ANALYSES

La crise grecque et les incohérences de l’Union européenne

Tribune
2 avril 2010
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], chercheur à l’IRIS
Jusque là, rien de dramatique, si l’on considère que d’autres pays de la zone Euro, comme l’Italie ou la Belgique, ont accumulé des stocks de dette comparable, voir supérieurs, et que la dégradation des dettes publiques est largement due à la crise économique mondiale et aux plans de relance massifs votés par les gouvernements. Pour ne citer qu’un seul exemple, le Royaume Uni a cumulé un déficit de 14.5% par rapport à son PIB en 2009, soit pire que la Grèce.
Seulement voilà, la Grèce a truqué ses comptes (pour la deuxième fois de surcroît ; en effet, pour se qualifier dans la zone euro, elle avait pendant des années « oublié » de comptabiliser les dépenses militaires), et, à la différence d’autres États membres, le pays est connu pour avoir une administration fiscale pour le moins laxiste (25% du PIB serait composé par l’économie illégale, et donc non imposable). Ainsi, les marchés financiers ont commencé à parier sur l’impossibilité pour ce pays d’éviter la banqueroute. Entre les mois de décembre 2009 et février 2010 la panique s’est répandue. Chaque émission de titres d’Etat grecs a été attentivement étudiée par les marchés, qui demandaient des taux d’intérêt de plus en plus importants pour acheter la dette du pays. Ainsi la Grèce est entrée dans un cercle vicieux. Victime de la spéculation des marchés, elle est obligée d’assainir rapidement ses finances publiques (des mesures draconiennes d’économie ayant été prises par le gouvernement Papandreou, en provoquant des réactions violentes de l’opinion publique), mais est confrontée à l’augmentation des taux d’intérêts sur sa dette, qui augmente à son tour son déficit…
Face à une nécessité de refinancement important (Athènes doit renouveler 40 milliards d’Euros de dette arrivant à échéance) les marchés commencent à parier sur la faillite de l’Etat, et sur l’explosion de la zone euro, empirant de surcroît encore plus la situation.

Si l’attaque spéculative et l’implication de certains hedges funds américains semble avérée (1) ainsi que celle d’établissements bancaires, tel Goldman Sachs, qui aurait de surcroît aidé dans le passé Athènes à « maquiller » sa dette, le message politique est encore plus inquiétant. Les géants des marchés financiers attaquent la zone euro, testent sa solidarité, et parient sur l’éclatement de la zone. En effet, envoyer Athènes à la faillite, ne serait qu’un préambule à une attaque envers d’autres pays, économiquement et financièrement plus importants, comme l’Espagne.

Face à cette attaque en bonne et due forme, tous les experts pariaient sur une réponse ferme et univoque de la part de l’Union européenne. L’Euro étant la plus grande réalisation du processus d’intégration continentale, et la faillite d’un Etat membre ayant des conséquences catastrophiques sur l’ensemble de la zone, cela aurait paru logique. Et, en effet, dans un premier temps les États membres, ainsi que la Banque Centrale Européenne, ont fait passer aux marchés le message que l’Union européenne n’allait pas laisser tomber Athènes.
Seulement, le Traité de Lisbonne prévoit, à l’article 103 (Traité sur l’Union européenne), qu’aucun Etat ne peut être considéré comme responsable des agissements d’un autre Etat membre, et toute intervention directe de l’UE pour sauver un Etat en difficulté financière est interdite, la philosophie sous-jacente étant celle de la responsabilité individuelle…
Le manque de solidarité devrait donc obliger les États les moins rigoureux à faire attention à leur déficit public. Cette philosophie avait été imposée par l’Allemagne, en contre-partie de l’abandon du Deutsche Mark pour l’Euro. L’Allemagne craignait en effet de devoir payer indéfiniment les dettes des pays du club med (soit Espagne, Portugal, Italie, Grèce) considérés comme laxistes d’un point de vue budgétaire. Ironie de l’histoire, le premier pays à avoir dépassé la fatidique barre du 3% de déficit imposée par le Pacte de Stabilité fût… l’Allemagne.
Cependant, il est vrai que, lorsque, entre 2005 et aujourd’hui, l’Allemagne reformait son économie en imposant à ses citoyens des augmentations d’impôts, une modération salariale et une baisse des services sociaux, d’autres États s’imposaient des cures économiques bien moins dures. Ainsi, le moment venu, lorsque les Ministres de l’économie et finances de l’UE ont discuté de la possibilité de venir en aide à la Grèce, le mardi 16 mars 2010, en contournant l’article 103 par des prêts bilatéraux garantis par la Commission européenne, tous les regards se sont tournés vers Berlin, supposé être le plus gros contributeur au sauvetage de la Grèce.
Angela Merkel, qui semblait initialement disposée à aider la Grèce, et à éviter une intervention du Fonds Monétaire International au sein de la zone Euro, a soudainement changé d’avis. Confrontée à des sondages d’opinion qui montrent que l’opinion publique allemande est fortement opposée à l’utilisation d’argent allemand pour sauver les laxistes grecques, et dans la perspective d’élections régionale en Rhénanie-du-Nord / Westphalie desquelles dépend sa majorité au Bundesrat, Mme Merkel a durci le ton vis-à-vis d’Athènes, et demandé à ce que le FMI apporte son aide à la Grèce.
Au final, et pour ne rien ajouter à la clarté de la situation, le Conseil européen du 25 et 26 mars a enfin trouvé un accord. L’UE s’engage à soutenir la Grèce, uniquement si celle-ci ne devait plus être capable de refinancer sa dette (si elle devait arriver réellement à la faillite donc), si les taux d’intérêt demandés par les marchés devaient devenir totalement irrationnels, et enfin, cette intervention devrait se faire en concertation avec le FMI, qui devrait assurer au moins un tiers de l’intervention…
Mises à part les difficultés d’interprétation de cet accord (qu’est-ce qu’on entend par taux d’intérêt irrationnel ? A quel taux prêterait-on à la Grèce ? Pourquoi a-t-on parlé de sauvetage alors qu’en réalité on ne fera que prêter de l’argent ? Qu’est ce qu’on entend par intervention substantielle du FMI ?), l’UE aura une fois de plus envoyé aux opinions publiques un message assez brouillé.

A vrai dire, ce message politique, envoyé par les dirigeants européens, et en particulier par l’Allemagne, est catastrophique. L’Union européenne montre de plus en plus que tout projet d’Union politique est encore bien loin de devenir réalité. Comme l’a dit Silvio Berlusconi, redevenu pro-européen pour l’occasion, à quoi bon avoir une Union Européenne et une monnaie unique, s’il est impossible d’aider un pays en difficulté ? Certes, le soutien de M. Berlusconi à la Grèce est intéressé. Il craint que l’Italie puisse se retrouver dans la même situation dans quelques temps, et créer un précédent d’abandon d’un Etat membre serait dangereux. Mais globalement, l’Union confirme les limites du processus d’intégration tel qu’il a été conçu jusque là. La création d’une monnaie unique devait être le préambule à la création d’une Union Politique. Or, cette Union ne s’est pas matérialisée, pas plus qu’un gouvernement économique de la zone Euro, et semble de plus en plus un mirage lointain. Le paradoxe étant que les États membres ont vu leur dette et leurs déficits exploser pour renflouer un secteur bancaire, victime d’une crise due au manque de régulation financière, et à l’excès de financiarisation des produits proposés aux particuliers.
Or, ces mêmes institutions financières, à l’origine de la crise, attaquent les États européens en raison de leurs déficits excessifs…
Une situation paradoxale, face à laquelle une forte prise de position politique aurait été pour le moins souhaitable. Le message de désunion envoyé aux citoyens européens et aux marchés restera dans les esprits, et on peut parier sur une nouvelle vague de populisme anti-européen, en Grèce comme dans d’autres pays européens. De plus, si vraiment Athènes devait se retrouver en faillite, l’on peut parier sur un effet de contagion qui frapperait le Portugal, l’Espagne, voire l’Italie. A ce point, il ne faudrait plus 20 à 30 milliards d’euros, mais plusieurs centaines de milliards… décidément, les élections en Rhénanie-du-Nord risquent de revenir chères aux Européens !

(1)Voir à ce sujet les excellents articles consacrés par Jean Quatremer sur Libération ou sur le blog « Coulisses de Bruxelles »
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