ANALYSES

Entre COP 15 et désirs d’indépendance : les défis du Groenland

Tribune
16 octobre 2009
L’Arctique, entre enjeux environnementaux et développement économique

Le défi du Groenland réside dans la réduction des émissions de CO2 et la protection d’un environnement fragile – la fonte de la calotte glaciaire provoquerait une élévation de sept mètres du niveau de la mer – et le développement de son économie en vue d’une éventuelle indépendance. Le seul projet d’usine d’aluminium Alcoa, prévue à l’horizon 2016, pourrait doubler les émissions du Groenland en CO2, ce qui – selon le mécanisme actuel – aurait un coût certain en terme de compensation et de fait pourrait fragiliser les désirs d’indépendance économique du Groenland.

Après avoir durant des années évoqué les conséquences néfastes du changement climatique sur les populations de l’Arctique, les possibilités économiques liées à la fonte des glaces semblent prendre le pas sur les impératifs environnementaux. Ainsi, le vice-chef du gouvernement, Jens B. Frederiksen, s’est exprimé à la radio néerlandaise sur les aspects positifs du changement climatique au Groenland, arguant que la fonte de l’inlandsis laissera place à davantage de terres, ce qui permettrait une augmentation de l’activité, en particulier dans le secteur minier.

Parmi les nombreuses personnalités étrangères à s’être rendues à Ilulissat (Groenland), dans le cadre de la diplomatie climatique menée par le Danemark dans la perspective du COP 15, afin de sensibiliser aux réalités du changement climatique et à la nécessité d’un accord à Copenhague, figurent le sénateur américain John McCain, la présidente de la Chambre des Représentants des Etats-Unis, Nancy Pelosi, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, la chancelière fédérale allemande, Angela Merkel, et le président du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Etude du Climat (GIEC), Rajendra K. Pachauri. Le ministre d’Etat, Jean-Louis Borloo, s’est également rendu à Ilulissat. Dans le même ordre, le dialogue du Groenland, initié par le Danemark en collaboration avec le gouvernement groenlandais en 2005, a depuis permis aux acteurs clés des négociations internationales sur le climat de converser dans un cadre informel, tant au Groenland que dans d’autres pays (Afrique du Sud, Suède, Argentine, Etats-Unis).

Le Groenland, en marche vers l’indépendance?

L’autonomie renforcée du Groenland au sein du Royaume de Danemark, entrée en vigueur le 21 juin dernier, est à la fois un élargissement de l’autonomie interne, instaurée en 1979, et la dernière étape avant une éventuelle indépendance. Celle-ci reste cependant encore lointaine, tant sur le plan économique que sur le taux d’éducation de la population qu’un tel changement nécessite. Le nouveau statut reconnaît les Groenlandais en tant que peuple, donne aux autorités groenlandaises la liberté d’installer un comité chargé de rédiger une constitution et la possibilité d’organiser un référendum en vue d’une éventuelle indépendance – le Groenland restant libre de décider seul de son avenir –, confère la gestion des matières premières aux autorités groenlandaises et met en valeur l’aspect linguistique, le groenlandais étant devenu langue officielle. Les élections législatives du 2 juin dernier ont vu la large victoire du parti le plus à gauche sur l’échiquier politique, Inuit Ataqatigiit . Après trente années de pouvoir incarnées par la formation d’orientation social-démocrate Siumut , Kuupik Kleist, chef du gouvernement, incarne – selon certains – le nouveau visage du Groenland et une transition entre les deux statuts d’autonomie. Il a souhaité suivre personnellement les domaines des négociations internationales sur le climat et des affaires étrangères au sein du gouvernement. Contrairement à son prédécesseur, Kuupik Kleist s’inscrit dans une perspective d’indépendance construite.

À l’heure où les enjeux de l’Arctique vont amener à reconsidérer une partie significative des relations internationales, le Groenland, un des acteurs clés de la problématique de l’Arctique, s’apprête avant tout, au vu des investissements nécessaires à son développement, à faire un choix stratégique entre Amérique et Europe. Dans ce contexte, étant donné l’immensité d’un territoire peuplé d’environ 57 000 habitants, un Groenland indépendant est-il viable ? L’éventuelle adhésion de l’Islande à l’Union européenne a relancé le débat européen au Groenland – certains évoquant le fait qu’une adhésion du Groenland permettrait à ce territoire d’acquérir plus rapidement son indépendance. Les projets d’investissements américains considérables – à titre d’exemple, le projet Alcoa estimé à 2,5 milliards de dollars équivaudrait à cinq fois la subvention annuelle de l’Etat danois au Groenland – amènent les Groenlandais à entrevoir une possible indépendance vis-à-vis du Danemark. Afin d’éviter une nouvelle dépendance, des personnalités politiques groenlandaises souhaitent encourager la diversification des investissements étrangers et entrevoient la possibilité d’une libre association entre le Danemark et le Groenland, alors deux pays indépendants partageant un même souverain.

Un acteur stratégique bientôt incontournable

L’éducation, défi prioritaire du Groenland s’il souhaite répondre aux attentes, en particulier dans le domaine énergétique, et asseoir un projet d’indépendance solide, est l’objet de partenariats avec les Etats-Unis et l’Union européenne. Cette dernière finance à hauteur de 25 millions d’euros par an le système éducatif groenlandais durant la période 2007-2013. Former les cadres du Groenland s’avère être un enjeu d’influence.

Des changements environnementaux découlent l’accentuation des enjeux actuels dans l’Arctique. L’US Geological Survey évoquait en 2007 un potentiel de ressources en hydrocarbure non encore découvertes dans l’Arctique équivalant à 20% des réserves mondiales, plaçant le Groenland à un hypothétique dix-neuvième rang mondial en terme de réserve d’hydrocarbures. Le potentiel en hydrocarbure, rendu en théorie plus accessible par le changement climatique, influence l’environnement géopolitique de la région, où se côtoient trois ensembles géographiques (Amérique du Nord, Europe du Nord et Russie).

Le Groenland est un carrefour des intérêts américains et européens dans la région. Le territoire abrite la base américaine de Thule, élément du bouclier antimissile américain (projet abandonné pour l’instant), et a accueilli la réunion introduisant le concept de « fenêtre arctique » de la dimension nordique de l’Union européenne en 2002, prémices d’une politique arctique européenne. De par son immensité et sa situation géostratégique, le Groenland mérite d’être considéré comme un des acteurs clés de l’Arctique.