ANALYSES

À l’aube de la nouvelle loi, les travers de la coopération française et les moyens d’y remédier

Tribune
4 avril 2019


La coopération au développement est l’un des piliers de la « diplomatie globale » de la France. Les critiques tant des pairs de l’OCDE (rapport 2018 sur la France) que des parlementaires (rapports H. Julien-Lafférière, rapport B.Poletti et R. Kokouendo, rapport H.Berville) et des organisations de la société civile sont unanimes : la coopération française reste une politique publique médiocre, pusillanime dans l’expression de ses finalités, peu innovante dans ses méthodes de travail, modeste dans les moyens qu’elle mobilise. Conçue d’en haut, imposée d’en haut, gérée d’en haut, la relation avec les pays prioritaires attend d’être modifiée dans ses modalités comme dans ses principes. Persiste une surdétermination des préoccupations du Nord et de ses projections sur ce qui est bien pour le Sud. En fait, elle marche sur la tête.

Que faire pour la remettre sur ses pieds ? Le projet de loi préparé par le gouvernement, intitulé « Loi d’orientation et de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales », et qui sera prochainement présenté au Parlement y contribue-t-il ?

Un nouveau narratif

Dans son discours du 26 août 2017 devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron a anticipé l’orientation souhaitée par beaucoup : « une nouvelle dimension partenariale sera mise en place pour mieux associer la société civile, la jeunesse, les entreprises, les diasporas. » On ne peut que la saluer. Mais pourquoi ne pas en tirer les conséquences ? Pour engager le vrai renouveau, la meilleure option serait de redonner une légitimité à la coopération internationale en mettant en avant un argumentaire et un discours sur ses raisons d’être politiques, en faveur de la solidarité et du développement durable, sur ses acteurs multiples, sur ses résultats, sur la redevabilité qui peut lui être associée. Il faudrait justifier le besoin de coopération et de solidarité aujourd’hui, d’abord auprès des parlementaires, ensuite auprès des Français, notamment face aux tendances au repli frileux sur soi et aux dérives protectionnistes. Il faudrait enfin accompagner l’engagement de centaines de milliers de Français, des élus, des agriculteurs, des cadres, des jeunes, des retraités… Inquiets certes pour le climat, mais aussi mobilisés sur des causes désintéressées en particulier sur des objectifs transversaux aussi fondamentaux que l’éradication de l’extrême pauvreté.

Sortir de l’aide pour entrer en coopération

Pour la nouvelle génération d’Africains, l’aide évoque une conception caritative et une position condescendante. Elle se nourrit d’une forme de paternalisme, antinomique avec le partenariat. Le vrai renouveau doit partir d’une optique radicalement différente de celle qui préside encore à sa conception et à sa mise en œuvre. Il ne s’agit plus de « faire de l’aide », mais d’établir une relation de partenariat pour accompagner le renforcement et la prise d’autonomie des capacités locales. Ce partenariat n’est pas abstrait, il doit reposer sur des principes, une histoire, le partage de valeurs et d’intérêts communs.

La France ferait œuvre utile à changer le vocabulaire de l’OCDE et de son Comité d’aide au développement CAD et de ne plus parler d’aide et d’assistance, mais d’enjeux partagés ou d’intérêt mutuel à coopérer. Dans la coopération, l’interaction est profitable aux deux partenaires. Comme avec la pollinisation qui permet aux plantes à fleurs de se reproduire tout en fournissant leur nourriture aux abeilles.

Retour sur la question de l’efficacité

La question de l’efficacité de l’aide est récurrente, avec en arrière-pensée, une accusation maligne sur le « gaspillage de l’aide ». Or on ne connaît guère de politiques publiques autant évaluées que celle de la coopération : revue par les pairs de l’OCDE, bilan annuel au Parlement, 3 centres d’évaluation, un Observatoire créé en 2014, sans compter le regard critique des ONG. Et le projet de loi prévoit la création d’un nouvel organe placé auprès de la Cour des comptes. L’obsession du résultat est justement sans cesse réaffirmée. Difficile de contester ce point de vue. La question n’est pas là, elle est d’ordre pratique : la matière du développement est rétive à l’évaluation aveugle. Les résultats à attendre de tel ou tel projet ne sont pas toujours perceptibles à court terme, surtout lorsque ces projets visent des changements de comportements, par essence rebelles à la quantification.

Trop souvent, les concepts sont instrumentalisés – pauvreté, climat, genre – autour de cases et de grilles à remplir et qui remplacent les analyses du jeu complexe des acteurs. Sans référence aux sciences sociales, point de salut. Sans irrigation par le terrain, pas d’avantage.

Pourtant, la modestie autant que la réalité l’imposent, il faut accepter qu’aucun programme ou projet ne suive exactement le cheminement prévu, car les aléas sont nombreux. Il faut accepter de s’inscrire dans la durée, le développement c’est le temps long.

Des acteurs plutôt que des secteurs

Une autre caractéristique du modèle français actuel est sa froide appréciation des acteurs. Le concept central est le secteur (agriculture, éducation, santé…). Point d’hommes ou de femmes derrière. Pour briser la verticalité de la conception et cette démarche en silos qui l’accompagne, il faut « humaniser » l’approche, substituer celle par les « acteurs de changements » et par groupes bénéficiaires finaux : femmes, jeunes, ruraux, agriculteurs, éleveurs, urbains, entrepreneurs, migrants, citoyens, militants, chômeurs, étudiants, artistes… Une telle option participe à la remise sur ses pieds du dispositif. Elle rend possible la mobilisation de tous les acteurs au-delà du gouvernement et des administrations : parlementaires, associations, fondations, collectivités locales, organisations de solidarité internationale, syndicats, entreprises, chercheurs et cercles de réflexion.

Pour un vrai équilibre du dispositif

La répartition des fonctions en matière de coopération au développement suppose, comme dans tous les modèles des grands pays de l’OCDE, en particulier l’Allemagne et la Grande Bretagne, que soit respectée une claire séparation des fonctions entre (i) ce qui relève de la stratégie et du pilotage (ii) ce qui relève du financement et enfin (iii) ce qui relève de l’opérationnel et de l’assistance technique. Qu’observe-t-on en France ?

1. Le premier pilier – stratégique – est fragile. De fait, comme les rapports cités plus haut le soulignent et comme la pratique le démontre, il n’est pas incarné par un ministère du Développement stratège, parfaitement identifié, qualifié, mobilisateur de l’offre française et proactif.

2. Le deuxième pilier – financier – est représenté par l’Agence française de développement (AFD), la qualité de son expertise et la compétence de ses agents. Mais sa tendance est au recentrage des moyens. Plutôt que de « faire faire », d’élargir la contribution des acteurs professionnels déjà en place, sa réaction spontanée à l’augmentation des moyens est de privilégier systématiquement ses recrutements. Elle devrait donc non pas faire, mais aider à faire. Il est indispensable que l’augmentation considérable de ses moyens financiers annoncés la conduise à raisonner en « croissance externe », en prenant enfin en compte comme une donnée fondamentale (et non accessoire) les compétences des organisations de la société civile comme des bureaux d’études, des entreprises, des collectivités, des agences publiques et des institutions de recherche, plutôt que de raisonner en croissance interne.

3. La création d’Expertise France en 2015 a constitué un progrès pour renforcer le troisième pilier – technique -, attendu depuis longtemps. La décision du gouvernement de février 2018 a été son intégration dans le réseau l’AFD. Le risque est que ce rapprochement crée une relation exclusive entre l’AFD et EF, susceptible d’assécher les ressources destinées à l’expertise et à l’ingénierie de projets des professionnels du secteur associatif et des bureaux d’études. L’objectif annoncé d’élargir et d’étoffer l’offre française serait alors totalement annihilé.

Enfin une vraie programmation

Contrairement à la loi de 2014 qui n’avait de programmation que le nom, la nouvelle loi doit permettre de donner corps aux engagements pris en matière de moyens alloués à la politique de coopération. En inscrivant dans la loi l’atteinte de l’objectif historique du RNB consacré à l’APD à 2025, cela concrétiserait un engagement de campagne d’Emmanuel Macron, mais représenterait également une opportunité politique majeure en cette année de présidence française du G7 et de Forum politique de haut niveau pour le suivi de la mise en œuvre des ODD. Comment faire en cette période de fortes contraintes budgétaires ? La meilleure solution : garantir que le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) soit intégralement alloué à l’APD. Quoi de plus politiquement correct que de consacrer le fruit d’un prélèvement (infime au demeurant) sur les transactions spéculatives à la lutte contre les inégalités mondiales.
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