ANALYSES

L’eau de mer : une solution pour tous ? L’exemple de l’Algérie

Tribune
8 février 2010
Bien qu’un peu moins de 1% de l’eau potable consommée dans le monde soit produite à partir du dessalement, les perspectives offertes par cette technologie sont inexorablement grandissantes. En effet, 40 % de la population mondiale vit à moins de 70 kilomètres d’une côte, soit la zone d’utilisation raisonnable du dessalement. Par ailleurs, sur 70 villes de plus d’un million d’habitants sans accès direct à des ressources supplémentaires en eau douce, 42 sont situées en bordure de côtes (4). Avec plus de 17 000 unités de production d’eau potable, soit 51 millions de m3/jour d’eau produite, la production d’eau dessalée devrait atteindre 109 millions de m3/jour en 2016. Ainsi, la banque d’affaires Goldman Sachs estime à 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel de ce secteur, avec une progression attendue de 10 à 15 % par an (5).

La technologie de l’osmose inverse (6), qui constituait 20% des unités de production au début des années 1980, s’impose aujourd’hui (7). Depuis 10 ans, les coûts de production du dessalement ont été divisés par deux. Selon les zones d’implantation, la nature de l’eau brute et le coût de l’énergie, le mètre cube produit coûte de 0,30 à 0,91 euros pour l’osmose inverse en sortie d’usine (8).

Le dessalement semble, par conséquent, s’imposer comme une solution immédiate et stratégique pour des pays soumis à une raréfaction des ressources en eau ou au stress hydrique (9). L’extraordinaire utilisation que fait l’Algérie du dessalement de l’eau de mer peut-il être un exemple pour tous les pays confrontés au manque de ressource en eau douce ?

Les ressources en eau de l’Algérie devraient ‘ atteindre leurs limites à l’horizon 2020-2025 ‘ (10).’ La crise du climat va aggraver la dégradation des ressources naturelles dans les hauts plateaux et toutes les régions steppiques qui constituent de véritables potentiels agricoles ‘ devant ‘ assurer la sécurité alimentaire ‘ de l’Algérie, a estimé M. Kara, Directeur de l’Agence nationale algérienne pour les changements climatiques.

Selon les prévisions du Centre de recherche de dessalement au Moyen-Orient l’Algérie devrait se classer derrière l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et les USA en termes de capacité de production d’eau potable à partir d’eau de mer (11).

L’Algérie confrontée à une situation critique

Les ressources hydriques de l’Algérie du Nord, où réside l’essentiel de la population, sont limitées (12). La situation est aggravée par une sécheresse qui perdure depuis une vingtaine d’années. La production d’eau potable destinée à la consommation des populations urbaine est aujourd’hui de 1,2 milliards de m3 soit une disponibilité moyenne par habitant, de seulement 100 l/j, Or à l’horizon 2020 la population va pratiquement doubler (13).

La demande de l’agriculture irriguée est considérable alors que partiellement insatisfaite : de l’ordre de 600 millions de m3 actuellement. A l’horizon 2020, si les plans de développement sont appliqués, la demande d’eau irriguée serait triplée.(14)

L’Algérie souffre d’un manque d’eau criant : les aléas climatiques persistants, une forte croissance de la population dans les grands centres urbains ont largement contribué à l’actuelle carence des ressources en eau pour les besoins élémentaires du pays. En 2002, l’agglomération d’Alger fut confrontée à une pénurie. Les fortes précipitations des hivers 2002-2003 et 2003-2004, ont permis d’atténuer l’urgence. A Alger et pour l‟ouest du pays, la sécheresse contraint à ramener la plage horaire de distribution dont bénéficie 70% de la population, de 16h/par jour à 8h/jour.

Dans le cadre du plan de relance économique initié en avril 2001 par le gouvernement, le secteur de l’eau représente une part importante des dépenses. Par exemple, un plan d’urgence (15) exceptionnel pour la capitale 2002, de 115 M$ a été élaboré (16).

L’objectif est d’améliorer le service de distribution d’eau par l’engagement d’une réforme de la tarification ; la réduction des déperditions sur le réseau, estimées à 40% ; une mobilisation accrue des ressources ; et enfin la participation des opérateurs privés dans la gestion des réseaux d’alimentation en eau potable.

Le recours à l’eau de mer devient par conséquent une solution avantageuse dans un pays où les barrages ne parviennent pas à couvrir la totalité des besoins. Le programme initié en 2001 prévoit la construction de 43 stations de dessalement d’ici 2019, pour un investissement total de 14 milliards de dollars.

Une technologie au coût élevé

L’Etat algérien en a fait une priorité. La capitale de l’Ouest, Oran, et l’Oranie en général, souffrent depuis plusieurs décennies d’un dramatique déficit en eau potable. Le projet Mostaganem-Arzew-Oran, baptisé MAO (17), fut mis en service en 2009. La capitale de l’Ouest a besoin de 350.000m3/j d’eau potable pour la consommation de la population. Elle disposera désormais d’une station de dessalement d’eau d’une capacité de 500.000 m3 par jour, de quoi satisfaire les besoins en eau de 5 millions de personnes.(18) Son coût, a été évalué à 468 millions de $. Le contrat d’exploitation prévoit le financement, la construction et l’exploitation du site jusqu’à la vente de l’eau dessalée.

Reste que le procédé qui permet de transformer l’eau de mer en eau douce est très gourmant en énergie, et donc coûteux, même l’usine de Makta présentée comme particulièrement rentable, facture le mètre cube d’eau environ 50 cents, ce qui représente un prix beaucoup plus cher que celui issu des barrages.(19)

Un développement économique et technique sans faille de l’osmose inverse

Malgré cette limite, les acteurs gardent confiance en cette technique, dans la mesure où le besoin en eau potable excèdera nécessairement le coût énergétique de son traitement. Selon les prévisions de Media Analytics Limited (Global Water Intelligence), « l’industrie du dessalement devrait atteindre 64,3 millions de litres par jour en 2010 et 97,5 millions en 2015. Cela représenterait une augmentation de capacité de 140 % depuis 2005. Cette expansion nécessiterait un investissement de 25 milliards de dollars d’ici 2010 et de 56,4 milliards de dollars avant la fin 2015. Suivant la tendance actuelle, plus de la moitié de ces investissements devraient être apportés par le secteur privé ce qui fait du secteur du dessalement la partie la plus internationale de l’industrie de l’eau, en plus d’être la plus axée sur la haute technologie » (20).

Une technologie pour les pays riches ?

WWF rappelle notamment que les usines de dessalement consomment beaucoup d’énergie et par conséquent émettent des gaz à effet de serre (21). Elle craint d’ailleurs que les nouvelles usines de dessalement d’eau de mer entraînent le déploiement d’installations de production d’énergie nucléaire (22). Un accord de coopération entre l’Algérie et la France pour le dessalement nucléaire a été signé en décembre 2007. L’impact sur l’écosystème marin et le devenir des sels rejetés en mer en sortie d’usine sont également des questions qui n’ont pas été approfondies. « Pour le moment notre connaissance des impacts est en grande partie basée sur la recherche qui s’est limitée à des usines relativement petites et isolées les unes des autres », Or, les autorités publiques de l’eau et l’industrie du dessalement semblent s’orienter vers la création d’usines toujours plus grandes et reliées entre elles. En ce sens, l’Etat du Western Australia, en faisant construire l’usine de Perth, a émis une règle : l’électricité consommée par une usine de dessalement doit provenir d’énergie renouvelable. Cela signifie que les Etats s’engagent à ajouter à leur réseau de production d’électricité une ferme éolienne ou solaire d’une capacité équivalente à la consommation de leurs usines de dessalement (23).

De plus, sachant que cette technologie est encore actuellement très coûteuse, les usines construites aujourd’hui le sont pour longtemps et seront principalement déployées dans des pays riches et non dans des zones plus pauvres (24). En Californie, il est envisagé la construction de 200 usines de dessalement d’eau de mer, dont un site, près de San Diego, d’un coût de 300 millions de dollars. Plusieurs villes australiennes projettent de construire ou sont en train de construire d’immenses usines de dessalement – la plus grande, située près de Melbourne, devrait coûter dans les 2,9 milliards de dollars américains (25). Une solution afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour les populations non urbaines, mais côtières pourrait être le développement de mini-station de dessalement.

Il ne fait nul doute que la technique de dessalement de l’eau de mer représente une technique extraordinaire afin d’offrir aux populations toute l’eau potable dont elles ont besoins. Pour autant, le coût de construction d’une usine, très souvent accompagnée d’une usine de production d’électricité est trop élevé pour de nombreux Etats. La poursuite de l’exemple algérien n’est pas nécessairement possible. Bien que la politique de dessalement soit étrangère à ses richesses pétrolières, il va de soi que la manne d’argent créée par cette source fournit un formidable élan à une telle politique. L’économie algérienne est actuellement en plein développement, grâce principalement à la hausse sur les marchés mondiaux des prix du pétrole et du gaz des dernières années, et à la forte demande dans ces secteurs. L’Algérie s’est donc lancée dans le développement de ses infrastructures, grâce aux moyens financiers, qui doivent lui permettre de remettre le pays en marche après plus d’une décennie de troubles graves : autoroutes, barrages, usines électriques et de dessalement de l’eau de mer.

L’eau de mer permet de renforcer les Etats dans leur désir d’indépendance hydrique en diminuant ou en arrêtant ses importations d’eau de l’étranger. Il peut donc s’ensuivre une baisse les tensions entre les Etats. C’est le cas de Singapour par exemple (26). Il ne doit pour autant pas se créer une tension sur la question énergétique pour ceux qui devraient importer cette matière.

En outre, il faut louer les efforts faits en matière de recherche et de développement pour diminuer les consommations d’énergie et les rejets aux impacts environnementaux nocifs. Cependant, cette connaissance doit être accessible à tous. En effet, la question de l’accès potable ne doit pas se faire au prix de lourdes pollutions qu’elles soient maritimes ou aériennes.

L’autre limite au développement du dessalement à longtemps été son coût. Celui-ci est étroitement lié au coût de l’énergie. Pour Michel Dutang (27), « l’eau va devenir un problème crucial, qui butera sur le coût de l’énergie, indispensable au dessalement de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre. »(28) Ceci constitue une des raisons principales pour laquelle la technique de l’osmose s’impose. En effet, la distillation nécessite 12 à 7 Kwh par mètre cube ; tandis que l’osmose nécessite 7 Kwh par m³ (29).Pour les techniques les plus performantes, cela ne peut nécessiter que 3 Kwh par m³, alors qu’il était de 20 Kwh par m³ dans les années 70 (30).

Bien qu’il ne soit pas toujours aisé de connaître l’impact réel des rejets liés à la production d’eau potable à partir de l’eau de mer, les premières études réalisées sur le sujet semblent montrer sa faiblesse. Jamie Pittock, directeur du programme eau douce du WWF note que « les usines de dessalement doivent être construites seulement lorsqu’elles se sont avérées être la solution la plus efficace et la moins préjudiciable pour compléter l’approvisionnement en eau, à la suite d’un processus d’évaluation approfondi et transparent de toutes les solutions de rechange et leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux. »(31)

Enfin, les projets de dessalement devront, autant que possible, intégrer des logiques d’emplois, de développement de filières industrielles, de création d’entreprises. Il est par conséquent important de préparer des actions de formation, de transfert de compétence et de technologies pour former une main d’œuvre qualifiée, source d’intégration et d’acceptation des projets, mais aussi pour la bonne gestion dans la durée (32).


(1) A Frérot, Le dessalement de l’eau de mer, Le magazine de la chronique scientifique, N°4 / Juillet-Août 2005 / Recherche & Développement, p 1
(2) F Galland, Géopolitique de dessalement, Note de la FRS n°18/2008, septembre 2008, p 7
(3) La mer à boire, Dossier thématique, Technopole de Cherbourg, Mars 2005, p 11
(4) Quelques précisions sur le dessalement de l’eau de mer, http://infos-eau.blogspot.com/
(5) « Dessalement : option ou distraction dans un monde assoiffé ? », le Fond Mondial pour la Nature (WWF)
(6) il existe dans les faits deux familles de technologies de dessalement : la distillation et la filtration membranaire. La distillation utilise l’évaporation, via chauffage thermique, pour séparer l’eau des impuretés de sels. Son inconvénient majeur est l’énergie que consomme ce procédé. La filtration membranaire utilise, elle, le procédé d’osmose inverse pour retenir les sels contenus dans l’eau. L’eau salée pénètre ainsi à une extrémité de la membrane sous une pression de 80 bars, et après passage membranaire, l’eau ressort débarrassée de 99 % de son sel.
(7) Le coût de l’osmose inverse est devenu inférieur à celui de la distillation en 1995, grâce à l’apparition d’une nouvelle génération de membranes.
(8) La mer à boire, Dossier thématique, Technopole de Cherbourg, Mars 2005, p 11
(9) F Galland, Géopolitique de dessalement, Note de la FRS n°18/2008, septembre 2008, p 7
(10) Algérie : les ressources en eau atteindront leur limite en 2020-2025, décembre 2006, http://eau.apinc.org/spip.php?article543
(11) 13 milliards de m3, dont 85 % d’eaux de surface
(12) Sur les 35 millions d’habitants, plus de 9 vivent dans les 5 principales villes du pays, toutes situées à proximité de la mer
(13) La demande industrielle est relativement mal connue, elle serait de 110 millions de m3, et son évolution est difficile à prévoir.
(14) LE PLAN NATIONAL DE L’EAU : UN PLAN DIRECTEUR POUR LA GESTION DES RESSOURCES HYDRAULIQUES DE L’ALGERIE DU NORD http://www.oieau.fr/ciedd/contributions/at2/contribution/carron.htm
(15) Forages, stations de dessalement monoblocs, interconnexion des barrages de Ghrib Ghris, Bouroumi et Boukourdene au système d’alimentation en eau potable d’Alger
(16) Le secteur de l’eau en Algérie, Mission économique, MINEFI, 2005
(17) Il s’agit de la plus grosse usine de dessalement d’eau de mer au monde. La réalisation de l’usine a été confiée au groupe singapourien Hyflux en collaboration avec une filiale de la SONATRACH,
(18) Eau : L’Algérie met le paquet, http://www.winrak.com/eau-l-algerie-met-le-paquet.html
(19) L’Algérie investit gros dans le dessalement de l’eau de mer, http://maghrebinfo.20minutes-blogs.fr/archive/2008/07/07/l-algerie-investit-gros-dans-le-dessalement-de-l-eau-de-mer.html
(20) Quelques précisions sur le dessalement de l’eau de mer, http://infos-eau.blogspot.com/
(21) Dessalement : option ou distraction dans un monde assoiffé ? Juin 2007
(22) Il est possible de citer comme exemple le Qatar et le projet de Ras Laffan C qui sera la plus grande installation de production d’électricité et de dessalement d’eau de mer du pays, avec une production quotidienne de 2.730 MW d’électricité et de 286.000 m3/jour d’eau dessalée. Elle devrait être mise en service en avril 2011, avec une première phase de production d’électricité et d’eau dès le mois de mai 2010. De plus, GDF Suez a récemment remporté un contrat pour la construction et l’exploitation de la centrale électrique et de dessalement d’eau de mer Shuweihat 2, un important projet indépendant d’électricité et d’eau à Abu Dhabi, aux Émirats Arabes Unis. Shuweihat 2 est une installation ‘greenfield’ au gaz naturel qui produira 1.500 MW d’électricité et 454.610 m3 d’eau par jour d’après les autorités. La Jordanie et la Chine ont été plus loin en signant un accord de coopération nucléaire ouvrant la voie à une prochaine coopération en matière d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, spécialement dans les domaines de la production d’électricité et du dessalement d’eau.
(23) La ruée vers le dessalement de l’eau de mer, Les Echos, 15 décembre 2007
(24) Le WWF rappelle la nécessité d’une utilisation raisonnée du dessalement de l’eau de mer
(25) Quand nous boirons tous l’eau de mer ? Courrier International 04/08/2008
(26) A Frérot, L’eau : pour une culture de la responsabilité, autrement frontière, 2009, p 143
(27) Directeur de la recherche et du développement de Veolia Environnement,
(28) Quelques précisions sur le dessalement de l’eau de mer, http://infos-eau.blogspot.com/
(29) A Taithe, L’eau : un bien ? un droit ?, Unicom, 2009, p 48
(30) A Frérot, L’eau : pour une culture de la responsabilité, autrement frontière, 2009, p 143
(31) Quelques précisions sur le dessalement de l’eau de mer, http://infos-eau.blogspot.com/
(32) Henri Boyé, Eau, énergie, dessalement et changement climatique en Méditerranée,Plan Bleu, Août 2008, p37