ANALYSES

Les non-dits de la transition par la rue à Madagascar

Tribune
18 mars 2009
Peut-être Madagascar sera-t-elle suspendue de l’UA, verra-t-elle ses aides européennes interrompues, ou ses programmes avec la Banque Mondiale remis en question ? Mais ne nous y trompons pas, cette posture diplomatique laissera très bientôt place à une reconnaissance implicite du nouveau « Président » malgache, à l’instar de ce qui s’est récemment passé en Guinée-Conakry ou en Mauritanie. Entre légalité et légitimité, la seconde reprendra rapidement ses droits. Toutefois, la légitimité dont jouit Rajoelina aujourd’hui ne doit pas faire oublier les inquiétudes qui habitent de nombreux Malgaches, comme en témoignent les avis de la presse de la Grande île. La similarité des profils frappe les observateurs et laisse suggérer une reproduction à l’identique du mandat de Ravalomanana marqué par l’autoritarisme et le patrimonialisme.

Ce raccourci – peut-être trop simpliste – fait peu de cas des soutiens massifs apportés à Rajoelina à Madagascar : davantage qu’un coup de force individuel, « Andry TGV » s’est vu réclamer cette intervention extraconstitutionnelle de la part de tous les opposants, comme de certaines composantes de la société civile, telles le SEFAFI (l’Observatoire de la vie publique), le CNOE (Comité National d’Observation des Elections) ou le CONECS (Conseil National Economique et Social). Il bénéficiait également d’un soutien implicite d’autres strates de la société malgache. Par ailleurs, il est assez frappant de constater que bon nombre de ceux qui manifestaient devant l’Ambassade de Madagascar en France il y a trois mois ou de ceux qui se réjouissaient des premières manifestations sur la Grande île, dénoncent aujourd’hui la dérive autoritaire de Rajoelina. Que voulaient-ils sinon ce renversement ? que la pression populaire suffise à entraîner la démission de Ravalomanana ? C’était mal connaître ce dernier… Certes, l’incertitude totale plane aujourd’hui sur Rajoelina, que ce soit sur ses ambitions, ses intérêts privés, sa capacité à contrôler les « vautours » de l’opposition et les exilés en France, mais il est sans doute injuste de lui reprocher les erreurs de ses prédécesseurs au nom du « ce sont tous les mêmes ».

Rajoelina doit être jugé sur ses faits, et il aura loisir de le faire dans la phase de transition de 24 mois. Réformera-t-il le code électoral, comme cela est attendu depuis plus de 15ans ? Continuera-t-il à faire fructifier Viva et Injet ou bien tirera-t-il leçon des travers entrepreneuriaux de son prédécesseur ? Nationalisera-t-il Tiko ou récupérera-t-il personnellement une partie de ses entreprises? Intégrera-t-il intelligemment les anciens partisans de Ravalomanana ou mènera-t-il une politique de la terre brulée dramatique pour le pays ? Organisera-t-il des élections régionales, tant attendues depuis 2002, ou cherchera-t-il à assurer son contrôle sur les Régions en gardant les Chefs de Région nommés ? Remettra-t-il en fonctions les Maires déchus de leurs fonctions ? Réformera-t-il le statut des chefs de Fokontany (quartier) pour que ceux-ci soient de nouveau nommés par les Maires élus ? Mettra-t-il en place une « révolution verte » destinée à la sécurité alimentaire du pays ou poursuivra-t-il une politique agricole d’exportation pour le bien d’un petit nombre d’industriels? Mettra-t-il en place un fonds de stabilisation transparent pour gérer les recettes minières ou préservera-t-il l’opacité actuelle pour profiter personnellement des richesses du pays ?

Toutes ces questions sont cruciales pour l’avenir du pays et méritent toute l’attention des observateurs pour savoir si oui ou non Rajoelina sera un nouveau Ravalomanana.