ANALYSES

L‘«ivoirité» à nouveau au cœur des conflits et des reports de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire

Tribune
16 février 2010
L’établissement des listes électorales a été suspendu officiellement en raison des 429.000 électeurs supposés frauduleusement inscrits sur des listes électorales provisoires, et de la montée de la tension autour de ce dossier dans le pays. Selon l’opposition, des juges ont été commis par le pouvoir pour rayer des noms sur la base du délit de patronyme. Le chef de l’Etat et le président de la commission électorale, Robert Beugré Mambé, issu de l’opposition, divergeaient sur la composition des listes. Des manifestations contre la suppression des listes électorales de plusieurs centaines de milliers de noms par les fonctionnaires favorables à Laurent Gbagbo ont eu lieu dans l’Ouest du pays. Elles se déroulaient depuis plus d’une semaine dans diverses villes. Les Nations unies ont lancé un appel au calme. Les adversaires de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Konan Bedié, accusent Gbagbo de manœuvres visant à repousser sans cesse le choix des urnes. Le médiateur Facilitateur, Blaise Compraoré, a reçu le 11 fevrier les différents protagonistes mais semble démuni de pouvoir. La question du déni de nationalité continue, comme on le voit, d’être au cœur du conflit.

Le terme d’ivoirité fondé sur des critères ethniques remonte à Konan Bedié et a été reprise par Laurent Gbagbo. Il visait à interdire à l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, originaire du Nord, de se présenter. La priorité était donnée aux Akans ou Bétés du Sud sur les originaires du Nord et les immigrés du Burkina Faso. La question des frontières, cicatrices de l’histoire coloniale, divise le Sud et le Nord de la Côte d’Ivoire qui a été durant une partie de l’époque coloniale rattachée à la Haute Volta.

Le pays est ainsi coupé en deux depuis 2002-2003 avec une situation de ni guerre ni paix. La présence de 7000 casques bleus et de 900 soldats français de la Licorne rend impossible des conflits généralisés mais le désarmement des milices pro Gbago et des Forces nouvelles du Nord n’a pas vraiment eu lieu. Certes les symboles de l’Etat sont de retour (drapeau), et la zone de confiance a été démantelée, mais le désarmement n’a pas eu lieu. Le pays a un pouvoir bicéphale. Le Nord est organisé selon un système « féodal » selon le rapport des Nations unies de 2009. Les forces armées des forces nouvelles (FAFN) sont maîtres du terrain, contrôlent les ressources naturelles et le commerce (de l’essence, du coton, du cacao). Elles assurent la sécurité, et pratiquent des péages et rackets. Leurs fonds financent les achats d’armes ou sont placés au Burkina Faso, au Mali ou dans les paradis fiscaux. Au Sud, Abidjan vit dans le désordre, et la corruption est généralisée. Le cacao et les prébendes sont la base de financement du pouvoir.

Laurent Gbagbo n’ira aux élections que s’il est sûr de les gagner. Pour l’instant les deux camps campent sur leur position et n’ont pas intérêt aux élections. Le gouvernement d’« union nationale » formé par Guillaume Soro ne fera pas appel au rassemblement des Républicains (RDR) d’Alassane Ouattara, ni au PDCI-RDA de Konan Bédié. Ceux-ci laisseront-ils Guillaume Soro et Laurent Gbagbo éviter les élections ? La communauté internationale qui a dépensé des sommes considérables pour ces élections et les forces d’interposition laissera-t-elle faire ? Cette nouvelle crise ivoirienne trouvera-t-elle une solution en définitive par le choix des urnes ou les armes, à nouveau, seront-elles présentes dans un pays stratégique pour l’Afrique de l’Ouest ?