ANALYSES

Vers une nouvelle guerre des étoiles ?

Tribune
7 mai 2010
L’émergence du fait nucléaire avait semblé figer les doctrines stratégiques pendant quelques décennies. La ‘Guerre des Étoiles’ de Reagan préfigurait pourtant de nouveaux concepts, basés sur un recours exacerbé à la technologie. Il y avait en fait un bouillonnement peu visible, qui a amené l’émergence d’autres manières de penser les conflits. Parmi celles-ci, la Revolution in Military Affairs (RMA), mise en avant par Andrew Marshall, conseiller en matière de stratégie de tous les Présidents américains depuis 1973. L’idée générale est de mener les guerres conventionnelles de la même manière que les conflits nucléaires, en gérant au plus haut niveau quelques missiles plutôt que d’envoyer des troupes sur le terrain. Les notions de ‘champ de bataille’ et de ‘ligne de front’ disparaissent. Dans les conflits asymétriques, nouvelle source de préoccupation, le renseignement est primordial, mais sa durée de validité est très faible, ce qui impose de pouvoir frapper la cible presque instantanément. Seuls les missiles ne nécessitent pas de déploiement préalable et ont cette rapidité de réaction.

Sur le plan pratique, cela amène à faire porter l’essentiel de la défense sur deux axes, au détriment de pratiquement tout le reste. L’axe défensif vise à créer au-dessus du territoire national un ‘couvercle’ étanche, basé sur un réseau de missiles intercepteurs capables de détruire tout missile ennemi. Ce fut la National missile defense , dont l’acte de naissance fut signé en 1999 par Clinton, mais ne prit vraiment son essor que sous la présidence Bush Jr. La menace prise en compte est limitée à quelques missiles que pourrait utiliser un des ‘Etats voyous’. L’axe offensif vise à donner la capacité de frapper, partout dans le monde et au départ du territoire national, avec une arme conventionnelle lourde de très grande précision. La frappe doit pouvoir intervenir moins de deux heures après la localisation de l’objectif. Moins connu que les antimissiles, le programme Prompt Global Strike se basera dans un premier temps sur des missiles nucléaires modifiés pour emmener des armes non nucléaires (mais de moins en moins ‘conventionnelles’), avant de donner naissance à des missiles de croisière (non balistiques) hypersoniques à très grand rayon d’action.

Le déploiement du bouclier antimissile a déjà provoqué des réactions très négatives de la part des Russes et des Chinois. Le Prompt Global Strike ne leur plaira pas non plus. Cette nouvelle arme étant très difficile à distinguer d’un vecteur nucléaire, son lancement risquerait même de provoquer un déclenchement de la riposte nucléaire. Le nouveau traité START envisage ce type d’armes, mais les Russes ont exigé et obtenu qu’elles soient comptabilisées de manière transparente et que leur déploiement se fasse sur la base du remplacement un pour un de missiles nucléaires.

Le déploiement opérationnel de ce binôme défensif/offensif ne pourra se faire sans avancées technologiques très importantes et les investissements nécessaires sont énormes. Les dirigeants pékinois considèrent que l’une des causes de l’effondrement de l’URSS était l’effort qui avait du être fait par le Kremlin pour tenter de suivre la course à la technologie imposée par la Guerre des Étoiles. La Chine n’était pas concernée à l’époque. Elle l’est maintenant, davantage que la Russie, et ses responsables sont persuadés qu’ils ne pourront pas suivre.