ANALYSES

Le droit international et la reconnaissance de l’Etat palestinien

Tribune
24 septembre 2012
Ainsi, il y a près d’un an, le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a lancé une offensive diplomatique qui s’est traduite notamment par la présentation au Secrétaire général Ban Ki-moon de la demande d’adhésion d’un « Etat palestinien », comme membre à part entière des Nations unies « sur la base des lignes du 4 juin 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale ». Une demande légitime mais irréaliste au regard des conditions d’obtention d’un tel statut. Transmise au Conseil de sécurité, l’organe décisionnel en la matière, la demande palestinienne s’est ainsi heurtée à l’absence de la majorité requise et (surtout) à la menace de l’usage du veto américain. Pragmatique, le Président de l’Autorité palestinienne a reformulé sa demande dans une version moins ambitieuse. La revendication d’un simple statut d’Etat non membre aux Nations Unies – un statut issu de la pratique, mais qui n’existe pas formellement – avec les droits de participation limités qui s’y attache, ne requiert qu’une majorité simple de l’Assemblée générale des Nations unies. Un seuil largement accessible au regard du nombre de pays qui ont déjà reconnu l’Etat palestinien depuis la déclaration de son indépendance, le 15 novembre 1988, à Alger par le Conseil national palestinien.

Pour autant, l’obtention de la qualité d’Etat (non) membre des Nations unies ne vaut pas reconnaissance universelle de cet Etat. Chaque Etat et organisation internationale choisit bilatéralement de considérer ou non la Palestine comme un Etat. A ce titre, l’Assemblée générale n’a pas la capacité juridique formelle de créer un Etat en droit international par reconnaissance, ni même celle de permettre l’adhésion d’un Etat à l’ONU, sans autorisation du Conseil de Sécurité. A cet égard, il faut d’ailleurs noter que le statut d’ « Etat non-membre » n’est même pas reconnu dans la Charte de l’ONU et émane d’une pratique de ses organes, en premier lieu le Secrétariat général et l’Assemblée générale, la seconde demandant à la première d’octroyer des droits de participation dans la seconde, comme ce fut le cas pour le Vatican. Dès lors, la portée du vote de l’Assemblée générale des Nations unies est à relativiser.

Plus généralement, l’ordre juridique international reste un club fermé sur lui-même qui accepte de nouveaux membres avec beaucoup de précautions, mélange d’opportunisme politique et de considérations stratégiques qui n’ont au final que peu de liens avec le droit. Et pourtant, le droit international a une prétention à régir la création (juridique et non factuelle) d’un nouvel Etat, autour de critères objectifs ou éléments constitutifs qui relèvent de l’analyse descriptive : « une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé » (1er avis du 29 novembre 1991 de la Commission d’arbitrage pour la paix en ex-Yougoslavie). Dans le cas palestinien, il est difficile de vérifier le respect de telles conditions.
Il n’empêche, ce serait non seulement un évènement politique sans précédent, mais aussi une possible étape dans la révolution que connaît actuellement le droit international en la matière. En effet, la reconnaissance d’un Etat palestinien est au cœur d’un débat doctrinal qui oppose une conception « constitutive » de la reconnaissance (cet acte est nécessaire à la création juridique d’un Etat nouveau, dont il parachève le processus de formation) et une conception « déclarative » (la reconnaissance se borne à constater l’existence de l’Etat, dont la création ne dépend donc pas du consentement des membres de la communauté internationale). Cette dernière acception tend à s’imposer et relativise l’enjeu juridique de la reconnaissance de l’Etat palestinien. Et pour cause, la reconnaissance d’un Etat est aussi – et surtout – une manifestation de volonté par laquelle un État exprime sa liberté de choix et d’appréciation, bref un acte politique, une arme de politique étrangère. Il existe ainsi des Etats membres des Nations unies qui ne sont pas reconnus en tant qu’Etat par d’autres Etats. Dans le cas palestinien, cette dimension prend un relief particulier au regard de la portée symbolique et stratégique d’un tel acte. Cette tension entre la subjectivité politique de la reconnaissance d’un nouvel Etat et les prétentions à l’objectivité du droit est au cœur de la possible « reconnaissance » par l’ONU d’un Etat Palestinien.

Il ressort que, si juridiquement le pouvoir de reconnaissance d’un Etat ne relève pas de la compétence d’un organe international particulier, les Nations unies ont de facto une fonction centralisatrice et même quasi-constitutionnelle dans la formation de nouveaux Etats, comme l’atteste son rôle au Timor-Leste et au Kosovo. Si elle devait s’emparer de la question palestinienne pour affirmer, même indirectement, la reconnaissance de la Palestine dans la communauté internationale des Etats, ce serait une nouvelle étape dans l’affirmation du Droit comme émancipation, et non comme outil de maintien d’inégalités et d’injustices.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la Cour pénale internationale (CPI), autre institution internationale d’importance, sera peut-être amenée à considérer la question de l’existence d’un Etat palestinien lors de la prochaine Assemblée des Etats Parties (AEP) de la Cour qui se réunit en novembre prochain à La Haye. En effet, l’Autorité palestinienne avait déposé une requête pour qu’une enquête soit ouverte à propos des « évènements » de 2009 à Gaza, requête rejetée il y a quelques mois par le Procureur de la CPI, au motif que la Palestine ne serait pas un « Etat » capable de faire une telle demande auprès de la Cour. Le Procureur avait à l’époque précisé qu’il était de la responsabilité de l’AEP de se prononcer sur une telle question. Or, c’est exactement ce qu’elle est invitée à faire par un collectif d’éminents juristes(1) qui lui ont adressé une lettre ouverte à cet effet. Ainsi, au-delà de la dimension en apparence procédurale de la demande, l’enjeu réel réside là encore dans la reconnaissance de la Palestine comme Etat.

Si les deux assemblées internationales, celle de l’ONU et celle de la CPI, devaient dans leurs fonctions respectives répondre favorablement à de telles demandes, il s’agirait là d’une étape de plus dans l’institutionnalisation croissante de la reconnaissance des Etats en droit international. Si une telle institutionnalisation ne sonnerait évidemment pas le glas de la prise en compte d’enjeux politiques dans la reconnaissance de nouveaux Etats, il s’agirait là d’une évolution non négligeable dans la perspective de détacher cette question existentielle de l’ordre international des seuls rapports de force interétatiques. Une avancée vers un « Etat de droit international » ?

Quoiqu’il en soit, il est légitime de voir la reconnaissance de l’Etat palestinien cristalliser à nouveau l’attention des observateurs et acteurs internationaux. Malgré les apparences, le poids symbolique et stratégique du conflit israélo-palestinien demeure en effet prégnant en ce début de XXIe siècle.

(1) Parmi lesquels Georges Abi-Saab, ancien juge à la Cour Internationale de Justice et au Tribunal pour l’ex-Yougouslavie, Mathias Forteau, secrétaire général de la Société Française de Droit International, Alain Pellet, ancien membre de la Commission de Droit International de l’ONU et Ove Bring, ancien diplomate Suédois, spécialiste du droit international
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