ANALYSES

CUBA, une normalisation diplomatique attendue par l’Amérique latine

Tribune
1 juin 2009
Cuba a été exclu de l’OEA en 1962. Le 31 janvier de cette année-là, à Punta del Este station balnéaire uruguayenne, une résolution adoptée à l’arraché signale l’incompatibilité d’un régime fondé sur le marxisme-léninisme et allié d’une puissance extra-continentale, l’URSS. En dépit des réserves signalées par six pays membres, quatorze autres votent la résolution. Tous à l’exception du Mexique suspendent leurs relations diplomatiques. Les Etats-Unis mettent en place une politique d’embargo pour isoler le pays contaminé et une politique d’aide aux pays latino-américains amis, l’Alliance pour le progrès. Quelques mois plus tard la « crise de Cuba » matérialisera spectaculairement l’extension aux Amériques de l’affrontement militaire, entre Etats-Unis et Union soviétique. Cuba en sera dans l’hémisphère occidental le maillon symbolique. Entrée volontairement en communisme, La Havane sera jusqu’en 1990, la vitrine de l’URSS aux portes des Etats-Unis. Et Cuba est depuis 1962 le pays paria, maintenu par Washington aux marges du monde civilisable.

L’URSS et son bloc ont brutalement disparu en 1990. Cuba n’est plus l’avant-garde d’une superpuissance concurrente en situation de saper l’influence de Washington en Amérique ou en Afrique. Cuba a suspendu ses activités militaires en Angola. Cuba a joué un rôle clef dans la pacification de l’Amérique centrale. Cuba est un intermédiaire sollicité par les autorités colombiennes pour dialoguer avec l’ELN (l’Armée de libération nationale). La CIA a, dans un rapport officiel, dés 1996 signalé que Cuba ne menaçait plus les intérêts des Etats-Unis. Pourtant l’embargo a été perpétué et même renforcé avec l’adoption des lois Torricelli et Helms-Burton. Pourtant, alors qu’elle refuse l’embargo, l’Union européenne en suspendant sa coopération institutionnelle a rejoint l’approche nord-américaine. Cuba n’est plus une menace pour Washington. Cuba ne l’a jamais été pour Bruxelles. Mais à Washington comme à Bruxelles, on conditionne toute normalisation à un changement de politique à La Havane. Cuba, dit-on à la Maison Blanche comme au Berlaymont, doit respecter les libertés et les droits de l’homme.

Avec la chute du mur de Berlin, tout un pan des relations interaméricaines s’est peu à peu effrité. L’Amérique latine, a pris acte de la fin de la bipolarité. L’URSS a disparu, et avec elle le Pacte de Varsovie et le CAEM. Mais en dépit de la perpétuation et de l’extension de l’OTAN, l’Occident, dans sa double version étatsunienne et européenne s’est détournée accaparée par d’autres priorités. Washington s’est tourné vers le Proche et le Moyen Orient et vers la Chine. L’Europe a perdu boussole et références en Europe centrale. Tandis que les latino-américains, pour la première fois de leur histoire, ont commencé à construire leur espace géopolitique. Près de dix neuf ans après la chute du mur, ils ont créé leurs propres institutions de coopération diplomatique et de concertation. Certes ils l’ont fait dans le désordre. Certaines sont plus radicales que d’autres. Mais elles ont toutes un point commun. Toutes visent à doter l’Amérique latine des moyens de régler seule ses problèmes, sans ingérences extérieures. Pour la Colombie comme pour le Venezuela, le Chili comme la Bolivie, aux orientation intérieures très différentes, la question cubaine n’est pas une question de droits de l’homme, mais un problème de souveraineté. Cuba est membre de l’ALBA, (Alternative bolivarienne des Amériques) institution créée par le président vénézuélien Hugo Chavez. Mais Cuba fait également partie du groupe de Rio et de la Conférence des pays latino-américains, parrainés par le Brésil de Lula da Silva.

L’étape suivante pour ces pays vise à réintégrer Cuba dans l’hémisphère occidental. Le secrétaire général de l’OEA, José Miguel Insulza, a salué la levée partielle de l’embargo par le nouveau chef d’Etat nord-américain, Barack Obama. Mais, a-t-il dit, il serait temps, dix neuf ans après la fin de l’URSS, de normaliser une situation héritée de la guerre froide. Cuba doit réintégrer sans conditionnalité l’OEA. Cette position est celle de tous. Ce qui ne veut pas dire qu’elle sera facile à mettre en musique. Les Etats-Unis d’Obama conditionnent toute normalisation à une avancée sur les droits et libertés. Le président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, a signalé son soutien à la démarche nord-américaine. Positions qui relèvent du droit d’ingérence, qui, vu d’Amérique latine, n’est pas une avancée majeure du droit international. Il s’agit bien au contraire de l’expression d’une norme imposée par le plus fort. La Haye, (avec la CIJ), New York et Genève (avec le système onusien) sont les seuls méridiens qui font l’unanimité de Mexico à Buenos Aires.

Avant-hier les Latino-Américains avaient soutenu l’Argentine dans son conflit avec l’Angleterre pour le contrôle des Falklands/Malouines, hier ils avaient condamné la mise en examen d’Augusto Pinochet en Europe, l’intervention de l’OTAN en Serbie, et celle des Etats-Unis et de leurs alliés en Irak. Aujourd’hui ils souhaitent la réintégration de Cuba au sein de l’OEA. Les Etats-Unis ont annoncé leur hostilité à toute mesure allant en ce sens. Alors que le Canada signalait sa compréhension. « Il est temps », a déclaré Peter Kent, son ministre des Amériques. Les légations du Costa-Rica, Honduras et Nicaragua s’efforçaient à la veille de la conférence de trouver un dénominateur commun. Le consensus entre les Etats-Unis, rejetant toute perspective de réintégration cubaine sans concession politique, ceux qui entendent ménager Washington pour des raisons alimentaires et ceux qui souhaitent une régularisation inconditionnelle, paraît improbable. Mais il y aura débat. Un débat qui permettra de mesurer un état d’esprit et un rapport de forces entre les Etats-Unis et ce que, par habitude, certains considèrent toujours comme l’arrière-cour des Etats-Unis.

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