ANALYSES

Course aux armements en Amérique latine

Tribune
28 août 2009
Depuis que Manuel Zelaya, le président renversé du Honduras, a été arrêté et extradé, il est intéressant d’observer le rôle des principaux protagonistes du continent. Hugo Chávez, au Venezuela, a été le premier à défendre l’usage de la force pour rétablir le président Zelaya. Beaucoup plus habitué à la rhétorique qu’à la pratique, Chavez a fixé un délai à Micheletti pour qu’il accepte le retour de Zelaya, sans quoi il aurait à « faire face aux conséquences de l’utilisation de la force ». Comme nous pouvions nous y attendre de Chávez, le délai est venu et rien n’est arrivé. Dans cette affaire, l’attitude du gouvernement des États-Unis – et spécifiquement d’Obama – a viré au cauchemar pour Chávez. Obama, en déclarant que Zelaya devait revenir et que Micheletti devait quitter le gouvernement, a privé Chávez de l’utilisation de son refrain favori contre les Etats-Unis. Le discours du dirigeant vénézuélien se nourrissant de la confrontation avec les USA, toute situation dans laquelle les deux leaders partagent la même position vient forcément perturber l’habituel discours bolivarien de Chávez.

Pendant ce temps, la situation au Honduras traîne en longueur. Le président renversé n’a pas le soutien populaire dont il aurait aimé profiter, et ne peut que constater qu’il n’y a pas de pression du public pour son retour. Dans le même temps, le nouveau gouvernement ne semble pas redouter une quelconque sanction. Comme il n’y a pas de dirigeants assez fous pour s’engager dans un conflit armé contre le Honduras, la situation est totalement entre les mains des auteurs du coup d’Etat. Le scénario le plus satisfaisant dans la situation actuelle aurait été le retour de Zelaya, avec la promesse d’élections législatives anticipées. Ainsi, il eût été probable qu’une troisième force politique, non liée à Zelaya ou Micheletti, s’impose et remporte le scrutin.

Par ailleurs, la situation du Honduras a permis aux thèses conspirationnistes de fleurir de nouveau. Des rumeurs persistantes laissent penser que les coups d’Etat risquent de reprendre sur le continent, après la démonstration de la relative impuissance de la communauté internationale dans le cas du Honduras. Certaines personnes croient – tandis que d’autres prennent les paris ! – que le Paraguay sera le prochain sur la liste.

Du fait de la neutralisation de Chavez sur le dossier du Honduras, l’attention s’est alors focalisée sur un autre sujet relatif au continent, à savoir la construction de bases militaires en Colombie. Moment inespéré pour Chávez, lui permettant de retrouver le souffle qui lui manquait. Cette officialisation est aussi tombée à pic pour Chavez car elle a dès lors totalement éclipsé l’annonce de la découverte dans des bases des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), d’armes suédoises vendues au Venezuela et que celui-ci avait semble-t-il fournies aux terroristes.

Profitant de l’émoi suscité sur le continent par l’annonce de cet accord entre la Colombie et les Etats-Unis, Chavez a – classiquement – rappelé son ambassadeur de Bogotá et immédiatement dénoncé l’existence d’un plan d’invasion américaine contre son pays.

La Colombie, tout comme les États-Unis, qui avaient préféré garder le silence le plus longtemps possible sur cet accord, ont dû changer de stratégie face à l’émoi de la communauté sud-américaine. C’est ici qu’entre en scène le président brésilien Lula, qui a ainsi pu faire part de sa préoccupation vis-à-vis du processus de militarisation du continent, rejoint par la présidente du Chili, Michelle Bachelet.

La réponse vénézuélienne ne s’est en fait pas limitée à la traditionnelle rhétorique ou au rappel de son ambassadeur, puisque la possibilité d’implanter des bases militaires russes au Venezuela a alors été évoquée. Proposition officiellement rejetée par la Russie, qui a fait savoir qu’elle n’avait aucun intérêt à avoir des bases militaires en Amérique du Sud. Pourtant, la contre-proposition vénézuélienne était vraiment intéressante pour les Russes qui auraient pu, via ces bases militaires, fabriquer des armes dont le principal client aurait été le pays d’accueil, à savoir le Venezuela.

Enfin, la position du Brésil fut de dénoncer les risques de la militarisation du continent. Il ne pouvait pas en être autrement de la part d’un pays qui, étant donné sa taille, est le leader du continent. Cette « course aux armements », si elle fait du continent une zone d’étude intéressante, la transforme également en zone potentiellement dangereuse. Quant au comportement brésilien, il est quelque peu hypocrite, lui qui est en pleine période d’achats de sous-marins nucléaires, d’hélicoptères de combat et d’avions de combat de quatrième génération. Ses décisions ont évidemment provoqué, par ricochet, le besoin d’acheter des armes en Argentine, au Pérou et en Equateur.

Evidemment, le Brésil doit renforcer ses forces armées pour se préparer aux exigences de la puissance globale. Mais le plus étrange dans cette affaire, c’est que, dans le cas du Brésil, la souveraineté officiellement attendue des transferts de technologie, condition sine qua non des contrats en cours de négociation pour l’achat des hélicoptères, des sous-marins et des aéronefs, risque de faire de la France le seul fournisseur possible de l’armée brésilienne. La souveraineté du Brésil serait alors de façade, un seul pays « contrôlant » en réalité la fourniture des armes du pays le plus important d’Amérique du Sud.

Quel est le lien entre tout cela ? Alors que les gouvernements du Brésil, du Chili et d’autres pays critiquent le processus de militarisation du continent, on voit bien que l’Amérique latine est en train de devenir le théâtre d’une rivalité impliquant trois superpuissances politiques (Etats-Unis, France, Russie).

La France dispose de bases militaires en Guyane française, la Russie pourrait en établir au Venezuela, et les Etats-Unis disposent notamment de leurs bases en Colombie. Cette bande de terre, dans le nord du continent sud-américain, devient l’un des points les plus sensibles de la planète, pas seulement parce qu’elle est proche de l’Amazonie, mais aussi en raison de la tension créée par un homme (Chavez), de la guérilla terroriste en Colombie (FARC, AUC) et du processus de modernisation militaire du plus grand pays d’Amérique du Sud, à savoir le Brésil.

Si le Brésil critique cette course aux armements, il devrait donner l’exemple en ne contribuant pas à la création sur le continent, d’une scène possible d’affrontements géopolitiques entre grandes puissances étrangères. Car l’achat d’armes à un seul pays est présenté comme justifiant, au moins un peu, la préoccupation de modernisation militaire de ses voisins.