ANALYSES

Terres rares, rareté relative et implications géoéconomiques

Tribune
2 août 2010
Par Augustin Roch, chercheur associé à l’IRIS
Terres rares et raretés relatives

L’expression « terres rares », terme scientifique->http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/24/21/02/PDF/ajp-radium_1904_1_10_106_0.pdf] désignant 17 éléments de la série des lanthanides, porte à confusion puisque certains éléments sont plus communs que des minerais courants. Seuls le dysprosium et le terbium sont réellement rares. Il n’y a donc pas de rareté géologique à proprement parlé mais plus une rareté d’ordre économique (une demande supérieure à l’offre impacte durablement les prix à la hausse) et stratégique (utilisation finale de la ressource et stratégies associées par les acteurs étatiques, financiers et industriels). Par ailleurs, les terres rares sont difficiles à produire et ne sont rentables que si on en trouve en grande concentration. En effet, elles sont souvent un sous produit d’une mine dédiée à un autre minerai. Pour finir, l’utilisation des terres rares leurs confère un caractère stratégique. Il existe ainsi [différentes applications et on retrouve finalement des terres rares dans toute industrie de haute technologie, civile et militaire, du balladeur mp3 au missile en passant par l’éolienne et l’automobile.

Les atouts chinois actuels

La Chine produit plus de 95 à 97 % des métaux issus des terres rares de la planète, résultat engendré par les coûts de production imbattables (faible coût du travail et forte « tolérance » des autorités vis-à-vis des méthodes d’extraction très polluantes). Une cinquantaine d’entreprises, principalement étatiques, opèrent dans ce secteur mais la volonté du gouvernement est en fait de structurer régionalement la production. Alors que Baotou Steel Rare Earth High-Tech contrôle les réserves de terres rares de Mongolie intérieure (75 % environ de l’ensemble des réserves chinoises), China Minmetals Corp. et Chinalco détiennent celles du Jiangxi tandis que les producteurs Jiangxi Copper et China Nonferrous Metal Industry’s Foreign Engineers & Construction Co. possèdent celles du Sichuan et du Guangdong.

La production minière chinoise serait de 120 000 tonnes en 2008 (dont 20 % issue de la contrebande) sur un total mondial de 124 000 tonnes. Néanmoins, les réserves mondiales sont relativement déconcentrées. Si la Chine représente plus d’un tiers des réserves identifiées, l’ex-URSS détient 20 % des réserves, les Etats-Unis 14 % et l’Australie 6 %. Par conséquent, les terres rares sont disponibles partout dans le monde, pour peu que les producteurs investissent et disposent de solutions techniques adéquates permettant de réduire les coûts environnementaux induits par la production. Toutefois, la valeur des terres rares n’est pas proportionnelle à leur importance stratégique. En effet, en 2008, la valeur des transactions atteignait 1,25 milliards de dollars, au niveau mondial (3 milliards attendus en 2015).

Une stratégie chinoise polymorphe

Pendant 10 ans, la Chine a inondé le marché mondial en terres rares, du fait de coûts de production très bas, la rendant ainsi indispensable. Puis, elle a imposé graduellement des quotas d’exportation, privilégiant son industrie au dépend des industries occidentales. La Chine a ainsi de grandes ambitions dans les technologies vertes (solaire, éolien, etc.), les voitures électriques, les NTIC… mais aussi l’aéronautique et l’armement. Autrement dit, toute industrie « industrialisante » du 21ème siècle. Quatre évènements permettent d’analyser cette stratégie.

En octobre 2009, le rapport interne du Ministry of Industry and Information Technology, portant sur l’évolution stratégique d’ici à 2015 pour le développement des terres rares, a fait état de la volonté de la Chine d’interdire l’exportation de 5 éléments (dysprosium, terbium, thulium, lutétium et yttrium ) et de réduire les volumes exportables pour la douzaine d’autres. Même si les Chinois ont déclaré que ce n’était qu’un document de travail, il s’avère toutefois que deux éléments, le terbium et le dysprosium, allaient être banni d’ici 2011. A partir de 2012, la Chine souhaiterait réserver la totalité de sa production pour son industrie propre. Alors que le pays exportait jusqu’à 75 % de sa production de terres rares au début des années 2000, le chiffre est maintenant de 25 %.

Consommatrice de 80 % des métaux rares de la planète, elle entend structurer mondialement la filière. Outre la réduction des exportations, elle cherche à contrôler les gisements étrangers, comme le démontre la tentative de prise de contrôle du producteur australien Lynas Corporation par China Non-Ferrous Metal Mining en septembre 2009 (échec suite à l’opposition des autorités australiennes). Les Chinois s’appuient généralement sur les faiblesses des entreprises occidentales : petites, sous capitalisées après des années de désinvestissements dans le secteur mais avec des réserves prouvées et probables importantes. En effet, la Chine ne souhaite pas faire la même erreur que l’OPEP suite aux deux chocs pétroliers, dans les années 1970. La forte montée des prix du brut avait permis de capitaliser sur la rente mais avait également déclenché une augmentation des investissements dans l’exploration-production, de la part des firmes et pays occidentaux. La valorisation des gisements en Mer du Nord et dans le Golfe du Mexique a, par la suite, contrebalancé l’influence de l’OPEP.

Par ailleurs, en septembre 2009, le fonds souverain chinois, China Investment Corp., fort de sa puissance financière, a également réfléchi à l’idée de créer sa propre entreprise opérant dans les terres rares, dans le cadre de la restructuration des acteurs de la filière en Mongolie intérieure, principalement Baotou Steel Rare Earth. Celle-ci se révèle être la société structurante de la stratégie chinoise dans les terres rares puisqu’elle concentre, en plus des principales réserves, du savoir-faire technologique de séparation des métaux. Ainsi, le Baotou Research Institute, fort de 300 scientifiques, combine des programmes de recherche civils et militaires. Toutefois, l’opération du CIC semble avoir été stoppée.

Pour finir, en février 2010, le gouvernement régional de Mongolie intérieure a autorisé Baotou Steel Rare Earth, cotée à la bourse de Shanghai mais contrôlée par l’Etat chinois, à créer une réserve stratégique de terres rares, sur 10 sites de stockage, représentant 200 000 tonnes soit plus de 1,5 fois la production mondiale. Le coût estimé est de 3 milliards de dollars et est à rapporter au faible marché des terres rares, en valeur. Il est du simple au double, posant par la même, la question des buts économiques et politiques d’un tel projet.

Ainsi, la stratégie chinoise a pour objectif final de structurer les industries consommatrices de terres rares, au niveau mondial, aiguillant ainsi les investissements vers le territoire national. En effet, la vision court-termisme, symbolisée par le pari sur la hausse des prix, n’étant pas culturellement appropriée pour analyser la stratégie chinoise, il serait préférable de privilégier l’étude des résultats de long terme, à savoir le soutien à des filières industrielles de haute technologie, militaires et civiles, nationales ou étrangères présentes sur le sol chinois, permettant le développement du pays et la captation des bénéfices économiques et politiques. A terme, les industriels étrangers, aillant besoin de terres rares pour leurs produits, seront plus qu’obligés de localiser en Chine leurs lignes de production et leurs technologies.

Concurrence et coopération comme réponses apportées par les Occidentaux

Suite à la volonté chinoise de contingenter les exportations de terres rares, certains gouvernements n’ont pas manqué de rappeler à la Chine le respect des règles du commerce international… quand d’autres ont déjà pris les devants. Par exemple, le Japon dispose déjà de réserves stratégiques de terres rares. La Commission européenne a lancé plusieurs initiatives->http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/10/752&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=fr] visant à cartographier les ressources et les [problématiques d’accès, vital pour les industries européennes.

Aux Etats-Unis, où les conséquences du leadership chinois (économique, militaire, monétaire et politique) sont de plus en plus débattues, la question de la (re)création de stocks stratégiques est à l’étude. Les premiers à avoir mis en exergue la dépendance aux terres rares étaient l’armée américaine et les intérêts industriels liés. Le ministère de la Défense réfléchit à une liste des principaux matériaux stratégiques et certains think tanks se sont appropriés le sujet, avec des analyses et conclusions plus ou moins pragmatiques selon le bord politique.

Les réponses sont également industrielles. En effet, l’intérêt économique (la raréfaction relative fait augmenter les prix, rentabilisant certaines mines jusque-là délaissées) mais également stratégique incitent certains pays, via les changements de législation et les aides financières, et entreprises à relancer l’exploration-production, notamment aux Etats-Unis et en Australie. En octobre 2009, l’Américain Molycorp, l’un des derniers producteurs du pays, a créé la Rare Earth Industry and Technology Association, afin de peser sur le débat national et faire prendre conscience aux politiques de l’intérêt stratégique de favoriser la production américaine (site de Mountain Pass en Californie, fermé en 2002), via des aides financières et des dispositions législatives favorables, en termes de niveaux de pollution autorisés. Actuellement, Bayan Obo (Mongolie intérieure, Chine) est la plus grande mine au monde mais le site de Mountain Pass et Mount Weld (Australie), opéré par Lynas, vont entrer en production très prochainement, permettant d’augmenter et de diversifier géographiquement la production mondiale.

Outre la relance de l’exploration–production, les efforts de recherche et développement des entreprises se sont accentués. Le but est de réduire les quantités de terres rares utilisées, voire de les substituer intégralement. Par exemple, le lithium est devenu une matière première recherchée, dans un contexte de développement des voitures électriques. Certains constructeurs ont ainsi développé des stratégies directes (création d’un pôle amont au sein de l’entreprise, partenariat avec un mineur, etc.) et indirectes (achat de produits de couverture, partenariat avec des sociétés de négoces, etc.) de captation de cette matière, afin de sécuriser leurs approvisionnements. La valorisation des déchets est également devenue une politique active de certains gouvernements (le Japon par exemple) et d’entreprises (téléphonie mobile, etc.) afin de récupérer les matières premières réutilisables.

Néanmoins, la stratégie générale, dans un monde économiquement et politiquement globalisé, est le jeu d’alliances entre producteurs chinois et transformateurs occidentaux. Divers avantages sont recherchés par les acteurs, selon leurs positions : sécurisation des approvisionnements et de la demande, coopération dans l’extraction afin de gagner en efficacité, apports financiers non négligeables dans un secteur capitalistique, etc. Toutefois, la volonté chinoise est de gagner en valeur ajoutée, c’est-à-dire de développer une activité de transformation des terres rares et ne plus être seulement un fournisseur de matières premières. Outre l’accès aux terres rares, l’accès au marché chinois pour les produits semi-finis et finis occidentaux est également mis en avant par les autorités afin d’inciter les entreprises européennes et américaines à développer leurs usines de transformation sur place. Ainsi, dans les années 1990, Rhône-Poulenc, devenu Rhodia (Rhodia Silcea concernant les terres rares), s’est associé au producteur Baotou Luxi, dont il détient 41 %. Il a développé graduellement des centres de production et de R&D, dans la chimie d’application, les composants électriques et électroniques, etc. De même, en octobre 2009, OSRAM, filiale de Siemens spécialisée dans l’éclairage, et China Rare Earth Holdings Ltd. (anciennement Yixing Xinwei Holdings Limited) ont créé une joint venture en Chine, gérée par OSRAM, dans le but de produire et de vendre des produits à base de phosphore pour l’industrie. Ce jeu d’alliances, pour peu qu’il soit sincère, permet un développement gagnant-gagnant, à la fois des partenaires industriels ainsi que des pays.

Néanmoins, ces partenariats ne seront possibles que dans des secteurs où la sécurité nationale n’est pas en jeu. L’alliance d’une entreprise d’armement américaine ou européenne avec un producteur minier chinois n’est donc pas pour demain. Plus globalement, ces derniers mois, divers exemples->http://www.euccc.com.cn/view/static/?sid=5622] sont venus montrer que l’économie reste un sujet éminemment politique, surtout en [Chine. Les enjeux liés aux terres rares ne sont qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.



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