ANALYSES

Élections irakiennes : quelle portée politique ?

Tribune
9 mars 2010
Le succès d’hier, sans être une certitude était tout de même prévisible, au vu de l’évolution de la situation politique en Irak, constatée depuis près de deux ans. Ce succès est d’abord dû au retour des Arabes sunnites dans le jeu politique irakien. Ils ont pris conscience que le boycott des élections de 2005 n’a fait que les marginaliser. Cette prise de conscience doublée par le rejet d’Al-Qaïda d’une partie importante des tribus sunnites – qui ont constitué les milices financées par les Etats-Unis – et l’intégration d’une partie des officiers et fonctionnaires de l’ancien régime dans l’armée et l’administration actuelles, ont contribué à leur retour. Alors qu’en 2005 le taux de participation dans les provinces sunnites ne dépassait pas les 10 à 15 %, le 7 mars, ce taux a parfois atteint 80-90%.

De l’autre côté, la division des chiites et l’évolution de Nourri al Maleki, l’un des dirigeants du parti islamiste radical Al Dawa, en un leader de plus en plus nationaliste, ont facilité l’intégration des sunnites dans la vie politique. Parmi les trois grandes coalitions électorales, toutes dirigées par des chiites, le Bloc irakien mis en place par l’ancien Premier ministre Ayad Alaoui, et Tarek Al-Hashemi, le vice-président sunnite de la République, est arrivé en tête dans des provinces à majorité sunnite, mais est aussi arrivé en seconde place dans certains gouvernorats chiites du Sud. La liste de l‘Alliance de l’Etat de Droit du Premier ministre sortant a également obtenu un bon score chez les Arabes sunnites. La troisième coalition chiite (Alliance Nationale Irakienne), dirigée par le Conseil supérieur islamique d’Irak (CSII), en apparence la plus proche des milieux religieux, avait sur sa liste l’héritier de la monarchie irakienne, Al Sharif Ali Ben Hussein. Ce début de la non-confessionnalisation des listes électorales est un progrès important pour l’Irak. Chez les Kurdes, la démocratie progresse et l’apparition du mouvement Goran (changement) par un ex-UPK, met fin au monopole des deux grands partis kurdes, le PDK de Massoud Barzani et l’UPK du président Jalal Talabani.

L’évolution de l’Irak a montré l’absurdité de la théorie de l’axe chiite dans la région dominée par l’Iran dont les chiites irakiens auraient constitué une composante importante. Une approche idéologique et l’hostilité vis-à-vis de la République islamique d’Iran sont à l’origine d’une analyse erronée chez certains observateurs qui n’ont pas compris la différence entre les chiites irakiens et iraniens.

Le véritable artisan du succès du scrutin d’hier n’est autre que le plus haut leader religieux chiite irakien, le grand ayatollah Ali Al-Sistani. Ce vieil ayatollah résidant dans une modeste maison d’un quartier populaire de la ville sainte de Nadjaf et respecté au-delà de la communauté chiite a adopté, dès le début de l’intervention américaine, une attitude non communautariste et non-confessionnelle. Opposé au concept de Welayaté Faqih (la primauté du religieux sur le politique), à l’origine de la République islamique en Iran, Al-Sistani est allé jusqu’à interdire aux religieux d’occuper des postes gouvernementaux. Pendant la compagne électorale, il a refusé de soutenir une liste contre une autre.

Ces faits sont autant d’éléments positifs qui ne doivent pas cacher que la division des chiites va probablement rendre très difficile la formation du prochain gouvernement. Rien ne garantit que Al-Malki puisse à nouveau former le prochain gouvernement même si sa liste arrive en tête. En effet, les Kurdes qui auront 25 % des sièges au Parlement et l’Alliance Nationale Irakienne du CSII, l’ancien allié n’ont pas exclu qu’une alliance entre les Kurdes et l’ANI autour d’un candidat chiite puisse constituer le prochain gouvernement. Dans ce cas, Adel Abdul Mahdi, l’actuel vice-président chiite de la République serait un candidat crédible. Cette alliance pourrait également garantir la stabilité à la tête de l’Etat avec la réélection de Jalal Talabani comme président de la République.