ANALYSES

L’Australie, les yeux rivés vers l’Asie.

Tribune
23 août 2010
Fait méconnu en Europe, il est important de rappeler que l’Australie a mené une politique migratoire basée sur le critère de la race pendant plus de 70 ans. En effet, l’ Australia White Policy , à laquelle Gough Whitlam a mis un terme en 1973, avait pour objectif d’attirer les immigrés d’origine européenne (en priorité anglo-saxonne mais aussi grecque et italienne) afin de contrebalancer le ‘ Péril Jaune ‘ ou la grande peur australienne d’une immigration asiatique incontrôlée. Ce qui fait de l’Australie l’un des derniers pays avec l’Afrique du Sud à avoir appliqué officiellement une politique d’Etat se basant sur le critère de la race.

Ceci explique pourquoi le thème des réfugiés clandestins est omniprésent dans les médias australiens. Recemment, 78 ‘ asylum seekers ‘ venus du Sri Lanka ont tenté d’atteindre les côtes australiennes mais le gouvernement a décidé de dérouter ces ‘ boat-people modernes ‘ vers l’Indonésie. Le gouvernement de Kevin Rudd tente de mettre en place une politique dite ‘ tough but humane ‘ pour gérer ces flux migratoires non désirés mais celui-ci doit composer avec une opinion publique globalement hostile aux immigrés et qui plus est, attisée par l’opposition libérale. Celle-ci accuse Al-Qaïda d’infiltrer les réseaux clandestins pour introduire des éléments terroristes en Australie. Conséquence directe : les Australiens expriment dans les sondages qu’ils sont en faveur de la méthode dure quant à la gestion du problème migratoire. En gelant pour un délai de 6 mois les demandes d’asiles de réfugiés d’origine sri lankaise et afghane, le gouvernement est soudainement remonté dans les sondages…

Malgré ce rejet historique de l’influence orientale, l’asianisation d’une Australie multiculturelle est en marche et l’intégration des immigrés asiatiques, dont une majorité d’étudiants, dans la société australienne s’avère de plus en plus efficace. Les échanges culturels ( people-to-people ) entre l’Asie et l’Australie sont donc de plus en plus intenses. De plus, les enjeux economico-stratégiques poussent le gouvernement australien à se rapprocher de ses voisins asiatiques tel que la Chine sur des dossiers diplomatiques internationaux même si certaines tensions ressurgissent ponctuellement entre les deux pays (cf Affaire Rio Tinto en juin 2009).

Lors de son élection en 2007, Kevin Rudd avait promis de rompre avec la politique étrangère de John Howard (Premier ministre de 1996 à 2007) qui était décrit par les dirigeants malaysien Mahathir et singapourien Lee Kwan Yew comme le ‘sheriff des Etats-Unis’ suivant scrupuleusement les préceptes néoconservateurs outre-pacifiques. Depuis 1951 et la signature de l’ ANZUS Treaty , l’Australie était alors considérée comme un ‘allié dépendant’ (Coral Bell, 2009) des Etats-Unis se devant de suivre fidèlement son grand frère américain dans toutes ses interventions militaires.

Kevin Rudd a judicieusement tenté de promouvoir un certain multilatéralisme dans la région Asie-Pacifique en proposant l’idée d’une Asia Pacific Community réunissant l’Australie, ses voisins asiatiques et… les Etats-Unis. Réticent à l’idée de voir les Etats-Unis s’impliquer dans le naissant régionalisme asiatique, le gouvernement japonais d’Hatayoma a proposé de son côté l’ East Asian Community qui regroupe exclusivement des pays asiatiques ainsi que l’Australie afin de dépasser le cercle de l’ASEAN. Cependant, preuve s’il en est que les Australiens se sont pas prêts à faire le deuil d’un partenariat stratégique avec la première puissance mondiale, Kevin Rudd n’a pas donné suite à cette initiative japonaise. Contrairement au Premier Ministre japonais après l’aveu de son échec à fermer les bases militaires américaines d’Okinawa, Kevin Rudd n’a de son côté pas jugé légitime de quitter son poste après cette promesse électorale que partiellement réalisée.

Selon de nombreux experts australiens, le ‘pire cauchemar australien’ dans les décennies à venir serait un conflit diplomatico-militaire entre la Chine et les Etats-Unis (Coral Bell, 2007). Confrontée à cette situation hypothétique, l’Australie devra alors déterminer avec grand soin où son intérêt national réside : dans la défense de valeurs culturelles occidentales auprès de ses alliés traditionnels ou alors dans une alliance stratégique avec la Chine qui jouit d’une influence croissante sur son voisin down under de par son croissant rayonnement économique et culturel. Comme Jean-Vincent Brisset le mentionne dans son article ‘Vers la nouvelle Guerre des étoiles?’ (07/05/2010), l’hypothèse d’un conflit sino-américain n’est pas à négliger dans le moyen terme avec le concept américain de Prompt Global Strike et des dépenses chinoises en armement largement sous-estimées.

Récemment, l’Australie a fait le choix de s’ouvrir sur le continent asiatique, dorénavant considéré comme le poumon économique mondial. Il est par conséquent légitime de se demander si ce rapprochement économique et culturel aura des répercussions stratégiques en réorientant la politique étrangère australienne. Dans ce cas, l’idéal pour l’Australie serait de s’impliquer activement dans un régionalisme strictement asiatique. Ce qui signifierait ni plus ni moins que l’Australie se considère comme un pays asiatique: une idée qui est loin de faire l’unanimité chez ses voisins asiatiques et encore moins au sein de la population australienne…