ANALYSES

Iran : « Les sanctions américaines risquent de renforcer les plus durs du régime »

Presse
3 mai 2019
Interview de Thierry Coville - TV5 Monde
Est-ce que l’économie de l’État iranien peut tenir sans la manne pétrolière ?

Le pétrole représente près de 80 % des exportations iraniennes. L’exportation du baril de pétrole assure la rentrée des devises nécessaires pour le fonctionnement de l’économie.

Le pétrole, notamment via la société publique chargée d’exploiter les ressources en hydrocarbures, contribue pour près de 60 % des recettes de l’État. Les exporations de pétrole ont commencé à baisser il y a plus d’un an, depuis la décision de Donald Trump de sortir les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Elles sont passées de 3,2 millions de barils jour à 1,9 million en quelques mois. Une baisse de plus de 40 % !

Les recettes de l’État iranien ont déja fondu de 25 %. Le pays est entré en récession. L’inflation a connu son plus haut niveau fin 2018 avec une hausse des prix de près de 50 % . L’économie iranienne dépend du pétrole et s’attaquer à cette ressource crée une situation d’asphyxie de l’activité du pays.

Comment est perçue cette crise au sein de la société iranienne ?

Le climat est très tendu pour les Iraniens. Les prix de tous les produits de première nécessité sont également repartis à la hausse. Un sentiment d’abattement s’est emparé de la population. C’est un vrai choc psychologique. L’accord de Genève et l’arrivée d’entreprises étrangères avaient suscité un vrai espoir. La sortie de l’accord et la mise en place de nouvelles sanctions ont ruiné les espoirs de nombreux Iraniens.

Qu’espère Donald Trump ? Une chute du régime qui passerait par une explosion sociale ?

Trump espère que de gigantesques manifestations comme en 2017 peuvent arriver à renverser le régime (ndlr : une série de manifestations contre la corruption du régime avaient eu lieu dans tout le pays). Il espère que le climat social et économique va pousser des millions d’Iraniens dans la rue, pour signifier leur colère contre les mollahs au pouvoir depuis 1979.

Trump imagine que le pays est un bloc monolithique. C’est un calcul simpliste. Beaucoup d’Iraniens n’aiment pas le régime mais beaucoup d’entre eux, en dehors de tout prise de position idéologique, restent nationalistes. Une grande partie de l’opinion publique aura plus tendance à blâmer l’Amérique de Donald Trump que le régime proprement dit.

Cette politique américaine risque surtout de renforcer les plus durs au sein de l’appareil d’État, au détriment des modérés, partisans de négociations avec la communauté internationaleDe nombreuses voix radicales en Iran s’élèvent pour réclamer une sortie de l’accord sur le nucleaire passé à Genève avec la communauté internationale. Le risque est de voir cette frange dure imposer sa ligne politique.

Pour le moment, le Guide suprême, Ali Khamenei, veut rester dans le cadre de l’accord sur le nucléaire mais cela peut changer si l’Iran reste durablement isolé, ou si le régime se sent menacé dans son existence. Le discours des plus radicaux est de dire : « l’Iran a joué le jeu. Nous avons accepté que la communauté internationale puisse avoir un droit de regard sur notre programme nuclaire et l’Iran, loin d’être récompensée, est sanctionnée economiquement ». Les plus durs du régime peuvent trouver un écho au sein du régime en soulignant l’échec de la politique de négociation et d’ouverture vers la communauté internationale.

Quelle porte de sortie existe-t-il pour l’Iran ?

Les exportations de pétrole vont continuer à chuter. On ne voit pas de grandes compagnies pétrolières internationales comme Total acheter du pétrole iranien, sous peine de ne plus pouvoir commercer avec les  États-Unis, ou tout simplement ne plus être autorisées à faire des affaires en dollars, la monnaie des échanges mondiaux, en cas de partenariat économique avec l’Iran.

Les sanctions américaines font mal car elles conjuguent l’arme du dollar avec l’interdiction d’acheter du pétrole iranien. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, tient une politique très anti-iranienne depuis son arrivée au pouvoir. L’Arabie saoudite pourrait augmenter sa production pour compenser la  chute des exportation de brut iranien.

Pour l’instant, la Chine continue de se fournir en brut iranien. Est-ce que Trump, dans le cadre des négociations commerciales, va demander à la Chine d’arrêter tout achat de pétrole à Téhéran ? C’est possible. Mais on voit mal pour l’instant Pékin lâcher l’Iran, l’un des maillons du projet chinois des nouvelles routes de la soie. L’Iran se retrouve globalement sans beaucoup de marges de manoeuvre, à l’exception de mesures de rétorsion.

Les plus durs du régime iranien plaident pour une fermeture du détroit d’Ormuz, ce qui bloquerait toute exportation de brut dans le Golfe persique, de pays adversaires comme l’Arabie saoudite. Pour l’instant, ceux qui tiennent le pouvoir ne veulent pas rentrer dans cette logique de confrontation.
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