé à exercer l’autorité suprême en cas de vacance au sommet de l’Etat. Il a qui plus est assez vite décidé de respecter le calendrier électoral et donc d’organiser comme prévu des présidentielles et législatives le 29 novembre 2009. Ces élections n’ont pas été plus qu’à l’habitude contestées. Le vainqueur Porfirio Lobo a pris ses fonctions à l’expiration du mandat de son dernier prédécesseur élu, le 29 janvier 2010. Mais il y a cela dit, un peut-être bien que non. Tout aussi nourri et argumenté. Le président du parlement, était certes le suppléant constitutionnel incontesté du chef de l’Etat. Mais il a été porté au pouvoir après expulsion manu militari du Président élu. Les élections du 29 novembre 2009 ont été organisées par une autorité de fait. Les partisans du président destitué ont eu du mal s’exprimer. Leurs droits et libertés ont été bousculés. D’autant plus que Manuel Zelaya qui avait tenté de revenir dans son pays avait été contraint de se réfugier pendant quatre mois à l’ambassade du Brésil. Et quand il a pu en sortir, à l’expiration de son mandat, le 29 janvier 2010, il a été contraint de partir en exil protégé par le président de la République Dominicaine, Leonel Fernandez. Son retour, depuis lors, est empêché par une série de poursuites judiciaires ouvertes à cet effet.

Comment alors comprendre le lent et continu rétablissement des relations diplomatiques du Honduras avec la plupart des pays du monde depuis la fin 2009 ? La tenue d’élections à peu près correctes a rendu une légitimité démocratique, autorisant la reprise de relations normales. La plupart des pays voisins attendaient l’ouverture d’une fenêtre démocratique pour rétablir au plus tôt leurs échanges commerciaux avec le Honduras. Costa-Rica, Guatemala, Salvador ont donc saisi la balle électorale du 29novembre 2009 à cet effet. La prise de fonction d’un président élu, le 29 janvier 2010, a permis à d’autres, la Colombie, le Pérou et Panama, de rejoindre ce premier groupe. Etats-Unis et Union européenne ont suivi le mouvement. Il s’agissait pour Washington de coupler le soutien à un régime hostile au Venezuela sur une légitimité électorale. Quant à l’Europe, elle a suivi l’Espagne qui souhaitant réussir la rencontre avec l’Amérique latine et l’Amérique centrale prévue à Madrid en mai 2010, et l’Allemagne partageant le point de vue des Etats-Unis, a plaidé le rétablissement des relations diplomatiques. Chili et Mexique dirigés par des gouvernements de centre droit ont attendu les conclusions d’une commission technique dite de haut niveau de l’OEA rendues le 31 juillet 2010 pour eux aussi rétablir les rapports bilatéraux.

Pour autant le Honduras reste toujours suspendu d’OEA. Cette mise à l’écart, tout comme les conditions de la normalisation diplomatique signalée, sont révélatrices de nouveaux rapports de forces en Amérique latine. La vague électorale qui a porté ces dernières années des présidents et des majorités progressistes au pouvoir a semble-t-il épuisé sa force d’entrainement. Une droite nouvelle, démocratique et entrepreneuriale, a émergé depuis quelques mois. Elle est à l’origine d’alternances à Panama et au Chili, avec des présidents hommes d’affaires, et authentiquement démocrates, Ricardo Martinelli et Sebastián Piñera. Le nouveau président élu en Colombie, Juan Manuel Santos, appartient à ce groupe. On peut y rattacher, le président du Pérou, Alan Garcia et le mexicain, Felipe Calderón. Cette droite nouvelle est idéologiquement proche du président hondurien, Porfirio Lobo. Elle a parrainé le 4 août 2010, l’adhésion de sa formation, le Parti national, à l’Organisation démocrate-chrétienne des Amériques. Les équipes progressistes restent malgré tout bien implantées. Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Nicaragua, Paraguay, Uruguay, Venezuela, exigent avant toute réintégration du Honduras au sein de l’OEA, la possibilité pour l’ex-président Manuel Zelaya de retrouver son pays pour y reprendre des activités politiques. La plupart de ces pays ont des exigences fortes reposant sur un passé de coups d’Etat traumatisants. L’un d’entre eux, le Venezuela, a qui plus est vécu plus récemment en 2002, un coup d’Etat habillé comme au Honduras en « vacance du pouvoir ».

Les deux blocs latino-américains se font face. Le Honduras est leur terrain de jeu, vérifiant leurs influences respectives. La démocratie pour autant pourrait ne pas en être l’enjeu principal. La nouvelle droite démocratique latino-américaine avec le soutien des Etats-Unis entend en effet apporter au Honduras une reconnaissance qui reste conditionnelle. Les communiqués ayant accompagné le retour des ambassadeurs chilien et mexicain signalent qu’il s’agit d’accompagner la transition démocratique. Les Etats-Unis n’ont envoyé en six mois à Tegucigalpa qu’un seul représentant, la sous-secrétaire d’Etat chargée de la démocratie. Au croisement de toutes les contradictions l’OEA a rappelé que toute solution, la réintégration en son sein du Honduras, supposait, la suspension de toute poursuite à l’égard du président sorti en juin 2009, qualifiant les évènements d’alors, « de coup d’Etat à l’encontre du gouvernement constitutionnel ». Les jeux sont donc encore ouverts. Le Honduras a depuis suspendu certaines poursuites engagées à l’égard de Manuel Zelaya. Mais d’autres ont été confirmées. Les autorités de Tegucigalpa spéculent sur l’usure électorale des partis de gauche, l’effet d’entrainement de la reconnaissance accordée par les Etats-Unis, l’Union européenne, le Canada et l’Amérique centrale. Elles ont à cet effet nommé un lobbyiste de talent, Jorge Arturo Reina, longtemps proche de Manuel Zelaya, chargé de faire du porte à porte et de persuader à défaut de convaincre, de Buenos Aires à Brasilia. Mais faute d’obtenir la levée des poursuites qui pèsent toujours sur Manuel Zelaya, Argentine, Brésil et Venezuela bloquent l’octroi de crédits au Honduras par la Banque interaméricaine de développement. Quant à l’Equateur il a même interdit son espace aérien à l’avion du président hondurien qui revenait d’une visite officielle à Lima (Pérou).