ANALYSES

Ukraine : des présidentielles au visage démocratique

Tribune
21 janvier 2010
Sans surprise, Viktor Ianoukovitch arrive en tête avec un peu plus de 35% des voix. Il a fait de très bons scores dans ses bastions du Sud et de l’Est du pays (76% à Donetsk, 61% en Crimée, 50% à Kharkiv et Odessa), mais également dans les régions centrales (entre 15 et 25%) et même dans l’Ouest du pays (il arrive en tête en Transcarpathie et devance Viktor Iouchtchenko en Bucovine).
Ioulia Timochenko, avec 25% des voix, fait un score honorable, bien qu’inférieur à celui réalisé par son parti aux législatives de septembre 2007 (près de 32%). Elle paie le prix de la crise et des divisions de l’ancien camp orange. Contrairement à ce qu’elle espérait, elle ne perce pas dans le Sud ni dans l’Est du pays.
En quête d’un « troisième homme », l’électorat ukrainien a fait émerger Sergueï Tiguipko. Ce businessman, issu de Dniepropetrovsk (comme Ioulia Timochenko), qui fut ministre et président de la Banque centrale sous Léonid Koutchma avant d’animer la campagne de Viktor Ianoukovitch en 2004, obtient 13% des voix. En toute hypothèse, il jouera donc un rôle clé au cours des prochains mois.
Le jeune Arseny Iatseniouk, 35 ans, ex-président du parlement et ancien ministre des Affaires étrangères sous la présidence Iouchtchenko, recueille quant à lui un peu moins de 7%, alors que les sondages lui attribuaient le double jusqu’à l’été 2009. Il se positionne pour les prochaines échéances.
Quant à Viktor Iouchtchenko, le chef de l’Etat sortant, il dépasse à peine 5%, un score qui en dit long sur son bilan.

Qui de Ioulia Timochenko ou de Viktor Ianoukovitch est le mieux placé pour l’emporter le 7 février ?
Les sondages effectués depuis dimanche en Ukraine montrent qu’à ce stade, Viktor Ianoukovitch conserve une avance importante, entre 5 et 10 points, par rapport à sa rivale. Le leader du parti des Régions peut, semble-t-il, compter sur un bon report des voix recueillies au premier tour par le candidat communiste, P. Simonenko (3,5%), et par le président du parlement, V. Litvin (2,3%). Près de la moitié des électeurs de S. Tiguipko – qui a refusé de se désister officiellement pour l’un ou l’autre des candidats – devraient également voter pour Viktor Ianoukovitch. Pour autant, les jeux restent ouverts. Ioulia Timochenko – qui est plus charismatique et mène activement campagne – mise sur un réflexe « anti-Ianoukovitch » au sein de la nouvelle bourgeoisie urbaine, certes lassée et désormais sans illusions sur les « Oranges » mais peu attirée par le style néo-soviétique du leader du parti des Régions. Le Premier ministre va par ailleurs chercher à remobiliser et à ressouder l’électorat qui se réclame des valeurs de la « révolution orange ». Mais il est à craindre pour Ioulia Timochenko que la cohabitation à couteaux tirés avec Viktor Iouchtchenko depuis 2007 n’ait laissé des traces. Il faut également noter que les bastions « oranges » ont plus voté que l’Est du pays au premier tour, ce qui laisse à penser que les réserves de voix y sont moindres.
Le principal risque pour l’Ukraine est que l’écart entre les deux candidats soit inférieur à 5% et que le résultat soit contesté, y compris dans la rue, par le vaincu. Des signaux plutôt inquiétants arrivent de Kiev. Outre les déclarations des entourages respectifs de Viktor Ianoukovitch et de Ioulia Timochenko, il faut noter le bras de fer qui oppose les deux camps autour de la présidence du Tribunal administratif suprême, l’instance chargée de trancher les litiges électoraux. La Commission électorale centrale est elle aussi depuis plusieurs mois au cœur de jeux de pouvoir plus ou moins subtils. Il est toutefois douteux que le vaincu parvienne à mobiliser les foules. Il n’y aura pas de « Maïdan 2010 ». Un avis positif des observateurs internationaux sur le déroulement du second tour priverait en outre l’éventuel mauvais perdant de toute légitimité. Mais au vu de l’enjeu, un tel scénario n’est pas à exclure. D’autant que le président sortant, Viktor Iouchtchenko, pourrait y voir un prétexte pour se maintenir un temps aux affaires et se poser en sauveur de la nation ukrainienne.

Les élections auront-elles une influence sur le positionnement international de l’Ukraine ?
Depuis une quinzaine d’années – et singulièrement depuis la « révolution orange» de fin 2004 -, l’Ukraine est le théâtre d’un bras de fer géopolitique entre la Russie et l’Occident. Le projet d’intégration au sein de l’OTAN, porté par le président sortant Viktor Iouchtchenko, a notamment cristallisé les tensions. Les choses devraient évoluer, quel que soit le vainqueur du second tour. Ioulia Timochenko et Viktor Ianoukovitch ont tous les deux déclaré vouloir une relation plus sereine et plus pragmatique avec Moscou. On doit donc s’attendre à un retour de balancier. D’autant que les projets d’élargissement de l’UE et de l’OTAN sont désormais de plus en plus hypothétiques. L’hypothèse la plus probable est que l’Ukraine et la Russie restaurent un certain nombre de coopérations industrielles, comme dans le nucléaire civil, l’aéronautique ou les constructions navales. La question gazière – absente de la campagne électorale – devrait également refaire surface. On sait que le Kremlin et Gazprom souhaitent remettre sur la table la proposition de création d’un consortium tripartite (Russie, Ukraine, Union européenne) afin de gérer les réseaux de gazoducs ukrainiens. Mais le véritable test politico-stratégique sera sans doute le dossier de la flotte russe de la mer Noire. Moscou souhaite négocier une prorogation de son bail au-delà de 2017, date prévue du retrait des unités russes. La question est très sensible, aussi bien pour l’opinion russe que pour le pouvoir ukrainien. C’est elle qui devrait donner la mesure du rapprochement attendu entre Moscou et Kiev.