ANALYSES

30 mai 2010, Colombie : Une alternance présidentielle est-elle possible ?

Tribune
28 mai 2010
De quelle alternance, si alternance il y a, parle-t-on ? Le personnage n’est pas neuf politiquement, même si sa candidature a pris de court les coureurs de fond de la vie politique colombienne, conservateurs, libéraux, « uribistes » et progressiste du Pôle démocratique. Antanas Mockus a en effet été maire de la capitale, Bogota, à deux reprises, de 1995 à 1997 et de 2001 à 2004. Il s’est déjà présenté aux présidentielles en 1998 et en 2006. Il est idéologiquement indéfinissable et ne rentre dans aucun cadre préétabli. Son engagement écologique d’aujourd’hui est récent. Il date d’octobre 2009, quand a été officiellement constitué le parti vert colombien. Ses candidatures antérieures étaient « mockusiennes ». Celle de 2006, au nom de « l’Alliance sociale Indigène », revendiquait la défense des cultures autochtones, dont alors on parlait beaucoup. Cette fluidité idéologique, personnalise son engagement. Elle le rapproche du modèle habituel des candidatures présidentielles en Colombie où les étiquettes ne sont pas le plus important des campagnes électorales. Le président sortant, Alvaro Uribe, est un transfuge du libéralisme. Ses épigones se disent « uribistes ». La sénatrice Ingrid Betancourt, en quête de notoriété après avoir essayé plusieurs étiquettes avait préparé sa candidature présidentielle de 2002 en adoptant une casaque verte celle du parti, « Oxygène vert », déjà, constitué pour l’occasion en 2001. Saluée par le mouvement vert international à l’époque, cette formation a disparu, emportée par les circonstances politiques du moment, la demande de sécurité après l’échec des négociations avec la guérilla des Farc et par les conséquences de l’enlèvement de la sénatrice par la guérilla en février 2002. Les associations environnementales colombiennes ont découvert à leur dépens la plasticité du personnage Mockus. Elles ont proposé sur le modèle de leurs homologues français aux différents candidats de signer un pacte environnemental. Le candidat de la droite démocratique, Germán Vargas, l’a le premier signé le 8 février 2010. La conservatrice Noemi Sanin, a paraphé le document deux jours plus tard, le 10 février. Gustavo Petro porteur des couleurs du Pôle démocratique, la gauche unie, a suivi le mouvement, le 23 février. Le 22 avril, jour international de la terre, ils ont été rejoints par Juan Manuel Santos, le candidat officiel et le libéral Rafael Pardo. Seul à ce jour, le 26 mai 2010, quatre jours donc avant la présidentielle, le candidat « vert », tout en se disant d’accord en termes généraux, n’a pas officiellement et explicitement apporté son soutien à ce pacte environnemental.

Alors si cette candidature n’est ni verte, ni de droite, ni de gauche, est-il légitime de parler d’alternance au cas où elle vaincrait ? La réponse est incontestablement positive. Antanas Mockus certes prend des libertés avec les étiquettes politiques. Mais l’alternance qu’il propose est pourtant bien réelle et novatrice. Elle s’appuie sur son bilan d’élu local, comme sur celui d’anciens maires de Bogota et de Medellin qui lui ont apporté leur soutien. Tous, lui-même, Lucho Garzón (alors membre du Pôle démocratique), et Enrique Peñalosa (alors libéral), à Bogota, comme Sergio Fajardo (indépendant) à Medellin, ont démontré que l’on pouvait faire de la bonne gestion en dépit du contexte et d’héritages mêlant clientélismes et violences. Tous ont mis en avant la nécessité pour aller de l’avant de construire une culture citoyenne fondée sur le respect de règles collectives transparentes. C’est ce message là que Mockus défend becs et ongles tout au long de sa campagne. Il a inscrit son projet dans la continuité des présidences antérieures. Mais il rejette les manquements à la loi de ses prédécesseurs. Le premier magistrat de la république ne peut dit-il sous aucun prétexte, même les meilleurs, manquer à la loi. Or si les Colombiens ont plébiscité la politique sécuritaire d’Alvaro Uribe, ils ont de plus en plus mal vécu ces derniers temps une accumulation de scandales liés à son application : extension des écoutes téléphoniques, pratique d’exécutions extrajudiciaires par les forces de l’ordre, collusion d’élus « uribistes » avec le paramilitarisme et le trafic de stupéfiants. Dans la plupart de ses apparitions publiques et télévisées Antanas Mockus arrive avec la Constitution sous le bras, ostensiblement montrée en cours de réunion ou de programme. Il refuse tout arrangement avec d’autres candidats, dans l’attente d’un vote massif lui permettant d’imposer à ses futurs alliés du deuxième tour une autre façon de faire la politique.

Les sondages lui donnent raison. Les électeurs paraissent majoritairement d’accord avec le message. Les jeunes en particulier et les urbains séduits par son style non-conformiste et son recours aux moyens modernes de communication. Le vert plus qu’un engagement environnemental est revendiqué comme une marque. Facebook, Tweeter, sont utilisée massivement au point qu’Antanas Mockus figure dans le peloton de tête des sites politiques consultés dans le monde. Mais il convient de raison garder. La Colombie est encore un pays de ruralité. C’est aussi un pays de pauvreté et de fortes inégalités. Tout le monde n’a pas accès à internet, à la campagne, mais aussi dans les périphéries urbaines. Le 14 mars dernier les Colombiens ont déjà voté pour élire leurs députés. A ce jour, le 26 mai, plus de deux mois après la consultation, seule l’élection de 57 congressistes sur 268 a été validée. Les contestations sont à l’origine de cette situation. Les résultats officieux ont en effet révélé la perpétuation dans les périphéries rurales et urbaines de pressions, menaces et pratiques clientélistes ayant provoqué une distorsion de l’expression du suffrage universel. León Valencia, directeur de l’ONG Arco Iris (arc en ciel), fait le constat de la perpétuation de ce qu’en Colombie on appelle la « parapolitique », la corruption politique. Un grand nombre d’élus doivent, selon lui, leur élection au soutien reçu de groupes mafieux et paramilitaires, idéologiquement proches du pouvoir. « Le phénomène, conclut-il, s’est répété, en dépit du travail des chercheurs, des médias et de la justice » . Du 14 mars au 20 juin, date du deuxième tour des présidentielles, il n’y a que quelques semaines. Rien n’interdit de penser que les accidents électoraux constatés le 14 mars ne viennent se répéter le 20 juin. L’alternance, la victoire éventuelle d’Antanas Mockus, alternance éthique plus qu’écologique, suppose au soir du 30 mai, le premier tour, l’évidence d’un matelas de voix, créateur d’un écart insurmontable pour son adversaire du deuxième tour.