ANALYSES

Pakistan : retour en fonction du Chief Justice I.M. Chaudhry ; pas de la sérénité

Tribune
24 mars 2009
Le Chief Justice CHAUDHRY, icône de l’indépendance – longtemps méprisée – de la justice, héraut de la résistance au pouvoir des militaires, a donc réintégré son bureau le 22 mars, pour la plus grande joie de l’ancien 1er ministre SHARIF comme d’une grande partie de la population. Cette rare bonne nouvelle concernant le Pakistan ramène – très ponctuellement hélas — un brin d’optimisme et de gaieté à Islamabad. Trop peu malheureusement pour ne pas s’inquiéter de la suite probable des événements.

> Le Président ZARDARI déjà décrédibilisé . Contraint et forcé, sous peine de voir la Longue Marche des avocats et sa cohorte de supporters déferler dans la capitale et menacer sa frêle légitimité, le Président A.A. ZARDARI (PPP) a finalement du s’acquitter – contre son gré – d’une promesse formulée lors de la campagne législative de février 2008 (que son parti remporta), celle de remettre dans ses fonctions le charismatique Chief Justice I.M. CHAUDHRY. Le fait qu’il ait tant tardé, que cette décision ait été prise sous la menace d’une démonstration de force populaire, que les militaires aient refusé de cautionner son entêtement, ont considérablement réduit sa légitimité – déjà sujette à caution avant même son entrée en fonction –, alors même qu’il célèbre son premier semestre à la tête de l’Etat.

> La montée en puissance du 1er ministre Y.R. GILANI . Homme sûr et bouclier du Président avant cet épisode délicat, le 1er ministre Y.R. GILANI s’est considérablement éloigné de son mentor à l’occasion de cette crise. A l’écoute de la population, il professait auprès du Président de réinstaller le Chief Justice afin de désamorcer la crise et redonner quelque crédit à la Présidence de la République. Son ouverture, en annonçant notamment sa capacité / volonté d’œuvrer le cas échéant avec le PML-N de SHARIF, pour le grand bien de la concorde nationale, ont fortement déplu au Président ZARDARI. Ce d’autant plus que le 1er ministre milite lui aussi – comme Nawaz SHARIF et la PML-N – en faveur d’un rééquilibrage des compétences exécutives entre le Président (aujourd’hui en position de force) et le chef de gouvernement (17eme amendement à la Constitution). Impossible à éluder dans les mois à venir, un débat autour de cet enjeu démocratique et constitutionnel majeur compliquera davantage encore la donne entre les deux premiers personnages (civils) de l’Etat.

> Un antagonisme SHARIF-ZARDARI consommé. On avait eu bien du mal à croire en une alliance contre nature ZARDARI-SHARIF, PPP-PML-N, survivant au révélateur des élections législatives de février 2008 et dont le seul dessein était de bouter hors du pouvoir l’administration MUSHARRAF et ses partisans (cf. dont le PML-Q). Aujourd’hui, le premier est déjà très discrédité auprès de ses administrés, après un semestre d’exercice, tandis que le second est à présent le personnage politique le plus en vogue auprès de l’opinion. Probablement irréconciliable, la distance entre les deux, les tendances contradictoires de leur légitimité populaire respective, font de feu ce binôme pro-démocratique pré-électoral un couple sans avenir.

> Le Punjab, terre de joute et de pouvoir . Symbole de l’écart des positions entre l’équipe présidentielle et son plus dangereux challenger politique, N. SHARIF, des décisions partisanes dépourvues de légitimité, l’invalidation en février 2009 par la Cour Suprême des mandats politiques des frères Nawaz et Shabaz SHARIF (alors Chief Minister) au Punjab, l’imposition de la Governor Rule (loi fédérale) sur cette riche et influente province (par ailleurs fief politique de la PML-N des Sharif), auront achevé de convaincre l’opinion, les observateurs étrangers, des décisions arbitraires du Président ZARDARI. Une attitude partisane que ce dernier décriait pourtant abondamment chez son prédécesseur, P. MUSHARRAF. Ces derniers jours, la pertinence de cette invalidation était âprement disputée dans les couloirs du pouvoir ; une réévaluation plus sereine du dossier serait sérieusement considérée.

> Les prochains dossiers du Chief Justice. Que d’attentes désormais de la part de la population à l’endroit du Chief Justice CHAUDHRY ! Que de craintes également, du côté du clan présidentiel et de P. MUSHARRAF notamment, certains redoutant que CHAUDHRY, de retour aux affaires, se mette sans tarder à l’ouvrage et révise la validité de certaines décisions entérinées – d’une manière partisane dira-t-on — par son successeur à la Cour Suprême. En cause notamment certaines procédures d’amnistie dont auraient profité le PPP et plus particulièrement ZARDARI, mis en cause en diverses affaires de corruption dans les années 80 et 90, lorsque son épouse, feue Benazir Bhutto, était alors 1er ministre.

> Terrorisme et talibanisation, gangrènes sans remède ? L’actualité de ces dernières semaines, occupée par cette Longue Marche et ses lendemains incertains pour l’administration en place, aura occulté divers maux pourtant quotidiens agressant durablement la société pakistanaise, et contre lesquels elle semble bien désarmée : la permanence du fléau terroriste, en tous points du pays, et l’avancée constante de la talibanisation en diverses régions, pourtant pas toutes éloignées du centre du pouvoir politique et militaire, à l’image de la vallée de Swat (160 km d’Islamabad, la capitale fédérale), où les Talibans locaux ont désormais officiellement droit d’imposer leur vision obscurantiste à la population, suite à un « accord de paix » bien généreux négocié avec le pouvoir et l’armée.

> L’infusion en terre pakistanaise du conflit afghan ; ou l’inverse ? Dans cette région tourmentée entre Asie du sud et Asie centrale, il n’est depuis longtemps plus permis de s’interroger sur la tendance ; d’Islamabad à Kaboul, de Peshawar à Kandahar, elle est tristement à la détérioration, au pourrissement avancé. On en arriverait presque à se demander qui du conflit afghan à la fragilisation de la scène interne pakistanaise agit, infuse le plus sur l’autre… Etroitement assemblés dans une spirale de crise et une matrice du désordre organisé, le Pakistan et l’Afghanistan, voisins surtout associés pour le pire, s’entrainent l’un et l’autre irrésistiblement vers les abimes.

> Relations toujours tendues avec New Delhi. Quatre mois après les attentats de Bombay (200 morts ; implications d’acteurs non-étatiques pakistanais reconnue par Islamabad), les relations demeurent crispées entre New Delhi et le gouvernement pakistanais. Historique, consubstantielle à l’existence de ces deux voisins plus ennemis que cousins, rivaux que partenaires, la méfiance n’a pas disparu des rapports indo-pakistanais par la seule grâce du retour d’un gouvernement civil démocratiquement élu à Islamabad il y a tout juste un an. Ayant toujours le sentiment que les ficelles du pouvoir étaient aux mains de l’influente hiérarchie militaire, que le gouvernement ZARDARI disposait en toutes hypothèses de peu de latitude vis-à-vis de cette dernière et que nombreux demeuraient les indo-sceptiques et adversaires d’un rapprochement indo-pakistanais, New Delhi n’est pas disposée à absoudre Islamabad, nonobstant les gages de bonne foi et les (rares) offres de coopération émises par le gouvernement GILANI au lendemain de cette tragédie. A quelques semaines des prochaines élections générales en Inde, le rendez-vous politique quinquennal majeur dans le pays de GANDHI, la mansuétude ne saurait être de mise à l’égard du Pakistan, sauf à vouloir s’aliéner une partie de l’électorat.

> Une administration américaine sceptique vis-à-vis du gouvernement pakistanais. La nouvelle administration démocrate américaine, actuellement en phase de réécriture du script de son engagement en Afghanistan et de ses rapports complexes avec Islamabad, sait combien le soutien – même imparfait et parfois sujet à caution – de son allié pakistanais demeure crucial dans une logique de dégradation de la situation, en Afghanistan comme au Pakistan. Pourtant, que cette coopération est chaotique, entre reproches permanents et encouragements, leçons et satisfecit alternés, franche méfiance et proximité ! L’administration OBAMA entend toutefois lui donner de nouveaux contours, plus engageants pour Islamabad, conditionnant l’octroi d’une assistance financière et économique indispensable en ces temps de carences. Or, observée depuis deux années, la montée en puissance de l’anti-américanisme dans le pays limite aussi la proximité que peut s’autoriser le Président ZARDARI avec son homologue américain, la population lui reprochant déjà, comme nous l’avons vu plus haut, diverses positions et discussions sujettes à caution.

> Une scène économique désolée. Le tableau économique et financier pakistanais ne suscitera guère de jalousie chez ses voisins du sous-continent. Affligé dès avant la crise financière actuelle par une kyrielle d’indicateurs flottant entre le maussade et le critique (1/3 de la population sous le seuil de pauvreté ; inflation supérieure à 20% ; PIB / h inférieur à 800 $), ce pays fébrile, exposé à tant de maux, en déséquilibre permanent à deux pas du précipice, hérite d’une scène économique et sociale délabrée faisant le lit d’une contestation sociale dont profitent les obscurantistes et autres structures politico-religieuses. Une scène sinistrée qui aura souffert durant l’année écoulée, 12 mois plus dédiés à la paralysie interne et à la guerre de tranchées entre PPP et PML-N qu’à la prise à bras le corps de chantiers autrement plus prioritaires, parmi lesquels l’économie.
Prospective : exceptionnel (par sa rareté et l’engouement populaire suscité), le retour triomphal à la Cour Suprême de son emblématique ancien Président I.M. CHAUDHRY, démis de ses fonctions 2 ans plus tôt par P. MUSHARRAF, ne doit pas faire perdre de vue l’extrême fragilité du théâtre de crise pakistanais, plus secoué et malmené qu’il ne l’a probablement jamais été. Cet arbre de la justice ne doit en aucune manière cacher la forêt de défis colossaux et les océans de carences et de fragilités meurtrissant ce pays de 170 millions d’âmes. Un Etat par ailleurs bien mal armé – nonobstant un arsenal nucléaire et 620 000 hommes de troupe – pour affronter ces défis menaçant parfois jusqu’à son existence, où la bonne gouvernance ne semble être qu’un concept creux et la course au pouvoir, quel qu’en soit le prix pour la population, l’unique préoccupation de ses dirigeants.