ANALYSES

Corée du nord, Corée du sud : agitation au pays du matin calme, succession et supputations au Nord

Tribune
22 janvier 2009
Pyongyang : entre rumeurs, tension et intimidation. Et si les incertitudes quant à la succession du Cher Leader étaient en train de se dissiper ? Emanant de Séoul, de Tokyo ou de Pékin, ces dernières semaines ont vu fleurir et se multiplier les informations – de factures diverses…– sur une éventuelle organisation de la succession au sommet de l’Etat nord-coréen. Ainsi, en fin de semaine dernière, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap laissait entendre que le Cher Leader en personne aurait désigné un de ses trois fils (le plus jeune, Jong-un, 25 ans) comme son successeur officiel. Une décision probablement précipitée par l’état de santé de Kim Jong-Il, sujet à spéculation depuis près d’un semestre (accident cérébral en août dernier) et qu’une foultitude de reportages-photos récents sur « l’activité » du Secrétaire général du Parti des ouvriers nord-coréens n’aura guère dissipé. Une décision qui, si elle venait à être confirmée, ajouterait une strate généalogique à l’atypique architecture du pouvoir nord-coréen, le jeune Jong-un (au physique rappelant étonnement son père) incarnant la 3ème génération des Kim à assumer l’administration de ce pays façonné par l’isolationnisme et malmené par les carences ; de là cependant à faire un parallèle dynastique avec d’autres exemples asiatiques contemporains (Inde des Nehru-Gandhi ; Pakistan des Bhutto-Zardari)… Jeune et sans expérience du pouvoir, quasi inconnu de ses compatriotes, cet éventuel héritier ne saurait sur la seule autorité de son patronyme prétendre aux destinées d’un Etat toujours positionné sur les marges de la respectabilité internationale. Son père, le Cher Leader Kim Jong-il (66 ans ; au pouvoir depuis 1994) avait profité, bien en amont de la transition, d’une formation continue à la direction des affaires nationales, aux bons soins de son géniteur, le Grand Leader et « père de la nation » nord-coréenne, Kim-il Sung (1912-1994 ; au pouvoir entre 1948 et 1994 !). Aussi, on ne saurait écarter l’hypothèse d’une probable réorganisation à terme (environnement post-Kim Jong-il) de l’architecture du pouvoir et de l’autorité, la haute hiérarchie militaire et le Politburo du Parti des ouvriers coréens (communiste) œuvrant conjointement à la gestion des affaires nationales, la permanence dynastique des Kim ayant davantage vocation à l’affichage qu’à l’arbitrage.

Une nouvelle matrice qui, à ce stade de l’esquisse, n’exclue en rien une approche plus coutumière des rapports avec le monde extérieur, avec au premier rang des « favoris » Séoul et Washington. Depuis l’élection de LEE Myung-Bak à la Présidence sud-coréenne (début 2008), on ne compte plus les diatribes enflammées, les salves de menaces distillées par Pyongyang en direction de Séoul la méridionale, laquelle aurait « l’outrecuidance » de conditionner désormais son assistance (économique, financière, humanitaire) au nord à un désarmement nucléaire avéré… Ces jours derniers n’ont en rien démenti le propos, diplomates et responsables militaires nord et sud-coréens élevant dans un grand mouvement d’harmonie le niveau de la voix et consécutivement le seuil de la tension de part et d’autre de la zone démilitarisée. Promue une décennie plus tôt, la « sunshine policy » de l’ancien Président sud-coréen Kim Dae Jung paraît début 2009 bien affaiblie et les deux sommets historiques intercoréens (2000 ; 2007) des événements lointains.

A la recherche d’une nouvelle trame américano-nord-coréenne. L’entrée en fonction du Président démocrate Barack Obama, les contours de son administration et le profil des « piliers » du Département d’Etat sont étudiés de fort près dans l’insolite Pyongyang. Si, tradition oblige, l’appareil diplomatique nord-coréen n’oublie pas ces jours-ci de placer Washington dans la ligne de mire de sa rhétorique va-t-en-guerre (cf. permanence de la « menace » militaire américaine, attitude « hostile » de Washington interdisant toute « dénucléarisation » de l’arsenal nord-coréen ; « vassalisation » du gouvernement du sud au profit des Etats-Unis ; etc.), d’aucuns auront également noté que le propos – toute proportion gardée…– ne dépasse pas une certaine mesure. En fait, il est communément admis que l’impasse dans laquelle s’alanguissent ces derniers mois les Pourparlers à Six (PP6) sur la dénucléarisation de la Corée du nord tient pour (grande) partie au fait que Pyongyang entend « revoir le dossier » avec la nouvelle administration démocrate. Une relecture qui s’entend au profit, au bénéfice, de l’imprédictible Pyongyang ; quitte pour cela (jurisprudence constante…) à revenir en arrière, dénoncer certains engagements passés, faire planer le spectre de la menace (cf. nouvel essai nucléaire ; élévation de la tension avec Séoul ; nouvelle campagne d’essais balistiques en mer du Japon ; etc.). Un scénario avec lequel la nouvelle administration américaine devrait très vite se familiariser et qui, loin de satisfaire cette dernière, risque de tendre les rapports par nature alambiqués et ténus entre ces deux improbables interlocuteurs.

Pendant ce temps, à Séoul… La sérénité fait également actuellement défaut au sud du 38ème parallèle. Malmené par un environnement économique international précaire, le gouvernement sud-coréen peine à trouver une trame de fonctionnement quotidien apaisée, mauvaises nouvelles (multiplication des entreprises en difficultés – BTP, chantiers navals, banques –, craintes de récession) et statistiques passables (cf. perspectives de croissance 2009 sans cesse revue à la baisse ; +1,9% aux dernières nouvelles…) réduisant d’autant sa marge de manœuvre auprès d’une opinion publique inquiète et tourmentée. On est désormais à des années lumières des promesses électorales du « plan 747 » esquissé par l’actuel chef de l’Etat, lequel planifiait une croissance annuelle de 7% du PIB, un PIB per capita de 40 000 $ et d’installer l’économie sud-coréenne au 7èm rang mondial… Le chaos observé la semaine passée dans les travées du pouvoir (expulsion manu militari ou presque des députés de l’opposition), avant-hier dans le centre de Séoul (affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ; bilan : 5 morts), la tension élevée d’un cran (voire deux…) le long de la frontière avec le nord (forces sud-coréennes en état d’alerte renforcée ces derniers jours) suite à quelque (énième) manifestation d’humeur de l’irascible Pyongyang, compliquent sans lui laisser matière à souffler la tâche du Président LEE Myung-bak, lequel, 11 mois à peine après son entrée en fonction (février 2008), flirte déjà avec les abimes de la popularité (20% d’opinion favorable). Une situation inconfortable, incommode, poussant ces derniers jours l’ancien maire de Séoul au tempérament et à l’énergie proverbial à prendre diverses décisions susceptibles d’inverser une tendance délicate (cf. remaniement ministériel partiel ; nominations diverses).

Certes, plusieurs signaux extérieurs bienvenus tempèrent ce fébrile panorama intérieur : organisée il y a une dizaine de jours, la 5ème réunion bilatérale (depuis septembre 2008) entre le chef de l’Etat sud-coréen LEE Myung-bak et le chef de gouvernement nippon Taro ASO atteste du « réchauffement » politique (et pragmatique) en cours rapprochant pour un bénéfice mutuel, en ces temps économiques difficiles, Séoul et Tokyo, 1ère et 4ème économies d’Asie. L’entrée en fonction de son homologue démocrate américain Barack Obama mardi 20 janvier ne remet aucunement en cause le partenariat stratégique liant depuis plus d’un demi-siècle Séoul et Washington, même si divers « ajustements » sur certains dossiers centraux (cf. Pourparlers à 6 sur la dénucléarisation du nord ; Accord de libre-échange), sous la houlette d’un Département d’Etat désormais piloté par madame Hilary Clinton, seront inévitables.