ANALYSES

Amérique latine et Union européenne, 18 mai, un sixième sommet à contre-pied ?

Tribune
12 mai 2010
Dés 1985, date de signature du traité d’élargissement, Madrid avait introduit un article signalant l’importance pour l’Europe de l’Amérique latine. Les festivités du cinquième centenaire de la découverte des deux mondes avaient consolidé au tournant des années 1992 la main espagnole. Les sommets bilatéraux, dits ibéro-américains mis en place en 1991, avaient préparé l’invention de sommets Union européenne-Amérique latine. Les Latino-Américains soucieux de diversifier leurs partenariats avaient saisi l’opportunité espagnole comme une porte d’entrée vers l’Europe.

Incontestablement l’Espagne a joué là une carte stratégique. En quelques années elle est devenue le deuxième investisseur en stock d’Amérique latine. Téléphonie, banque, énergie, travaux publics ses entreprises ont trouvé là un terrain d’expansion qui leur a permis d’amortir le choc de la crise actuelle. La banque Santander aujourd’hui l’une des premières d’Europe doit ce bon résultat à sa présence en Amérique latine. Quant aux Latino-Américains dans une phase initiale ils ont trouvé dans la transition espagnole, démocratique comme économique, une sorte de modèle. Mais au tournant des années 1990 l’Amérique latine a découvert l’Asie. Et l’Europe, élargie à l’Est peu après l’implosion du bloc soviétique a perdu son nord diplomatique. Le calendrier euro-latino-américain a pourtant respecté la lettre des compromis négociés. Un deuxième, puis un troisième, un quatrième et un cinquième sommets ont réuni les pays des deux continents. Le sixième vient à son heure, le 18 mai 2010. Mais la mécanique des complicités ou plus modestement des complémentarités brasse de plus en plus de mots ayant perdu beaucoup de leur contenu initial.

Il est vrai que l’Amérique latine a changé. Et que l’Europe de 2010 n’est plus celle de 1986. Trois évènements récents reflètent l’évolution des rapports mutuels. Le premier concerne la coopération scientifique. « L’ESO », organisation européenne d’investigation astronomique, cherchait un lieu pour installer son télescope géant (ou « E-ELT »). L’Espagne qui préside l’Union européenne proposait un site dans l’île canarienne de La Palma. Le Chili offrait une autre option sur le Cerro Armazones. Cette dernière l’a finalement emporté. Le Brésil dont la participation était sollicitée par l’ESO a conditionné son adhésion au projet à une localisation sud-américaine. Quelques jours plus tard Espagne et Brésil ont à nouveau divergé sur le périmètre du sommet Europe-Amérique latine des 18 et 19 mai. La présidence espagnole de l’Union et Bruxelles entendaient, à l’européenne, organiser un sommet œcuménique. Tout le monde, dans cet esprit, aurait du pouvoir figurer sur la photo, le vénézuélien Hugo Chavez comme le Colombien Alvaro Uribe, le Bolivien Evo Morales comme le mexicain Felipe Calderón. Mais le 4 mai 2010 réunis en sommet les pays de l’Unasur (union des nations d’Amérique du sud) avaient signalé sur proposition brésilienne qu’ils ne participeraient pas à ce sommet si le chef d’Etat hondurien, Porfirio Lobo, élu après un coup d’Etat ayant écarté le président en exercice, était invité. Quelques heures plus tard Porfirio Lobo annonçait qu’il n’assisterait pas à ce sommet. La même semaine cinq pays latino-américains, l’Argentine, la Colombie, Cuba, le Mexique, et le Pérou, de façon inédite, à Genève devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, ont interpellé l’Espagne sur les séquelles des crimes du régime franquiste.

L’Amérique latine hier était demandeuse de coopération. Elle entend désormais être considérée comme un partenaire. Les Etats-Unis qui ont toujours su combiner morale et rapports de force l’ont bien compris. Thomas Shannon, ambassadeur des Etats-Unis à Brasilia, ancien responsable de la zone dans l’administration Bush, a déclaré le 5 mai dernier que son pays « ne souhaite pas avoir des relations avec les pays soumis (..), mais avec des pays forts, capables d’exprimer leurs intérêts ». Sur l’Iran (pays que doit visiter bientôt le président Lula), « nous avons le même objectif même si nous différons sur la méthode. En maintenant nos conversations, de façon directe et ouverte, le Brésil et les Etats-Unis peuvent mieux comprendre la réalité » .