ANALYSES

La mondialisation précédente portait sur la finance, la nouvelle portera sur les infrastructures

Presse
9 avril 2019
La Chine promeut une vision de la mondialisation qui se développe à travers des projets d’infrastructures principalement trans-frontaliers. Quelles formes prend cette mondialisation chinoise transfrontalière et en quoi ces projets révèlent-ils une vision particulière de la mondialisation de la part de la Chine ?

La Belt and Road Initiative (BRI) est aujourd’hui à échelle internationale, mais elle s’articule avant tout comme un outil au service du désenclavement des provinces les moins développées de Chine. En quarante de croissance soutenue, la Chine n’est pas encore parvenue à empêcher de fortes disparités entre les régions côtières et l’ouest du pays, et les voie d’accès terrestres ont pour objectif de développer ces vastes territoires. On pense au Gansu, au Xinjiang, mais aussi au Yunnan, pour ne citer que les provinces les plus directement liées aux projets de la BRI, dans sa dimension terrestre. D’autre part, ces projets révèlent une approche de la mondialisation fondée sur la recherche de nouveaux marchés, mais aussi de la pérennisation des échanges commerciaux. Sur ce point, il n’y a pas de différence fondamentale entre la Chine et d’autres puissances, si ce ne sont les moyens considérables dont dispose Pékin. Cette mondialisation à la chinoise, qui a pour finalité de replacer la Chine au centre de l’échiquier mondial (et rompre avec la périodes dites des humiliations, entamée avec ce que Kenneth Pomeranz qualifie de grande divergence), ne se tourne pas vers des acteurs en particulier, en excluant d’autres au prétexte d’une mauvaise gouvernance, mais se veut plus pragmatique. Nous verrons cependant si ce pragmatisme se maintient dès lors que les intérêts de Pekin seront en jeu.

L’idée chinoise est aussi de connecter les pays d’Asie centrale entre eux. De leur côté, les gouvernements européens voient avec un oeil méfiant cette stratégie chinoise et la Belt and Road Initiative. La vision « financiariste » des gouvernements européens concernant l’interconnexion des pays est-elle challengée par ces « partenariats » que propose la Chine qui reposent sur un système intégré d’infrastructures ? L’Union européenne pourrait-elle s’en inspirer ?

Le voisinage de la Chine est bien entendu au cœur des projets de la BRI, Asie du sud-est et Asie centrale en particulier. Le risque de dépendance de nombreuses économies (les cas de la Mongolie ou du Laos sont déjà éclairants) éveille la méfiance de certains acteurs, en Europe notamment. Attention toutefois. Les Européens ne sont en effet en aucune manière accordés sur l’attitude à adopter face aux investissements chinois, et les divergences sont très grandes. Si ce sont les pays d’Europe occidentale qui attirent le plus gros volume de ces investissements, les pays d’Europe centrale et orientale sont plus vulnérables, et donc plus réceptives, aux projets chinois. Ces dissonances créent un désordre fâcheux, mais ne ralentissent pas les chantiers de la Chine, qui avance par défaut en établissant des paranariats bilatéraux, à la manière de celui récemment adopté avec l’Italie. Le « cavalier seul » de certains partenaires européens, pour reprendre les termes d’Emmanuel Macron, n’est pas une bonne chose pour l’Union européenne, mais pas nécessairement non plus pour Pékin, qui cherche à établir une coopération avec l’UE dans son ensemble plus qu’avec ses membres de façon dispersée. Concernant le système intégré d’infrastructures tel que propose par la Chine, s’il est une offre alléchante pour des pays avec de réels besoins dans ce domaine, il ne l’est pas nécessairement pour tous, aussi ce n’est pas un modèle plus inspirant qu’un autre, d’autant qu’il s’accompagne d’un gaspillage et d’un éparpillement dans les investissements, comme nous y reviendrons plus loin.

Les Européens ont parfois positivement accueilli l’investissement chinois (Grèce, Italie, Royaume-Unie, Serbie) alors que certains pays subissaient de plein fouet la crise de la dette et avaient besoin d’investissement étranger. Peut-on envisager une relation bilatérale plus sereine avec la Chine dans les prochaines années ? Connaissant la stratégie chinoise, quelles formes cette coopération pourrait-elle prendre ?

Il faudra d’abord que les États membres se mettent d’accord, et cela n’est pas à l’ordre du jour. D’un côté, certains pays, membres ou non de l’UE (le cas de la Serbie est de fait intéressant, celui du Royaume-Uni en l’attente cependant des conséquences de son divorce avec l’UE) ont besoin des investissements chinois, et avancent donc volontairement, et sans s’encombrer de discussions préalables avec leurs voisins et partenaires. Le cas de l’Italie est significatif. D’autres, comme la France et l’Allemagne, ouvrent la porte aux investissements chinois, mais exigent dans le même temps une réciprocité et une plus grande transparence. Enfin, la Commission semble rejoindre les positions de Paris et Berlin, mais elle ne peut s’engager sans s’assurer d’être suivie par les autres États membres. Pour qu’une relation bilatérale voit le jour entre l’UE et la Chine dans le cadre de la BRI, il faudra trouver un consensus. C’était d’ailleurs l’objet de la visite de Xi Jinping à Paris.

La BRI montre aussi ses limites, avec des projets parfois difficiles à comprendre, comme le pont reliant le canyon de Moraca au Montenegro. Ces événements créent défiance et division dans l’UE sur la position à adopter vis à vis des investissements chinois. Selon vous, quel serait le compromis idéal ?

Barthelemy Courmont : De fait, il y a parfois un décalage entre les promesses de la BRI, et les projets qui ont abouti. D’où une grande difficulté à évaluer le montant total des investissements chinois dans le monde, puisque les effets d’annonce se multiplient, mais certaines promesses ne se concrétisent jamais. Il faut ajouter à cela les difficultés rencontrées dans différentes régions: problèmes d’acquisition des terres et d’expropriation, surévaluations de certains secteurs, résistances locales… la BRI coûte très cher à Pékin, mais elle ne lui a pas encore rapporté concrètement grand chose. Aussi Xi Jinping est attendu au tournant, car c’est lui qui porte le projet. Résultat, la Chine pourrait se montrer beaucoup plus sélective, après une période d’investissements tous azimuts, y-compris dans des secteurs peu rentables, et parfois à perte. Sur ce terrain, les institutions européennes peuvent aider la Chine à orienter les investissements dans de bonnes directions, et ainsi concrétiser ce fameux « gagnant-gagnant » si souvent évoqué par les dirigeants chinois, mais qui n’a pas trouvé d’écho toujours aussi favorable qu’espéré. La défiance vient du manque de transparence des activités chinoises, et Pekin doit apprendre sur ce point, elle vient aussi du manque de coherence des investissements, qui donne l’impression d’un déferlement sur un marché plus que d’une stratégie de partenariat avec des bénéfices partagés. Pour corriger ces erreurs, la Chine doit se montrer plus attentive aux craintes qu’elle soulève, et l’Europe plus disposée à se satisfaire des investissements chinois, dans un principe de dialogue et de coopération.
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