ANALYSES

Marée noire du Golfe du Mexique : crise existentielle de la production offshore.

Tribune
2 juin 2010
La crise existentielle de BP et de la production offshore

L’image de BP aux Etats-Unis, en termes de sécurité des installations, est très dégradée depuis quelques années et l’explosion de Deepwater Horizon n’est que le prolongement d’une série de catastrophes : explosion de la raffinerie de Texas City en 2005 (15 morts et 180 blessés), plate-forme de forage Thunder Horse endommagée par des cyclones en 2005, problèmes de maintenance dans le réseau de pipelines en Alaska en 2006 et au-delà, etc.

En 2007, le U.S. Chemical Safety and Hazard Investigation Board (régulateur en charge de la surveillance des installations industrielles) a publié un rapport à charge contre BP montrant que les problèmes de sécurité étaient intrinsèques à l’entreprise. Néanmoins, dans le cas de la fuite de pétrole dans le Golfe du Mexique, les problèmes de sécurité ont, semble-t-il, été le résultat d’une politique laxiste du Minerals Management Service (MMS, le régulateur américain en charge des questions de sécurité des plateformes pétrolières), elle-même la résultante de huit années d’Administration Bush, favorable aux intérêts des pétroliers.

Dans l’article Sex, Lies and Oil Spills, Robert F. Kennedy Jr. rappelle la posture idéologique de Dick Cheney afin de favoriser les intérêts des pétroliers américains, facilitant, par exemple, l’exploration-production avec des obligations sécuritaires moindres. Des enquêtes sont actuellement menées au sein du MMS pour caractériser ce qu’un responsable a appelé une « culture de faillite morale » : au mieux, le caractère dilettante ; au pire, un vaste processus de corruption privilégiant les pétroliers.

Plusieurs règles ont été enfreintes par BP, selon les premiers rapports d’enquête du régulateur et du Congrès : omission d’installer une vanne de fermeture au fond du puits, absence d’interruption automatique du forage en cas d’incident, etc.
L’offshore profond, nouvelle frontière pétrolière.

Certains auraient pu caractériser la catastrophe actuelle d’épiphénomène. Pourtant, l’explosion de Deepwater Horizon a coûté la vie à onze personnes, provoquée une marée noire via une fuite de pétrole évaluée entre 5 000 et 25 000 barils par jour, selon les différents acteurs… Le coût financier est conséquent pour BP et ses actionnaires (baisse de 47 milliards de dollars de la capitalisation boursière entre le 20 avril et le 25 mai, sans parler des sommes pour le nettoyage, des répercussions en terme d’image, etc.).

De plus, la catastrophe met en exergue le caractère central de la production pétrolière offshore et également sa fragilité. En 2009, un tiers de la production pétrolière mondiale est de cette manière. Les avancées technologiques permettent de forer à plusieurs milliers de mètres de profondeur actuellement, contre 1 000 mètres en 1999. Et de plus en plus loin des côtes…

L’exemple des gisements pre-salt brésiliens est de ce point de vue révélateur : 2 000 mètres d’eau, 1000 mètres de roche, 1500 mètres d’une couche de sel. Le pétrole est donc accessible entre 5000 et 6000 mètres de profondeur.

De plus, les Etats-Unis sont le troisième producteur mondial (8,5 millions de barils/jour environ), dont un tiers provient du Golfe du Mexique. Cette zone est donc cruciale à deux niveaux. D’un côté, le progrès technologique (techniques sismiques 4-D, etc.) permet de nouvelles découvertes. De l’autre, les Etats-Unis n’ayant pas ratifié la Convention de Montago Bay (1982) sur le droit de la mer (relatif notamment à la définition des zones économiques spéciales et les fonds marins), ils se réservent le droit d’explorer des zones potentiellement riches revendiquées par d’autres, comme le Mexique.

Par ailleurs, BP est un acteur majeur dans la zone, notamment depuis le rachat du pétrolier américain Amoco en 1998. La compagnie britannique a découvert, en 2009, le mégachamp pétrolier de Tiber (3 à 4 milliards de barils estimés), relançant l’exploration dans le Golfe.
L’Administration Obama et le pragmatisme américain

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la proposition d’Obama, en mars 2010, d’ouvrir l’exploration pétrogazière au large d’une zone allant de la Virginie à la Floride. Certaines parties de l’Est du Golfe du Mexique et de l’Alaska sont également concernées. Cette idée vient en fait conforter la décision prise par Georges W. Bush, en octobre 2008, de mettre fin à un moratoire de 20 ans sur l’exploration de nouvelles zones.

Proposition décriée, Obama ne fait finalement que perpétuer la relation délicate des Etats-Unis avec le pétrole et les compagnies pétrolières, notamment BP, savent avoir l’oreille du régulateur, le secrétaire à l’Energie->http://www.nytimes.com/2010/05/26/us/politics/26energy.html?src=twt&twt=nytimesbusiness] en tête… Toutefois, le 27 mai, un [moratoire de 6 mois de l’exploration offshore a été annoncé ainsi que la suspension de celle-ci en Alaska.

La crise existentielle, pour reprendre les mots du ministre de l’Intérieur américain, est donc bien réelle d’où la volonté de l’Administration de renforcer le pouvoir du Minerals Management Service et le rendre crédible. Les mois qui suivront nous donneront une bonne appréciation de la tendance voulue par Obama, jonglant entre les obligations de sécurité de la production offshore et celles de la sécurité des approvisionnements. Les problématiques de compétitivité des entreprises américaines sont également en jeu sur ce créneau porteur, à l’heure où il connaît un fort développement (dizaines de milliards de dollars d’investissements programmés au Brésil, Golfe de Guinée, Angola, etc.).

Concernant BP, pour sûr que la firme va trouver une résolution à l’américaine : excuses publiques, amendes gouvernementales, accord juridique avec les acteurs ayant souffert de la marée noire (pêcheurs, ostréiculteurs, industrie du tourisme, etc.)… Avec au bout, la rédemption… et quelques milliards de dollars en moins.