ANALYSES

Cap sur Cancun : le climat de négociation se réchauffe-t-il ?

Tribune
12 juillet 2010
Un début d’année sur la lignée de Copenhague

Copenhague a été caractérisé par un consensus sur le diagnostic, mais une division profonde sur les critères de contrainte de réduction et sur la façon de mener la négociation. Le cadre onusien a largement été ébranlé par la manœuvre d’un accord obtenu à l’arraché le dernier soir du sommet, au plus haut niveau politique. Aujourd’hui la portée politique de cet accord est loin d’être unanimement reconnue. Certains pays d’Amérique du Sud font bloc pour le rejeter, au premier rang desquels les pays de l’ALBA, l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (notamment la Bolivie, le Venezuela, le Nicaragua et Cuba). Seuls 120 pays sur plus de 190 que comptent la Convention Climat l’ont à ce jour officiellement endossé, parmi lesquelles la Chine et l’Inde, mais qui ont pourtant laissé plané le doute pendant plusieurs mois avant d’y faire formellement référence. Nombreux sont depuis les scientifiques et responsables politiques institutionnels qui relèvent le décalage entre l’objectif exprimé – contenir l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe à 2°C d’ici à 2100 par rapport au niveau de l’ère préindustrielle – et le maigre poids des engagements pris. Copenhague a été marqué par l’expression d’un profond fossé entre les pays du Nord et les pays du Sud, et par une mise en péril du processus de négociation et du rôle des Nations Unies étant donné les conditions contestables et surtout extrêmement tendues dans lequel l’accord a finalement été révélé.
Dans les six mois qui ont suivi Copenhague, un certain nombre d’évènements ont confirmé cette tendance à la méfiance qui touche plusieurs domaines. Tout d’abord les relations entre Etats, avec une grille de lecture Nord-Sud qui s’affirme alors qu’au sein de ces deux « blocs » les intérêts et les postures sont loin d’être en tous points convergentes. Ensuite le cadre onusien « à bout de souffle » (expression de Nicolas Sarkozy) montré du doigt : la démission du secrétaire général de la Convention Climat, Yvo de Boer, en février dernier, a été en cela un épisode révélateur. Enfin, le vent de climato-scepticisme qui a cours depuis le sommet et qui a particulièrement touché le GIEC, mis en au cause pour des erreurs de malveillance.

Réunion d’étape à Bonn : un nouveau départ ?

A Bonn au début du mois de juin, le climat se voulait à l’apaisement. La personnalité de la nouvelle secrétaire générale de la convention climat des Nations Unies, Christina Figueres, a été portée sur le devant de la scène onusienne avant la fin du mandat de Yvo de Boer, qui vient de passer officiellement le flambeau le 1er juillet dernier. D’origine costaricaine, Christina Figueres a été préférée notamment grâce à l’appui reçu par de nombreux petits pays. Divers symboles autour de sa nomination : d’une part son origine, un pays dans le « bloc » des pays du Sud, et surtout un petit Etat qui s’est engagé lui-même à être neutre en carbone dès 2021. D’autre part son parcours : elle a fondé en 1995 le Centre de développement durable dans les Amériques, une organisation qui a pour but d’accompagner la mise en œuvre de mesures de lutte contre le réchauffement climatique dans des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, puis elle a été représentante de son pays et de son continent dans les négociations. Cette nomination relève d’une volonté de redonner des gages de confiance aux pays du Sud qui ont dénoncé la façon dont avait opéré la délégation danoise à Copenhague face à laquelle l’inertie du secrétaire général avait été dénoncée. Les profils et parcours de la nouvelle « Madame Climat » sont de nature à une meilleure atmosphère de travail et à un moindre sentiment de sous représentation des intérêts des pays du Sud.
Un texte de négociation avait été présenté le 17 mai dernier, rédigé par la zimbabwéenne Margaret Mukahanana-Sangarwe, puis retravaillé à Bonn. La conférence s’était ouverte le 31 mai dernier sur fond de rejet du texte originel présenté mi-mai, par certains pays latino-américains sous prétexte que celui-ci portait bien trop d’allusions et de caractéristiques de l’accord de Copenhague. Finalement, le texte agréé le 11 juin sur lequel se poursuivent les négociations ne fait aucune mention de Copenhague, ni de Kyoto d’ailleurs.

Des précisions ont été apportées dans le texte en discussion, notamment des objectifs chiffrés soit une réduction des émissions mondiales « d’au moins 50 à 85% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2050 » et une réduction pour les nations développées « d’au moins 80 à 95% d’ici à 2050 par rapport à 1990 » . Parmi les signes de détente, on relève le fait que les Etats-Unis ont finalement accepté que le Fonds verts d’aide aux pays en développement ne soit pas administré par la Banque mondiale. La délégation mexicaine devrait mettre l’accent sur ce point, à savoir la question du financement de l’aide. C’est en effet le Mexique qui est à l’origine de la proposition de création d’un fonds vert universel, un fonds multilatéral, qui permettrait de financer des actions sur la base d’un prélèvement fondé sur un barème tenant compte du volume des émissions et sur le PIB des pays contributeurs. Mais néanmoins aucune question importante n’a été résolue à Bonn, et en premier le montant des fonds à récolter, le niveau des financements promis et leur période d’engagement. Quant au protocole de Kyoto, sa survie est en cause et cela contribue à alimenter considérablement les griefs des pays en développement.

Cap Cancun : des blocages persistants

Après le climat rigoureux de Copenhague, qui s’est traduit dans la négociation et dans la faiblesse de l’accord final, la chaleur de Cancun va-t-elle réchauffer les esprits ? Des divergences ont fait jour au lendemain de cette étape importante de Bonn. Certains voient des signes d’apaisement dans le climat de négociation, avec des discussions plus constructives.
Ce qui est sûr est qu’il n’y aura pas de déception à Cancun. Et pour cause, le pessimisme est de mise depuis Copenhague, et moins les attentes sont importantes, moins les désillusions seront grandes. Le calendrier américain est tout sauf propice à une administration Obama forte au Mexique. La réforme de la santé a fait payer un lourd tribut à Obama, et c’est aujourd’hui l’affaire de la marée noire dans le golfe du Mexique qui porte atteinte à son capital politique. Les élections de mi-mandat prévues en novembre prochain, peu avant l’ouverture de la conférence de Cancun, seront déterminantes afin de disposer ou non d’une marge suffisante pour faire valoir sa position dans le cadre onusien. Si l’administration Obama semble encline à agir en matière de lutte contre le réchauffement climatique, et on l’a vu récemment dans le cadre de l’affaire BP qui a donné à Obama l’occasion de faire valoir son engagement en faveur d’une économie plus verte, elle ne peut rien faire si l’opinion publique et la classe politique ne suivent pas.
Le volet atténuation apparaît dans une impasse profonde. Les pays du Sud continuent de dénoncer l’insuffisance d’ambition des engagements de réduction des pays industrialisés, les Etats-Unis en premier lieu bien sûr. Les pays émergents refusent quant à eux toute contrainte de réduction chiffrée et quantifiable de leurs émissions, arguant de la responsabilité historique des pays développés. De fait, c’est plutôt le volet adaptation qui est susceptible de créer du consensus à Cancun. Yvo de Boer l’a souligné en mai dernier « Cancun peut aboutir à un résultat si les promesses d’aide sont tenues ». Mais là encore l’incertitude est grande. Il suffit de s’en tenir au débat actuel qui domine dans les pays industrialisés, celui d’une nécessaire baisse des déficits budgétaires qui se prête mal à une politique volontariste d’accompagnement et de financement pour aider à l’adaptation des pays les plus vulnérables.

Si la méfiance persiste, il n’y a pas eu à Bonn de blocage diplomatique fondamental. Mais plus personne ne croit en l’option d’obtenir un accord juridiquement contraignant à Cancun. De l’aveu de tous à Bonn, il ne faut pas s’attendre à ce que 2010 soit l’année d’avancées significatives. Certains espèrent un rebond symbolique en 2012 à Rio, 20 ans après le sommet fondateur. Prenons dans ce cas notre mal en patience…