ANALYSES

La France éclairée par l’Etoile polaire colombienne ?

Tribune
3 mars 2010
La France suivrait-elle la même voie ? La question à première vue paraît incongrue. La Cinquième République s’est avec le général de Gaulle forgée une identité internationale particulière. On a en Amérique latine gardé un souvenir amusé du « mano en la mano » lancé au Mexique par le chef de l’Etat français. La France y avait gagné un respect diplomatique dont l’écho est encore perceptible aujourd’hui. Il est vrai que le président Mitterrand l’avait entretenu au Mexique justement dés les premiers mois de son arrivée au pouvoir en 1981. Et que le refus de céder aux injonctions « irakicides » de George Bush avait valu à la France de Jacques Chirac en 2003 un regain de prestige, au Chili au Mexique, qui alors siégeaient au Conseil de sécurité.

Des étudiants colombiens m’ont tout récemment fait part de leur doute à l’égard de la France des lumières, de la création et de l’universalité. Est-il vrai que . . ? Pouvez-vous confirmer que .. ? Les interrogations se sont succédées. Toutes portaient sur telle ou telle attitude officielle prise ces derniers mois à Paris par le gouvernement altérant l’image d’un hexagone gaullien et gaulois. Comment d’un point de vue latino-américain interpréter la création d’un ministère de l’identité nationale et de l’immigration ? Comment d’ailleurs comprendre le débat ouvert par les autorités françaises sur l’identité nationale ? Pourquoi la France a-t-elle décidé d’entrer pleinement dans l’OTAN ? La politique française en Amérique latine se limite-t-elle au soutien gouvernemental ostentatoire apporté à l’une des otages des FARC, Ingrid Betancourt et à la direction de ce groupe armé ?

Répondre à ces questions d’actualité n’est pas aisé. Elles reflètent toutes le sentiment d’une rupture, d’un changement d’époque. Elles traduisent aussi une nostalgie. Celle d’un discours qui certes n’allait pas toujours au bout de sa logique, mais qui manifestait un intérêt partagé entre France et Amérique ibérique, celui d’échapper à la tutelle des grands de ce monde et de construire une multilatéralité universelle. Manifestement le latin des origines communes s’est perdu et ne fabrique plus rendez-vous et dialogue. Quo vadis Gallia ? L’étonnement des étudiants bogotans est compréhensible. Les réponses qui percent le mur de leur inconscient bousculent les acquis d’un passé regretté.

Le chef de l’Etat bolivien, Evo Morales, avait en écrivant début juillet 2008, à Nicolas Sarkozy, président en exercice de l’Union européenne, « mis les pieds dans le plat ». L’Europe de la directive retour, l’Europe des expulsions, tourne le dos à ses valeurs et souffre d’un oubli historique, lui avait-il dit en quelques mots. Elle abandonne son universalité. Elle refoule le souvenir des millions des siens qui sont partis faire les Amériques, « une main devant et l’autre derrière ». Personne à ce moment là à Buenos Aires, à Saint Paul, à Montevideo, n’avait demandé aux Français de l’Aveyron installés à Pigue ou aux Barcelonnette de Mexico, la présentation d’un visa d’immigration choisie.

A la belle lettre d’Evo Morales ont répondu par retour de courrier, la confirmation du couplage entre immigration et identité nationale. Le débat paradoxal ouvert en novembre 2009 à Paris sur l’identité nationale a justifié la perplexité et le malaise des étudiants colombiens. Le doute identitaire est bien réel. Beaucoup de livres publiés en France depuis une dizaine d’années en témoignent. Comment peut-on être Français ? Mais répondre du haut des certitudes officielles en désignant un bouc émissaire, de préférence en ciblant les plus faibles, les immigrés, interpelle conscience et intelligence. A qui la faute si l’intégration parfois tâtonne ? Les « élites », sont censées donner le « la » en toutes choses. Or en matière d’identité nationale le constat est celui d’un laxisme de plus en plus ouvert à l’égard des plus forts et des plus riches. La France a rejoint l’Alliance atlantique. L’emploi industriel est délocalisé. L’usage de la langue française en France est souvent contesté pour les échanges et le travail. La création, la recherche en français, sont considérées selon le propos tenus par un responsable ministériel comme hors sujet. Washington et sa langue seraient le méridien de référence. Le chef de l’Etat qui a ouvert le débat sur l’identité nationale n’avait-il pas choisi dés son accession au pouvoir en 2007 les Etats-Unis pour ses vacances, et Eurodisney comme lieu de loisir ?

En quelques mois la France s’est donc placée sur le fuseau colombien. Elle regarde elle aussi vers l’étoile polaire, vers Washington. En dépit des subprimes , qui brouillent le ciel des certitudes, et de sa méconnaissance des pères fondateurs de la diplomatie colombienne. Paradoxe, les Etats-Unis d’aujourd’hui cherchent à « décolombianiser » leur politique latino-américaine. Et Barack Obama a fait l’impasse sur un sommet Europe-Etats-Unis, qui lui est apparu sans intérêt. La Colombie, la France ne partagent-elles pas désormais la même passion pour le chemin de Canossa et de la Maison Blanche, à l’image de l’Espagne présidente en titre de l’Union européenne ? Le 4 février 2010 José Luis Rodrigo Zapatero, faute de sommet à Madrid, a en effet partagé à Washington un petit-déjeuner de prières avec le président des Etats-Unis..