ANALYSES

La délicate rupture d’Obama dans la lutte contre le terrorisme

Tribune
27 février 2009
La question se pose notamment sur la lutte contre le terrorisme, initiée par George W. Bush et aujourd’hui largement critiquée. Durant la campagne, Obama et son entourage avaient souligné leur volonté de se défaire de l’approche de l’Administration Bush à ce sujet. La guerre contre le terrorisme avait tenu une part prépondérante dans la politique étrangère de la précédente administration. La « doctrine Bush », élaborée à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et officialisée dans la National Security Strategy de 2002, reposait sur trois fondements pour lutter contre le terrorisme : privilégier l’action unilatérale (découlant du refus de voir les contraintes internationales amoindrir la marge de manœuvre des Etats-Unis), recourir à l’action préventive (les Etats-Unis agissant contre les menaces naissantes « avant qu’elles n’aient pris forme ») et utiliser de tous les moyens, y compris la force armée, pour promouvoir la démocratie. Le projet de Grand Moyen Orient, développé en 2003 et officialisé en 2004, est venu compléter cette stratégie américaine, en ciblant plus particulièrement cette région englobant le Maghreb, la Corne d’Afrique, le Moyen-Orient jusqu’à l’Afghanistan et le Pakistan.

« Comme la lutte contre le communisme pendant la Guerre froide, la lutte contre le terrorisme sera le conflit d’une génération. Il continuera longtemps après ma présidence », avait prédit Bush en décembre 2008. Et effectivement, malgré une dénonciation ferme de l’approche de l’Administration Bush en matière de terrorisme, il est probable que l’Administration Obama ne change pas radicalement la politique américaine à cet égard.

Depuis sa prise de fonction, Barack Obama a privilégié son programme intérieur, économique notamment. L’ampleur de la crise économique et les défis à relever pour redresser la situation interne du pays imposaient une implication personnelle de sa part. En revanche, il délègue énormément sur le plan international : nomination d’émissaires spéciaux pour le Proche-Orient (George Mitchell), pour l’Afghanistan et le Pakistan (Richard Holbrooke) et de multiples conseillers au Département d’Etat et au National Security Council (NSC), tournée d’Hillary Clinton en Asie, voyage de John Kerry, Brian Baird et Keith Ellison au Moyen-Orient (notamment à Gaza et en Syrie)…
Cette méthode constitue le premier pilier de la politique étrangère d’Obama : la distribution du pouvoir au sein de l’administration, avec un renforcement du NSC et des émissaires spéciaux chargés des principales zones de crises. Obama continuera de prendre les grandes décisions et de fixer la ligne, mais ne suivra pas les dossiers internationaux au jour le jour. Quant au Département d’Etat et Hillary Clinton, leur principale tâche sera de refaçonner la politique étrangère américaine. Hillary Clinton a d’ailleurs été la première à évoquer le concept de « smart power » pour la conduite de la diplomatie.
Le second pilier est la remise au goût du jour du « speak softly and carry a big stick ». Certes, Obama et son administration ont insisté sur leur volonté de dialogue, d’ouverture. Mais cela n’empêchera pas un grand réalisme et un grand pragmatisme, comme l’a confirmé la visite d’Hillary Clinton en Asie : les intérêts économiques ont primé sur la défense des droits de l’homme. La stratégie d’Obama, notamment en Afghanistan, n’est pas encore pleinement définie, mais les grandes lignes de la politique étrangère américaine sont d’ores et déjà visibles et marquent une certaine continuité avec les fondements de la politique étrangère américaine.

Sur le plan de la lutte contre le terrorisme, la continuité, plus que la rupture, marque également les débuts de l’action de l’Administration Obama. Comme le soulignent l’International Herald Tribune->http://www.iht.com/articles/2009/02/18/america/18policy.php] et le [Wall Street Journal , certains membres de l’Administration Obama continuent de soutenir certaines pratiques de l’Administration Bush : programme de la CIA de transfert de prisonniers dans d’autres pays, le classement sans suite des poursuites de la part d’anciens détenus de la CIA pour cause de secret d’Etat, emprisonnement sans jugement de personne suspectée d’aider financièrement Al-Qaïda ou d’être un combattant ennemi sur le sol américain, etc. De quoi relégitimer l’architecture de lutte anti-terroriste de Bush, malgré la fermeture annoncée de Guantanamo.

L’Administration Obama va ainsi poursuivre la lutte contre le terrorisme, tout en marquant une inflexion sur la méthode, en travaillant en coopération avec d’autres pays, et sur l’approche, en réfutant l’amalgame entre monde musulman et extrémisme.
Mais nous sommes encore loin du vœu de G. John Ikenberry : « C’est peut-être un paradoxe […] que nous devions mettre fin à la guerre contre le terrorisme puisque nous ne pouvons mettre fin au terrorisme ».