ANALYSES

La représentation internationale de l’Union européenne : l’unité dans la diversité ?

Tribune
6 avril 2010
L’institution d’un président stable au Conseil européen ainsi que d’un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ouvre théoriquement la voie à une reconfiguration du rôle international de l’Union européenne, à travers une capacité juridique renforcée et une représentation mieux incarnée. Or, la création de ces deux nouvelles figures internationales n’a pas mis fin à l’éclatement de la représentation et de l’action extérieure de l’Union européenne. Ces novations institutionnelles n’ont pas réglé la question de la répartition précise des rôles en matière de représentation internationale de l’Union européenne. L’article 15 TUE indique seulement que le Président du Conseil européen « assure à son niveau et en sa qualité la représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la PESC, sans préjudice des attributions du Haut Représentant ». Nulle compétence particulière n’est reconnue expressément au Président du Conseil européen (M. Herman Van Rompuy). Pourtant, celui-ci a indiqué qu’il irait au prochain sommet du G20, prévu en juin 2010 à Toronto, aux côtés du président de la Commission, José Manuel Barroso et de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, assurée ce semestre par le Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero. Siègeront également de droit les dirigeants des quatre plus importantes économies européennes en termes de PNB : Allemagne, France, Royaume Uni et Italie. Ainsi, il ne s’agit pas moins de sept personnalités qui représenteront tout ou partie des intérêts européens lors de ce quatrième sommet du G20. Une vision individuelle ou purement nationale risque à nouveau de prendre le pas sur une approche générale, collective et unique des intérêts européens, à supposer que ceux-ci existent ou du moins puissent être définis. Selon M. Lamy, « la bonne solution, (…) c’est d’au moins s’assurer qu’ils (les Européens) s’expriment au travers d’une seule bouche – et pas d’une seule voix – sur chacun des sujets à l’ordre du jour ». Le directeur général de l’OMC, qui siège lui-même à ce titre au G20, s’est dit « certain que c’était à cela que Van Rompuy voulait parvenir », car si la position européenne n’est pas « exprimée par une seule bouche, cela ne marche pas ». Les Etats membres sont-ils prêts à céder leur propre représentation nationale en faveur d’une représentation européenne unique ?

La question revêt une dimension particulière en matière de commerce international. D’abord, du fait de l’importance du libre-échange dans une économie mondialisée. Ensuite, la crise sera encore à l’ordre du jour du prochain G20. Enfin, l’Union européenne exerce une compétence exclusive pour établir les règles de la politique commerciale commune (art. 3 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). C’est pourquoi l’Union européenne mène pour le compte de la France et des autres Etats membres des négociations commerciales tant multilatérales (dans l’enceinte de l’OMC) que bilatérales (l’Union européenne conclut des accords bilatéraux avec d’autres pays ou régions du monde). Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les Communautés européennes disposaient déjà de prérogatives conventionnelles très étendues. Pour s’en tenir à la seule Communauté européenne, celle-ci bénéficia d’une extension de sa capacité conventionnelle manifeste. Initialement elle ne pouvait conclure que des accords de commerce et des accords d’association dont au demeurant pour ces derniers on voit difficilement qui d’autres qu’elle-même eût pu les conclure. La notion d’accord de commerce a acquis un champ de plus en plus vaste (1), englobant en particulier les formes nouvelles et diversifiées du commerce international. Ensuite et relativement tôt, la Cour de justice a ouvert largement les vannes de la compétence communautaire avec la célèbre théorie du parallélisme entre la compétence interne et la compétence externe (2). Les Etats se sont ainsi vus retirer des champs de compétence considérables, ce qui explique au demeurant la réaction de la Cour avec l’avis 1/94 (3) qui a paru rééquilibrer la situation au profit des Etats encore que les arrêts Open Sky (4) peuvent légitimement faire penser à un certain retour à la jurisprudence antérieure.

Sur le plan des négociations commerciales multilatérales, l’Union européenne est membre à part entière de l’OMC, comme chacun de ses 27 États membres — ce qui représente 28 Membres au total. Les États membres coordonnent leur position à Bruxelles et à Genève, mais seule la Commission européenne — l’organe exécutif de l’UE — s’exprime au nom de l’UE et de ses membres à presque toutes les réunions de l’OMC et pour presque toutes les questions traitées à l’OMC. Néanmoins, il est parfois spécifiquement question de tel ou tel État membre, en particulier lorsque sa législation diffère de celles des autres. C’est le cas dans certains différends lorsqu’une loi ou une mesure d’un membre de l’UE est invoquée, ou dans des notifications de lois des pays de l’UE, notamment en ce qui concerne la propriété intellectuelle (ADPIC). Les membres de l’UE s’expriment à titre individuel aux réunions des Comités ou dans des documents qu’ils présentent, en particulier au Comité du budget, des finances et de l’administration.

La mise en garde de Pascal Lamy est salutaire. Elle met l’accent sur les contradictions et limites actuelles de l’Union européenne. Elle met aussi les différents acteurs face à leurs responsabilités. Des conclusions et décisions s’imposent, sauf à condamner l’Union à l’invisibilité/l’inefficacité internationale.

(1) CJCE, avis 1/75, 22 novembre 1975, Rec.1355.
(2) CJCE, 31 mars 1971, Commission c/ Conseil , 22/70 Rec. 263 ; avis 3,4 et 6/76, Kramer , Rec. 1308.
(3) CJCE, avis 1/94, 15 novembre 1994, Rec. I-5267.
(4) CJCE, 5 novembre 2002, Commission C/ Danemark, Suède, Finlande, Autriche …, C-467 à 475/98, Rec. I-9519.