ANALYSES

Vacance du pouvoir, tensions sociales et religieuses au Nigeria

Tribune
3 février 2010
Le Nigeria est plus que jamais un géant aux pieds d’argile qui fait parler de lui dans les médias. Il subit de plein fouet la crise économique mondiale et les effets de la rente pétrolière. Il connaît une crise de légitimité politique. Le MNED (mouvement de guérilla du Delta du Niger) vient de rompre le cessez-le-feu avec les autorités. Un Nigerian lié à Al-Qaïda a été arrêté lors du vol Amsterdam–Détroit et les ressortissants du Nigeria sont considérés par les autorités américaines comme à surveiller particulièrement. L’absence du président Umaru Yar’Adua conduit à une certaine vacance du pouvoir et fait craindre un putsch après 11 ans de pouvoir civil. Les mouvements de violences ethno-religieuses sont récurrents et ont fait récemment de nombreuses victimes.

Les émeutes religieuses avaient fait à Jos entre 300 et 700 morts en février 2008. Elles ont fait plus de 300 morts mi janvier. Cette ville du centre du Nigeria est à la frontière du Nord peuplé de Musulmans, et du Sud où se trouvent les Chrétiens et animistes ou polythéistes. La religion est un point de friction permanent dans cette zone frontalière. Elle oppose les communautés et s’accompagne de violences vis-à-vis des lieux sacrés. Elles trouvent leur origine dans les différences de traitements historiques entre les chrétiens « indigènes » ayant accès à l’enseignement et aux emplois publics, et les migrants Haoussas venus du Nord. Les autorités gouvernementales ont plutôt privilégié les Chrétiens. La région relativement riche de Jos dans le « Middle Belt » a attiré de nombreux migrants, et conduit à des conflits fonciers entre les « indigènes » et les « settlers » ou colons. Ces conflits fonciers sont en effet un enjeu majeur. Les cycles de représailles s’enchaînent après que des mosquées et des Eglises aient été brûlées. Certains leaders ont en effet intérêt à attiser les braises de la violence en instrumentalisant les oppositions religieuses. Aujourd’hui, la situation semble s’être stabilisée et un calme précaire est revenu, permettant la disparition du couvre-feu.

Les affrontements entre le groupe dit « Boko Haram » et les forces de l’ordre avaient fait 700 victimes fin 2009. Ce mouvement datait du 11 septembre 2001 et se disait proche des Talibans. Des liens avec les pays pétroliers de la péninsule arabique, avec l’Iran ou l’Afghanistan existent, mais l’essentiel de l’intégrisme religieux renvoie principalement à des facteurs endogènes. Il s’inscrit dans une longue tradition du Nord Nigeria où les mouvements islamiques sont pluriels (soufisme des confréries traditionnelles, mouvements de type salafiste et mouvement maadhistes, développement du chiisme). Il vise à imposer la charia, à lutter contre la corruption et s’opposer à l’Occident. Ils répond à des situations de grandes inégalités et exclusions dans un pays où le partage de la rente pétrolière est très inégal. 12 Etats (sur 36) ont ainsi instauré la charia.

Le Nigeria, enjeu stratégique pour l’Afrique de l’Ouest et pour les Etats-Unis, reste sur une poudrière avec des violences sporadiques. Il est urgent que le vide institutionnel dénoncé par le Prix Nobel Soyinka disparaisse. Eteindre les braises et trouver une solution durable aux tensions ethno-religieuses et sécessionsites par des politiques de redistribution de la rente pétrolière, d’accès aux emplois et au foncier est une priorité pour les autorités gouvernementales.