ANALYSES

Les quatre atouts majeurs et les dossiers inflammables du candidat Joe Biden

Presse
25 avril 2019
Dans la campagne pour la présidentielle américaine 2020, ses atouts, dont sa vice-présidence du mandat Obama, en font un favori des démocrates. Mais il y a quelques « gros dossiers » contre lui.

Tout devrait changer dans la présidentielle américaine ce jeudi 25 avril: c’est en effet le jour au cours duquel Joe Biden doit annoncer sa candidature, si on en croit les nombreux signes, rumeurs ou confidences de son entourage. Il rejoindra ainsi ses vingt camarades qui sont déjà dans le “marécage électoral” –et parfois depuis très longtemps–, et prendra le dossard n°21.

L’entrée de l’ancien vice-président est attendue depuis très longtemps, même si certains ont cru à de nombreuses reprises qu’il allait renoncer, comme il l’a déjà fait par deux fois. Il semblait y avoir une malédiction qui l’empêchait de livrer pleinement ce combat; après le météorite Obama en 2008 et la mort de son fils en 2016, on a bien cru que les accusations de plusieurs femmes qui ont parlé d’attouchements inappropriés allaient carboniser sa candidature une fois encore et avant même qu’il ne se lève de sa chaise. Mais il en ira différemment cette fois-ci, et celui qui est annoncé comme le grand favori de cette course s’élancera pour changer en profondeur le cours des choses dans le camp démocrate.

Réinventer la narration

Le moment choisi, tout d’abord, se conjugue avec la crise déclenchée par la publication du rapport de Robert Mueller, après une enquête qui a duré deux ans, et à partir de laquelle les démocrates ont insufflé l’idée que le président actuel aurait pu être un traître à la nation. Il restera en fin de compte un parfum de malhonnêteté qui marquera la prochaine campagne de Donald Trump comme une cicatrice indélébile. Qu’il soit un traître ou pas ne compte déjà plus. Et puisqu’il est écrit en toutes lettres qu’il n’y a pas eu collusion entre la campagne de Donald Trump et la Russie en 2016, et que le président en exercice tweete sans relâche pour rappeler ce fait, Joe Biden entre donc dans l’arène après cette crise et laissera les autres candidats s’épuiser avec cette histoire. Car il pourra, de son côté, s’exonérer de trop en faire dans ce dossier puisqu’il n’arrive qu’après cette bataille: il dit d’ailleurs qu’il ne l’a pas lu, lorsqu’on l’interroge sur ce rapport.

Fort de cette liberté, il proposera une autre narration pour le roman national qu’il entend écrire. Il est désormais le mieux placé pour tourner cette page et revenir à des préoccupations moins politiciennes et donc plus proches des Américains et de leur vie quotidienne. Elizabeth Warren, Kamala Harris, Eric Swalwell ou Julian Castro parleront d’Impeachment: il parlera de chômage, de fins de mois difficiles, d’éducation et de santé. Bien sûr, les autres en parleront aussi mais, comme on les a déjà beaucoup entendus, leur parole ne portera plus autant, et Joe Biden aura l’air neuf et proche des gens. Il se dressera alors, sans trop en faire, comme un homme probe et au-dessus de la mêlée: tout le contraire de Donald Trump, son seul véritable adversaire.

L’atout Obama

Entré d’emblée en tête de la course, Joe Biden appuiera, dès le départ, sur la pédale d’accélérateur, fort d’une notoriété hors du commun dans ce peloton, et estampillé du titre de gloire “d’ancien président de Barack Obama” –et ce n’est pas “vice-président” que les Américains retiendront dans ce titre. La nostalgie de l’avant-Trump jouera à plein pour lui et les souvenirs seront embellis, pour le plus grand plaisir des démocrates modérés. Il gagnera sans peine le cœur de l’électorat afro-américain, qui se souvient de la “bromance” entre cet homme et leur champion. Cet électorat est convoité par de nombreux candidats, dont Kamala Harris et Cory Booker. Sans eux, ces deux jeunes pousses savent bien qu’ils n’ont aucune chance. Joe Biden le sait aussi. Leur vote sera ainsi préempté et cadenassé.

L’expérience

La main expérimentée de Joe Biden a bien l’intention de balayer de sa route tous les présomptueux qui se sont vu arrivés un peu trop vite: sur les vingt-et-un candidats que compte son camp, seul Bernie Sanders tient la distance. Fort de son expérience en 2016, il se dresse comme le gardien du temple du progressisme: les cadors et autres volontaristes se sont cassé les dents sur sa campagne. Joe Biden n’en demandait pas tant: le sénateur de Vermont va l’aider à faire le ménage, avant que l’affrontement entre eux deux ne soit arbitré par les démocrates du centre et les indépendants, plus enclins à choisir un homme d’expérience, plusieurs fois sénateur et ancien vice-président. En homme exempt de scandale, Joe Biden fera alors entendre une voix unificatrice à l’intérieur de ce Parti qui n’en finit pas de se déchirer, depuis que Bernie Sanders a dénoncé la tricherie d’Hillary Clinton, qui l’aurait emporté selon lui grâce à l’apport des supers-délégués. Cette règle a changé depuis, et Joe Biden se fait fort de montrer que avec ou sans cet apport, c’est lui qui l’emportera. Pour panser les plaies, il offrira très certainement la deuxième place du ticket, celle de la vice-présidence à un héritier ou une héritière de cette tendance très à gauche, et la messe sera dite.

Un candidat centriste et catholique

Joe Biden s’y connaît aussi en matière de messes: il a été le premier vice-président catholique et, s’il ne peut pas reprendre ce titre à John F. Kennedy, il peut s’appuyer sur un électorat catholique qui attend un homme plus consensuel et qui aura vite fait le choix entre Bernie Sanders et lui. Cet art du consensus ne séduira pas seulement les plus religieux: car le pays est brisé par un mandat qui aura été marqué par les divisions, les tensions et les affrontements incessants. Joe Biden, qui incarnera les huit années de la présidence Obama, rappellera qu’elles se sont pour l’essentiel déroulées sans scandale. Il renforcera ainsi le contraste entre lui et Trump, que beaucoup voient comme impulsif, complotiste et hypocrite. Biden rassurera les centristes avec ses 40 ans de carrière à Washington, qu’il présentera comme un gage de la stabilité du pouvoir et d’un train-train que son âge l’autorise à incarner. Sa campagne sera politique, avec un programme, des visées collectives et s’adressera aussi à chaque électeur en particulier, et tout spécialement à l’électorat ouvrier, qui a déserté le vote démocrate en 2016. Ses origines en Pennsylvanie font de Joe Biden le bon interlocuteur pour la Rust Belt. Il saura trouver les mots pour leur dire qu’il restera à leur côté, et il fragilisera toutes celles et ceux qui comptaient tenir ce rôle, comme Elizabeth Warren ou Amy Klobuchar.

Le facteur de l’âge et autres problèmes

Face à Pete Buttigieg, Tulsi Gabbard ou Seth Moulton, voire Beto O’Rourke -bien qu’il soit plus âgé– le danger pour Joe Biden sera d’avoir l’air de revenir en arrière ou d’être dépassé. Comme on le fait toujours en politique américaine, Joe Biden ne va s’occuper de cette question que dans un deuxième temps: c’est lors du choix pour la vice-présidence que le facteur de l’âge va devenir un point fort, après avoir été son boulet durant toutes les primaires: en choisissant un homme ou une femme très jeune, il rééquilibrera la balance du temps, qui sera une rampe de lancement dans le cas où Donald Trump décidait de maintenir Mike Pence au plus haut niveau à ses côtés.

Bien sûr, l’opposition au démocrate affûte ses arguments pour s’attaquer à lui avec quelques “gros dossiers”: l’opposition de Biden au transport scolaire dans les années 1970, ses votes contre le droit à l’avortement ou son opposition au mariage gay dans les années 1980, sa mauvaise gestion des audiences du juge de la Cour suprême Clarence Thomas et le peu de soutien apporté à Anita Hill, le parrainage à un projet de loi controversé sur la criminalité dans les années 1990. Il faudra notamment gérer les attaques montées en début de campagne sur son rapport “trop tactile” aux femmes, et qui ne manqueront pas d’être réactivées, aussi bien dans le camp d’en face que dans son propre camp.

Ce que l’on sait déjà sur sa direction de campagne, c’est qu’il va s’appuyer très fortement sur l’image puissante de Barack Obama auprès des démocrates: on va donc surtout entendre parler de la vice-présidence Biden, “la plus réussie” des vice-présidences selon les mots du 44e président qui l’a décoré de la médaille présidentielle de la Liberté avec distinction, la plus haute distinction du pays. Après avoir essuyé un tir nourri dans les premiers pas, Joe Biden sera peu à peu soutenu par tout le Parti car il leur apportera ce qui est attendu du candidat en 2020: la revanche de 2016, un affront lavé et la reprise du cours des choses, là où ils l’avaient tous laissé. Donald Trump, bien sûr, est d’un tout autre avis.
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