ANALYSES

Royaume-Uni : quand la géopolitique sert la tactique électorale

Tribune
11 juin 2009
Ce vote sanctionne aussi bien sûr la dégradation peu surprenante des finances publiques et la rupture officielle du pacte d’équilibre budgétaire, pierre angulaire de la politique économique du « New Labour ». Si dans sa fonction de Chancelier de l’échiquier, Gordon Brown s’est employé à tenir cet engagement avec un relatif succès, las, les engagements en Irak et en Afghanistan et la crise financière ont eu raison de ce Credo . Certes, le PM a su plutôt brillamment éviter l’irréparable pour la puissance financière de Londres. Cependant, il ne pouvait éviter de le faire qu’en déclenchant une spirale déficitaire que tout le monde savait contenue depuis plusieurs années, grâce à des artifices statistiques, budgétaires et le financement privé d’un nombre croissant d’investissements publics.

Plus généralement enfin, le scandale du remboursement abusif de frais personnels de nombreux députés et de quelques ministres aux frais du contribuable a suscité un regain de méfiance quant à la probité du monde politique. Les aspirant(e)s au pouvoir suprême et les Brutus blairistes en ont alors profité pour se dévoiler. Ce climat délétère et le regain d’abstention ont naturellement contribué à la montée en puissance relative des partis jusque là marginaux, comme les verts et la droite xénophobe tel que le UK Independent Party, voire franchement raciste comme le British National Party.

Dans un paysage politique et économique d’où les radicaux avaient disparu – depuis John Major pour les conservateurs et l’élection de Tony Blair pour les travaillistes – les trois partis traditionnels ne peuvent aujourd’hui vraiment afficher leur différence qu’en revenant à des positions plus tranchées sur tel ou tel sujet.

Dans ce contexte, les conservateurs font de l’avenir des relations du Royaume-Uni et de l’Union Européenne un argumentaire pivot de leurs campagnes électorales en même temps que de leur géostratégie programmée dans le cadre d’une géopolitique churchillienne des trois cercles revisitée. Ils brandissent comme une promesse électorale alléchante la menace qu’ in fine si la vision fédéraliste d’une Union Européenne ultra moralisatrice, régulatrice et de facto protectionniste devait s’amplifier, notamment sous l’impulsion franco-allemande, ils n’hésiteraient pas à s’engager sur la voie du retrait. L’alternative serait alors pour la Grande-Bretagne, par exemple, de devenir un membre associé, comme c’est proposé pour la Turquie, de resserrer encore un peu plus ses liens avec les États-Unis et surtout avec le Commonwealth dont prima inter pares l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et…l’Inde. En somme un retour aux sources !



Le retrait des Membres conservateurs du Parlement Européen (MPE) du groupe de centre droit du Parti Populaire Européen (PPE) est le premier mouvement des pions conservateurs sur l’échiquier de leur géopolitique européenne. Le second est l’annonce de la participation à la formation d’un éventuel parti eurosceptique au sein du Parlement européen. Le troisième serait de refuser la ratification dite « furtive » du traité de Lisbonne et de procéder à un referendum, quand bien même le deuxième vote irlandais infirmerait le premier refus.

Il est une règle élémentaire en stratégie qui édicte que le bluff ne doit être utilisé que dans les seules limites de la probabilité que le bluffeur soit pris au mot. En d’autres termes, une menace n’est valable que pour autant qu’elle est crédible. On imagine que David Cameron et le parti conservateur ont bien intégré tous les paramètres de ce postulat de la théorie des jeux.

Dés lors, la diatribe « Tory » à l’encontre d’une Europe politique, industrielle, commerciale et financière plus intégrée et les menaces de remise en cause de l’adhésion britannique deviennent réellement préoccupantes. Un tel jeu peut se révéler à somme non nulle et non seulement ruiner des années de travail d’harmonisation et de coopération mais aussi provoquer une résurgence des antagonismes géopolitiques à l’intérieur de l’Union. C’est une illusion et ce serait une grave erreur que de penser qu’aucune faille ne peut plus jamais fissurer la plaque tectonique géopolitique européenne.

Dans ce contexte, il faut souhaiter que les prochaines élections britanniques se déroulent en temps et en heure (c’est-à-dire dans un an) et non sous la pression d’une révolution de palais comme on peut le craindre depuis plusieurs jours. Il faut aussi et surtout espérer que ces élections se feront autours d’un réel débat sur le rôle que ce grand Etat-nation peut et doit jouer dans une Europe des Nations, et non pas autours d’un argument de tactique électorale transformé en obsession idéologique. Les conservateurs se trompent gravement s’ils pensent réellement qu’un accès aux Affaires sur la base du seul appel aux sentiments insulaires et xénophobes servirait les intérêts de la puissance britannique et son indépendance.

Chacun sait bien que la rhétorique électorale dépasse le plus souvent la pensée réelle des orateurs. Prêtons donc aux Britanniques en général et aux conservateurs en particulier plus de subtilité dans l’art et la manière de bouger leurs pièces sur les échiquiers électoral et géopolitique.