ANALYSES

Brexit, sur quoi les députés britanniques peuvent-ils s’entendre ?

Presse
25 mars 2019
Interview de Olivier de France - La Croix
« Les parlementaires britanniques devraient voter pour la troisième fois le même accord de retrait, sans qu’il y ait eu de changement de contenu. On pourrait penser qu’il n’y a pas de raison que leur vote doit différent. Ce qui a changé d’une fois à l’autre, c’est la pression politique qu’ils ont à porter. Theresa May d’ailleurs mise là-dessus.

Cette pression est déjà intervenue entre le premier rejet (432 voix contre 202), en janvier dernier, et le deuxième­, en mars (391 voix contre 242). L’écart devrait donc encore se réduire. Mais personne ne peut prédire qu’il sera comblé tant les soutiens à la première ministre partent de loin. Maintenant que l’UE a proposé un report du Brexit au 22 mai à la seule condition d’une adoption du texte – sans quoi le report ne pourrait aller au-delà du 12 avril –, les opposants de tous bords à Theresa May ont une responsabilité devant l’histoire, pour ne pas être ceux qui auront précipité leur pays dans le chaos du no deal.

Dans le cas d’un nouvel échec, Theresa May aura bien du mal à rester en poste. Cela pourrait ouvrir la voie à un Brexit moins dur, avec pourquoi pas un compromis pour que le Royaume-Uni reste dans l’union douanière. Le problème de majorité ne serait pas réglé pour autant. Dans cette hypothèse, les conservateurs devraient, en effet, manger leur chapeau, eux qui ont toujours dit qu’ils noueraient librement des accords commerciaux partout dans le monde. L’appartenance à l’union douanière l’interdit.

Il y a une autre porte de sortie dont plus personne ne parle, mais qui selon moi ne doit pas être exclue : la révocation de l’article 50 qui a déclenché le compte à rebours du Brexit il y a deux ans. Il peut l’être à tout moment, sans l’aval de l’UE. La mobilisation du week-end du 23 mars, précédée de la signature de plusieurs millions de personnes pour l’annulation du Brexit, montre qu’une partie massive de la population souhaite arrêter les frais.

Beaucoup se sont rendu compte que la question binaire qui leur avait été posée par référendum le 23 juin 2016, à l’initiative de David Cameron, exigeait une réponse beaucoup plus complexe. La démocratie britannique est tombée dans ce que j’ai appelé le « piège de Tocqueville », en référence au fameux « piège de Thucydide » utilisé en politique étrangère, où une puissance dominante entre en guerre contre une puissance émergente par le seul mécanisme de la peur. Selon un principe comparable, David Cameron, qui ne faisait plus confiance à son propre système représentatif, a fini par l’attaquer en organisant un référendum.

Theresa May, en quelque sorte, fait la même chose aujourd’hui, en se rangeant du côté de l’opinion contre son propre Parlement, dont elle est pourtant censée tenir sa souveraineté. Au-delà du Brexit, je pense que cette attitude risque de se poser dans de plus en plus de pays européens, si les institutions politiques n’intègrent pas des formes plus délibératives. »

Propos recueillis par Jean-Baptiste François
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