ANALYSES

Hongrie : d’élève modèle à révélateur des problématiques européennes

Tribune
25 juin 2010
D’importantes fragilités exacerbées par une crise politique

En réalité, une fois l’adhésion à l’Union européenne acquise, et l’application des critères du Pacte de Stabilité effective, les déséquilibres macroéconomiques du pays sont rapidement mis en lumière : épargne insuffisante, déficit public excessif et taux d’inflation élevé.

En 2006, le socialiste Ferenc Gyurcsány remporte les élections législatives et forme un gouvernement de coalition avec l’Alliance des démocrates libres (SzDSz).
La lune de miel avec le peuple hongrois est de courte durée, des propos peu élégants tenus au cours d’une réunion à huis clos de son parti sont retransmis par la Radio publique nationale. M. Gyurcsány reconnaît avoir trompé les électeurs pendant la campagne électorale sur l’état de l’économie hongroise. Cet aveu provoque de violentes émeutes dans les rues de Budapest, où les manifestants réclament la démission du Premier ministre. S’ajoute donc à la crise économique que traverse le pays une période de crise politique. Le gouvernement est contraint de mener une politique de rigueur – très éloignée des promesses électorales –, qui va sensiblement affecter la croissance. Malgré le désaveu de la population, le gouvernement de Gyurcsány – lâché par le SzDSz en 2008 – reste en place jusqu’en 2009, quand il se résigne à donner sa démission.
Entre temps, un nouveau cataclysme s’est abattu sur la Hongrie : la crise financière de 2008, dont le pays, déjà très fragilisé, est l’une des premières victimes.

La crise économique donne le coup de grâce
L’Etat hongrois est sauvé de la faillite par le FMI et l’UE à la fin de l’année 2008 grâce à un prêt (1) d’urgence de plus de 20 milliards d’euros, conditionné à une série de réformes draconiennes des finances publiques du pays. Le 21 mars 2009, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány démissionne en pleine crise économique, laissant la main à un « gouvernement de crise » composé de techniciens et dirigé par Gordon Bajnai, ancien ministre de l’Economie.
Disposant d’un mandat d’un an jusqu’aux élections législatives du printemps 2010, le défi est colossal.
C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les élections législatives, les 11 et 25 avril derniers, qui accordent un succès « historique » au Parti Fidesz (droite conservatrice) mené par Viktor Orban. Son parti a en effet remporté plus des deux tiers des sièges de la chambre des députés (263 sièges sur 386), assurant au nouveau gouvernement une marge de manœuvre interne plus que confortable et notamment la possibilité de modifier à souhait la Constitution hongroise. Ces élections sont également marquées par la percée du parti anti-européen Jobbik (constitué depuis 2007 autour de la Garde hongroise, organisation paramilitaire en principe interdite, voulant défendre le sol hongrois contre les populations sémites et tsiganes), qui devient la troisième force parlementaire avec 16,7% des voix et 47 députés.

Tendances nationalistes et incertitudes économiques
Victor Orban n’est pas inconnu de la scène politique hongroise. Ce dernier a en effet déjà été Premier ministre entre 1998 et 2002, laissant un souvenir assez mitigé dans les chancelleries occidentales pour ses sorties nationalistes teintées parfois d’anti-sémitisme.
Lors de la campagne électorale M. Orban n’a pas hésité à jouer la carte nationaliste. Il a ainsi affirmé vouloir renégocier les conditions de l’accord de 2008 avec le FMI (2), mettre un terme aux privatisations et au flux d’investissements étrangers jugé trop important (3), ou encore créer un million d’emplois (pour un pays comptant 10 millions d’habitants, cela paraît assez difficile…). En matière de politique étrangère, sa décision (4) d’accorder la nationalité hongroise aux minorités magyares vivant à l’étranger a déjà provoqué une crise diplomatique avec son voisin slovaque.
Autant de promesses qui semblent impossible à tenir.

Quelques jours après l’investiture du nouveau gouvernement, le secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, Mihaly Varga, a affirmé qu’il y avait peu de chances que la Hongrie échappe à une crise budgétaire similaire à celle de la Grèce, laissant entendre que le déficit budgétaire atteindrait les 7,5%, au lieu des 3,8% annoncés. Ces déclarations ont jeté les marchés boursiers dans la panique, et contribué à l’affaiblissement de l’euro, malgré la non participation de la Hongrie à la monnaie unique européenne.

Quels enseignements des élections en Hongrie peuvent être retenus ?
Tout d’abord, une inquiétante montée du populisme. Même si Victor Orban s’est employé ces derniers mois à rassurer les gouvernements occidentaux, les tensions avec la Slovaquie sur la protection des minorités hongroises sont inquiétantes. De plus, l’importance prise dans le paysage politique national par le Jobbik, un parti ouvertement xénophobe, est préoccupant. Ces deux résultats sont certes dus en large partie à l’insatisfaction d’une opinion publique lassée par la corruption et l’inefficacité du gouvernement socialiste, mais force est de constater que les différents plans de rigueur imposés à la population ont accouché d’une montée du populisme. Un constat peu rassurant lorsque l’on sait que l’ensemble des pays d’Europe occidentale tendent actuellement à déployer des plans de ce type.

Ainsi, en 2012, après deux ans de plans de rigueur, la Grèce comme d’autres pays européens pourraient bien ressembler à la Hongrie de 2010, situation qui n’arrangerait en rien le processus de développement de l’Union européenne.
En ce qui concerne les perspectives économiques du pays, le gouvernement hongrois s’est employé à rassurer les marchés suite aux déclarations de Mihaly Varga. Le doute sur la finalité de ces déclarations persiste (n’étaient-elles pas volontairement fausses ?). En effet, comment un pays surveillé de près depuis deux ans par l’Union européenne et le FMI aurait-il pu truquer ses comptes ? Ne s’agit-il pas là d’une tentative de provoquer une situation de crise permettant à M. Orban de revenir sur ses promesses ? Toujours est-il que depuis ces malheureuses déclarations, la monnaie nationale, le Forint, s’est effondré, et de nouveaux efforts de rigueur sont annoncés, les promesses électorales étant passées au second plan. La population hongroise à laquelle on demande de nouveaux efforts, risque bien de se radicaliser davantage…

1) Le FMI, l’UE et la Banque mondiale se sont accordés, en novembre 2008, sur l’octroi de 25,1 milliards de dollars en faveur de la Hongrie.
(2) Au lendemain de sa victoire aux élections législatives, le chef du Fidesz, V. Orban déclarait ainsi que le FMI et l’UE « ne sont pas [leurs] patrons, mais [leurs] partenaires ».
(3) V. Orban n’a cessé d’invoquer la « préférence nationale » comme parade à la faillite du pays, se démarquant ainsi du parti socialiste accusé d’avoir ouvert à l’extrême les portes du pays aux multinationales.
(4) V. Orban a soumis le 17 mai aux députés une proposition de loi pour accorder la nationalité hongroise à 3,5 millions de magyarophones vivant hors des frontières. Elle pourrait être adoptée le 20 août, jour de la fête nationale hongroise, et entrer en vigueur le 1er janvier 2011, le jour même où la Hongrie assumera la présidence de l’Union européenne pour six mois.