ANALYSES

Tiananmen, 20 ans après

Tribune
4 juin 2009
A la veille du 20ème anniversaire de la répression des manifestations de 1989, les regards se tournent vers Pékin où le sujet est toujours aussi tabou (1). Comme chaque année, les autorités ont renforcé la sécurité de la place de la porte de la paix céleste (Tian an men), située au cœur de la capitale chinoise, au Sud de la cité interdite, à quelques encablures de Zhongnanhai, la résidence des dirigeants. Le cimetière de Babaoshan (où reposent les héros révolutionnaires) est lui aussi très surveillé.

Si pour l’Occident, le « printemps de Pékin » est dans tous les esprits avec des images à jamais gravées dans la mémoire collective comme celle de ce jeune homme inconnu face aux chars (2), il s’agit toujours officiellement pour le gouvernement chinois de « troubles politiques » dont il convient de ne plus de parler.

Pourtant nombreux sont ceux qui ne veulent pas que l’on oublie ce qui s’est passé.

Les manifestants étudiants qui se sont rassemblés à Pékin et dans s’autres grandes villes chinoises de mi-avril (3) à juin 1989 dénonçaient la corruption du régime et demandaient des réformes politiques. Ils réclamaient la « 5ème modernisation » : démocratie et pluralisme (4). Ils ont été rejoints par des ouvriers mécontents de la forte inflation et du chômage. Les dirigeants ont alors craint la contagion.
Après quelques tentatives de négociations avec les manifestants, le gouvernement a instauré la loi martiale le 20 mai, et a ensuite demandé à l’armée d’intervenir pour disperser les manifestants. Le 4 juin 1989, l’armée a tiré. Les combats se sont poursuivis pendant plusieurs jours dans les principales villes chinoises (Pékin, Shanghai, Chengdu, Xian, Qingdao…). Le bilan de la répression a été terrible. La communauté internationale a condamné ces violences et imposé des sanctions à la Chine, notamment un embargo de l’Union européenne sur les armes, toujours en vigueur.

Quel a été le nombre total de victimes ? On ne dispose à ce jour d’aucune liste exhaustive des morts, disparus ou emprisonnés. Combien de personnes sont-elles encore en prison pour leur lien avec ces événements ?

La blessure est toujours ouverte. En Chine, plusieurs voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer la brutalité de la répression de juin 1989 et demander un réexamen de la position officielle du gouvernement.

Les « Tiananmen mothers» qui rassemblent des parents de victimes des événements de 1989 ont adressé l’année dernière une lettre au Parlement chinois. Leur porte-parole est Ding Zilin, dont le fils de 17 ans a été tué le 4 juin 1989.
Jiang Yanyong, un ancien chirurgien militaire, arrêté pour avoir adressé une lettre au Parlement, persiste. Il vient d’écrire au Président Hu Jintao pour demander des excuses pour son arrestation. Zhang Shijun, un soldat qui participa aux événements de Tiananmen, a été arrêté pour avoir publié une lettre ouverte à Hu Jintao en mars dernier. Autant de tentatives particulièrement risquées pour leurs auteurs.

En cette période sensible, la surveillance des dissidents est accrue. Le gouvernement prend très au sérieux les initiatives des contestataires et des démocrates, surtout en pleine crise économique.

Parmi eux, citons Liu Xiaobo, l’un des leaders de 1989, plusieurs fois arrêté et assigné à résidence. Il est l’un des organisateurs de la « Charte 08 » (5). Quant aux leaders étudiants réfugiés aux Etats-Unis, beaucoup ne peuvent plus rentrer en Chine (6). Zhou Yongjun, qui dirigeait l’Union autonome des étudiants de Pékin en 1989 et qui vivait aux Etats-Unis a été arrêté pour fraude à son retour en Chine en septembre dernier.

La censure historique sur les événements de 1989 est quasi-totale. Dans ce contexte, il y a de fortes chances que « Prisoner of the State », les mémoires posthumes de Zhao Ziyang publiées à l’occasion du 20ème anniversaire de Tiananmen restent interdites en Chine continentale.
L’ouvrage revient sur la bataille politique qui s’est déroulée au sommet du parti en 1989 entre deux lignes : les « réformistes » (Hu Yaobang, Zhao Ziyang) et les « conservateurs » (Chen Yun, Chen Xitong, Yao Yilin, Li Peng).
Zhao Ziyang a été destitué de son poste de secrétaire général du PCC (7) et accusé de « fractionnisme » pour s’être opposé au recours à l’armée. Le 19 mai 1989, il a été vu pour la dernière fois en public sur la place Tiananmen (8), implorant les étudiants de rentrer chez eux. Le lendemain, après six semaines de manifestations, la loi martiale était déclarée. Zhao Ziyang est mort en janvier 2005, après avoir passé 15 ans en résidence surveillée. Dans ses mémoires, il désigne Deng Xiaoping comme l’un des principaux responsables de la répression (9). C’est le fils de son bras droit Bao Tong, qui a publié à Hong Kong la version chinoise de l’ouvrage.

Si l’anniversaire de Tiananmen fait couler beaucoup d’encre à l’étranger, en Chine, la menace qui préoccupe les autorités, c’est la crise économique. Elle sape leur légitimité et leur rêve de « société harmonieuse ». Le pouvoir a décidé de développer la demande intérieure pour compenser la baisse des exportations et soutenir l’activité. Or, pour inciter les Chinois à consommer, il faut libérer l’épargne de précaution (destinée aux dépenses d’éducation, de logement, de santé, à la protection contre le chômage et à la retraite).
C’est pourquoi, les autorités ont entrepris de réformer le système de santé chinois. Un plan de 850 milliards de yuan, annoncé début avril, prévoit d’étendre l’assurance maladie à 90% de la population.

Ces « filets » sociaux suffiront-ils à satisfaire les « enfants de Tiananmen », cette classe moyenne qui, de plus en plus ouverte sur le monde, entrevoit les limites du système exacerbées par la crise économique ?

(1) Tiananmen, Taiwan et le Tibet sont connus comme les 3 T, sujets tabous et mots censurés sur les moteurs de recherche chinois. Des filtres suppriment automatiquement toute référence à « 64 » (4 juin). Les images qui contreviennent à la thèse officielle sont expurgées du web chinois.
(2) Photo de Stuart Franklin (Magnum)
(3) Des manifestations spontanées ont suivi l’annonce de la mort de Hu Yaobang, le 15 avril 2009. Ancien secrétaire général du parti, limogé par Deng Xiaoping suite aux manifestations de 1986-87, il était partisan de la réhabilitation des victimes de la révolution culturelle et favorable à une autonomie renforcée du Tibet. Cette année encore, l’anniversaire de la mort de Hu Yaobang est passé sous silence dans les médias et sa réhabilitation n’est pas à l’ordre du jour.
(4) Les 4 modernisations voulues par Deng Xiaoping : industrie et commerce, éducation, armée, agriculture.
(5) La Charte 08 mentionne explicitement les événements du 4 juin 89.
(6) Notamment Wang Dan, ancien étudiant de Beida ou Han Dongfang, organisateur d’un syndicat indépendant.
(7) Remplacé par Jiang Zemin, alors secrétaire général du PC de Shanghai
(8) Sur certains clichés, on aperçoit l’actuel premier ministre Wen Jiabao derrière lui.
(9) Dans son discours du 9 juin, Deng Xiaoping a attribué les événements à des voyous et affirmé qu’il n’y avait pas eu de morts sur la place Tiananmen.