ANALYSES

Élections provinciales en Irak : un pas vers la stabilisation ?

Tribune
3 février 2009
Dans l’Irak actuel, où la nouvelle Constitution adoptée en 2005 a instauré un régime fédéral, les Conseils régionaux, en attendant de se transformer en véritables gouvernements régionaux, sont dotés d’importants pouvoirs, notamment financiers.

Quels sont les enjeux et que signifie les résultats ?

L’un des enseignements le plus significatif de ces élections réside dans le retour de la communauté arabe sunnite dans le jeu politique irakien alors qu’elle en fut relativement absente jusqu’à aujourd’hui. En boycottant les précédents scrutins, les sunnites sont restés en quelque sorte sur le quai pour voir passer le train. Effectivement, ces deux ou trois dernières années, on a assisté au développement des provinces du Sud (chiites) et du Nord (kurdes), tandis que les provinces arabes sunnites apparaissaient comme les plus grandes perdantes. Sur un budget de plus de 85 milliards de dollars en 2008, près de 18 milliards de dollars ont été attribués aux trois provinces kurdes, administrées par le gouvernement régional d’Arbil. Parallèlement, on a assisté à une certaine stabilisation de la sécurité dans ces régions, non pas tant du fait des actions militaires américaines mais davantage par le rejet d’al-Qaïda et de ses militants extrémistes, étrangers aux traditions et coutumes tribales des arabes sunnites irakiens. Ce rejet a évidemment facilité le succès militaire contre al-Qaïda et le recrutement des milices armées parmi les tribus. Le retour des arabes sunnites se traduit ainsi par une forte participation au scrutin du 31 janvier : 70% dans la province de Nivin contre 14% en 2005, 61% à Salahedinne conte 15%, et 40 % dans la province d’Al-Anbar contre seulement 1% en 2005. Cette participation s’est également traduite par le recul des partis islamistes au profit des tribus.

Le recul des partis islamistes traditionnels est manifeste également chez les chiites. La puissante Assemblée suprême islamique d’Irak (ASII), qui gouvernait 6 provinces, ne détient la majorité que dans une seule province. La division chiite a été bénéfique pour la « coalition pour l’Etat de droit », la liste dirigée par le Premier ministre Nouri al-Maliki. Ce dernier considéré comme faible il y a un à peine plus d’un an, et alors que Bernard Kouchner demandait imprudemment au Président Bush de le remplacer, se révèle comme l’homme fort de Bagdad. Usant des moyens dont il dispose comme chef du gouvernement, il a mis en place méthodiquement, depuis deux ans, partout en Irak, des réseaux et des comités locaux à caractère plutôt nationaliste arabe irakien que religieux, qui, d’ores et déjà, concurrençait les Conseils régionaux. Leader d’un parti islamiste chiite radical, Al-Daawa, Nouri al-Maliki n‘a pas hésité à présenter sa liste comme étant non religieuse. Les résultats du scrutin de samedi dernier ne sont pas encore connus, mais d’ores et déjà, il est certain que la liste de Maliki sera largement majoritaire dans les provinces chiites contre son allié et concurrent l’ASII.

La politique nationaliste arabe de Maliki connaît cependant ses limites au Kurdistan irakien. Sa volonté d’englober dans des réseaux le chef d’une puissante tribu kurde de Mossoul, Omar Sorki, allié avec Saddam Hussein dans le passé contre le mouvement kurde, est considéré comme une provocation par les dirigeants des principaux partis kurdes, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK) du président Jalal Talabani et le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. Ce dernier prête à Nouri al-Maliki la volonté de « restaurer la dictature » en Irak. Quoi qu’il en soit, pour marquer sa volonté de rester maître dans le Kurdistan irakien, le gouvernement régional kurde a décidé de ne pas organiser les élections régionales dans les trois provinces kurdes de Souleimanya, Dohouk et Arbil, à la même date que dans les autres provinces irakiennes. Quant au sort de la province de Kirkouk, revendiquée par les Kurdes comme étant la capitale historique du Kurdistan, faute d’un accord entre les Kurdes et le pouvoir central, ce dernier a renoncé à organiser des élections. Dans cette province, les Kurdes semblent être majoritaires mais une forte minorité arabe aussi bien chiite que sunnite, de même qu’une minorité chrétienne et turkmène existe. Un référendum revendiqué par les Kurdes et prévu par la Constitution aurait dû être organisé en 2008. Mais, cela n’a pas été le cas. Les alliés chiites des partis kurdes, l’ONU et l’allié américain ont fait pression sur les dirigeants kurdes pour renoncer à organiser ce référendum dans l’immédiat de manière à se donner le temps d’une réflexion sur l’avenir de Kirkouk. Il est cependant peu probable que les Kurdes renoncent à leur revendication sur cette province tant les enjeux politique, économique (1/3 des réserves du pétrole irakien se trouve à Kirkuk) et symbolique du Kirkouk sont importants pour eux.

Quoi qu’il en soit, ces dernières élections peuvent contribuer davantage à la stabilisation de l’Irak. La prédominance des Chiites et des Kurdes au sein du pouvoir irakien a été l’un des éléments de mécontentement des pays arabes inquiets de l’influence de l’Iran en Irak. Le retour des arabes sunnites pourrait les satisfaire et contribuer ainsi à plus de normalisation des relations entre l’Irak et ses voisins arabes. Mais la situation reste fragile et un retour au passé et le non-respect des revendications des Kurdes inscrites désormais dans la Constitution irakienne, pourrait provoquer d’autres conflits.