ANALYSES

Élections en Iran : une présidentielle sans surprise ?

Interview
14 juin 2021
Le point de vue de Thierry Coville


Le 18 juin prochain auront lieu les élections présidentielles en Iran. Une échéance électorale qui fait déjà l’objet de controverses et de débats du fait d’une concurrence limitée et d’un favoritisme envers le candidat conservateur Ebrahim Raïssi. Dans un contexte de crise économique et alors que l’Iran continue d’être à la marge de la scène internationale en attendant une reprise des négociations autour de l’accord sur le nucléaire, quelles seront les répercussions sur la situation interne et sur la position internationale du pays? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

Des élections présidentielles sont prévues en Iran le vendredi 18 juin. Quels en sont les principaux enjeux pour la population iranienne ?

La principale préoccupation des Iraniens aujourd’hui est économique. La crise que traverse le pays est particulièrement grave. A l’aune des élections présidentielles, il s’agit donc de savoir si la nouvelle équipe gouvernementale et le nouveau président seront en mesure de la résoudre. Il ne faut cependant pas oublier que l’essentiel de la réponse n’est pas dans les mains du président, puisque cette crise a été provoquée par la réimposition des sanctions américaines, du fait de la sortie des États-Unis de l’Accord sur le nucléaire en mai 2018. La sortie de cette crise économique est donc liée aux négociations sur le nucléaire avec les États-Unis en cours à Vienne et la stratégie du guide à ce sujet.

Le manque de concurrence a été critiqué à la suite de la sélection des candidats réalisée par le Conseil des gardiens. Pourquoi le conseil a-t-il fait en sorte d’organiser un vote joué d’avance ? Quels en seraient les bénéfices et pour qui ? Qui est Ebrahim Raïssi, le candidat favori de ces élections ?

Sur cet aspect des élections, on ne peut qu’émettre des suppositions. Le guide Ali Khamenei et son équipe défendent le Velayat-eh faqih – principe de supériorité du religieux sur le politique. Ils ont organisé ces élections et défini la stratégie du Conseil des gardiens. Pourquoi le guide a-t-il limité la concurrence ? Il est possible d’envisager plusieurs explications à cela, tout en restant évidemment prudent puisque rares sont ceux qui savent réellement ce que pense le guide.

La première explication résiderait dans le fait que le guide serait favorable à un retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire. Cependant, il ne souhaite pas que ces négociations débordent et que des accords soient mis en place avec les États-Unis sur d’autres questions que le seul enjeu nucléaire. Avec un président de son camp et proche idéologiquement, il s’assure cette limitation des négociations à l’accord sur le nucléaire de 2015.

La deuxième hypothèse concerne la grave crise économique et sociale que traverse l’Iran. Lors des manifestations de 2019, la crise avait entraîné des critiques de nature politique, critiques que le guide cherche à éviter. En sélectionnant des candidats proches des conservateurs radicaux, il fait en sorte d’annihiler les débats lors de ces élections présidentielles, et que le candidat élu ne se lance pas dans des réformes sur l’ouverture politique ou sur la question des droits de l’Homme, ce à quoi il n’est pas favorable.

La troisième supposition a trait à la succession du guide. Donner le pouvoir aux conservateurs radicaux lui permet, ainsi qu’à son équipe, de graduellement contrôler l’ensemble des pouvoirs en Iran, les radicaux ayant déjà la majorité au Parlement. Dans cette optique, le rapport de force se développe en faveur des radicaux et permet de préparer le terrain pour que le successeur du guide soit également un membre de cette mouvance politique.

Enfin, on peut aussi supposer que du fait de l’effondrement de la popularité de Hassan Rohani à cause de l’émergence de la crise économique en 2018, le guide a également jugé que c’était un moment propice pour renforcer le contrôle des groupes défendant le Velayat-eh faqih sur l’ensemble du système politique iranien.

Ebrahim Raïssi est un proche du guide, il appartient aux conservateurs radicaux. Il a été président de la fondation Astan-E. Qods-E. Razavi à Macahad qui gère le tombeau de l’imam Reza, principal lieu de pèlerinage chiite en Iran, et est un centre de pouvoir économique très puissant. De ce fait, il est au cœur du système clientéliste iranien. Il est chef du système judiciaire iranien depuis 2019. Son bilan à ce poste montre qu’il s’inscrit dans une logique sécuritaire : il perçoit tous les activistes politiques comme menaçant le système, téléguidés de l’étranger, et privilégie par conséquent la répression.

Quelles seraient les conséquences d’une telle élection dans la région, et plus largement à l’échelle internationale ?

La stratégie régionale de l’Iran est décidée essentiellement par le guide et son équipe. Ebrahim Raïssi suivra cette ligne, en tant qu’exécutant. Avec quelqu’un comme Raïssi en tant que président, l’Iran fera en sorte de consolider l’influence régionale développée en Irak, en Syrie et au Liban. En ce qui concerne le message à l’égard du reste du monde, les conservateurs radicaux savent se montrer pragmatiques. Ebrahim Raïssi est un profil plutôt anti-occidental, en opposition aux États-Unis. Cela n’annonce pas des relations très cordiales avec l’Europe, même si Raïssi ne s’opposera sans doute pas au développement de relations commerciales avec les entreprises européennes. La politique étrangère iranienne continuera certainement d’être basée sur une alliance stratégique avec la Russie et la Chine.
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