ANALYSES

La nouvelle stratégie pour l’Afghanistan : perspectives de retour du terrain

Tribune
19 août 2009
On constate sur place une réelle demande de sécurité pour sortir de l’enlisement actuel : la violence augmente et les insurgés contrôlent d’importantes régions du pays, les « black districts » lorgnés
actuellement par l’offensive des troupes américaines dans la vallée du Helmand. Le déploiement de troupes supplémentaires, dont une partie est chargée de la formation des forces de sécurité afghanes, semblait une mesure nécessaire malgré le risque d’un surcroit de violence, ce dont nous sommes aujourd’hui témoins. Devant l’échec des mesures prises pour rétablir la sécurité, de nombreux Afghans remettent en question la volonté de la communauté internationale à s’engager pour leur avenir. Un sondage récent a ainsi montré que, même si la grande majorité des Afghans ne sont pas en faveur des Talibans et des djihadistes, leur crainte l’emportant sur le reste, leur opinion sur la présence internationale s’est considérablement dégradée ces dernières années.


Cette crainte qu’éprouvent les civils doit être prise en compte, et souligne la nécessité d’éviter toute victime civile. C’est essentiel. Il n’y a jamais eu assez de soldats sur le terrain pour contrôler un territoire aussi ardu et hostile. En 2010, il y aura près de 100 000 soldats internationaux en Afghanistan (les deux tiers d’entre eux étant Américains) et pourtant ces chiffres sont bien inférieurs à ceux estimés nécessaires pour contrer l’insurrection. Le nombre croissant de victimes civiles, particulièrement important en 2007 et 2008, s’explique par un cercle vicieux fait de troupes manquantes, d’un accent démesuré mis sur la sécurité des troupes présentes, et, par conséquent, d’une dépendance excessive vis-à -vis de la puissance aérienne, auxquels s’ajoute les problèmes habituels de coordination au niveau du renseignement. Selon Human Rights Watch, la plupart des pertes civiles peuvent être attribuées aux actions des insurgés ; Quant à celles résultant de l’usage de la force par les troupes internationales, la majorité s’explique par des situations de « Troops in Contact », soit des situations classiques de friction sur le terrain (face-à -face imprévus avec des insurgés, parfois en grand nombre, qui exigent alors un soutien aérien) plus que par des attaques planifiées. Il faut également noter que la plus grande part de ces victimes civiles des actions menées par les forces armées internationales correspond à l’opération « Liberté immuable » (Operation Enduring Freedom OEF) de contre-terrorisme menée par les Américains, car l’opération nécessite des forces spéciales.
Certains points demeurent en suspens, tels que la coordination entre l’OEF et la FIAS (la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité en Afghanistan), mission de l’OTAN sous mandat onusien, demeure floue, même s’il existe désormais une unique chaine de commandement pour ces deux opérations. La question de l’attribution des nouvelles troupes américaines à la FIAS ou à l’OEF reste également ouverte. Ces réponses sont indispensables pour déterminer la nature et les limites des opérations militaires à venir.


En outre, la plupart des Etats de l’Alliance atlantique refuse d’envoyer plus de troupes et surtout, de lever les « caveats » adressés à leurs troupes sur place, ce qui entrave leurs capacités à garantir effectivement la sécurité. Nous avons ainsi vu certains contingents qui passent la plus grande partie de leur temps retranchés sur leurs bases, ce qui n’arrange pas leur image auprès des populations locales.


A l’ensemble de ces facteurs peuvent s’ajouter une insurrection, bien financée par des éléments pakistanais voire iraniens (ce qui se dit à Herat), un gouvernement étant vu comme incapable de subvenir aux besoins fondamentaux de la population, qui de plus a ramené au pouvoir les mêmes seigneurs de guerre et les moudjahidin qui avaient causé tant de torts pendant la guerre civile. Par conséquent, la population Afghane se détache du projet international. Certains Afghans gagnent leur vie avec les insurgés (en installant des explosifs par exemple). L’impression était qu’il fallait que les troupes internationales mènent davantage d’opérations avec les forces de sécurité nationales afghanes, qu’elles atteignent et contrôlent des zones reculées et risquées, qu’elles établissent des liens avec les chefs tribaux, etc. C’est une question de légitimité, comme le soulignent des officiers Canadiens rencontrés à Kandahar. C’est évidement un changement de stratégie périlleux pour les élites de certains pays européens, qui ne semblent s’intéresser à ces questions que lorsque c’est absolument nécessaire. En effet ce changement de stratégie risque d’entraîner davantage de victimes. Mais c’est probablement la seule solution. Le général américain, McChrystal, nouveau chef des forces alliés en Afghanistan, qui passe actuellement en revue l’ensemble des opérations, est catégorique sur le besoin de protéger la population locale et de diminuer autant que possible les attaques aériennes.


Le fait qu’il n’existe pas de solution militaire unique au conflit en Afghanistan, même avec plus de soldats, est une évidence. L’objectif militaire de l’opération n’est pas l’éradication de l’insurrection (ce qui semble impossible), mais à l’aide de mesures diplomatiques et d’un sursaut civil, d’atteindre le plus rapidement possible une phase de stabilisation et de forcer le plus de talibans et de groupes armés à négocier. Les efforts militaires actuels n’auront probablement des conséquences durables que s’ils sont associés ultérieurement à des efforts ciblés sur certains groupes armés, pour obtenir l’ouverture de négociations avec un nombre important de commandants talibans locaux (en les séparant des extrémistes, les djihadistes et Al Qaeda qu’il s’agit également d’éradiquer) et si le Pakistan joue son rôle. Telle est l’évolution envisagée de la situation. Il est impossible d’affirmer que cette stratégie produira des résultats concrets d’autant plus que la seconde phase ne semble pas encore être à l’ordre du jour. S’occuper d’Afghans effondrés sur les ruines de leurs écoles, utilisés comme boucliers humains par les insurgés qui n’hésitent à les brûler ou les estropier lorsqu’ils résistent, comme c’est le cas dans la région de Chora, Uruzgan) n’est qu’une des obligations soulevés par la construction de la paix en Afghanistan, tout comme le fait de devoir quasiment récompenser les seigneurs de guerre.


Par conséquent, l’impact ultime de cette stratégie dépend de trop nombreux facteurs. Nous ne savons pas si une «  afghanisation » aura lieu. Mais la maîtrise à tous les niveaux de l’opération par les Américains apparaît certaine. Elle semble logique étant donné que les Américains sont les plus investis politiquement, mais risque de rendre encore plus complexe la recherche de la paix, d’autant plus que l’Administration Obama veut obtenir des résultats rapides.


Si les Européens veulent peser en Afghanistan, ils doivent, comme cela nous a été expliqué, redoubler leurs efforts (au niveau diplomatique, dans le cadre de la FIAS, etc.) avec tous les risques que cela comporte – ce qu’ils cherchent à éviter. En outre, la réticence des européens à faire la guerre est souvent mise en avant voire critiquée. Ce pacifisme européen, soutenu par nos populations qui ont connu tant de violence, peut être un avantage comparatif par rapport aux populations des théâtres de conflits, tant que l’Europe accepte de fournir d’importantes ressources
civiles. Malgré son énorme potentiel, EUPOL, la mission de police de l’UE en Afghanistan, dont le mandat est de former les forces de police afghanes, a fait face à de graves difficultés pour remplir les postes vacants depuis sa mise en place en 2007. Certains Etats, très pro-européens dans leur discours, n’ont quasiment pas envoyé de policiers, tandis que d’autres envoyaient, au début, du personnel sans aucune notion d’anglais.


Pour certains, le projet de construction d’un Etat nation en Afghanistan est irréalisable et donc voué à l’échec. Pour d’autres, ce projet fait partie de la solution au problème afghan. Dans tous les cas, nous faisons face à un processus incertain et long (les troupes internationales devront être sans doute encore présentes pendant au moins une décennie) et dont le résultat dépend largement des décisions clés prises aujourd’hui (si ce n’est des nombreuses erreurs commises depuis 2001).

Article paru dans El Pais (Espagne), le 29 Juillet 2009