ANALYSES

Kazakhstan : démission de Nazarbaïev, et après ?

Interview
27 mars 2019
Le point de vue de Samuel Carcanague


Mardi 19 mars, le président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev a annoncé sa démission, après avoir passé près de 30 ans au pouvoir. Celle-ci marque une rupture importante depuis la chute de l’Union soviétique, et ce à l’heure d’une période de changements pour le plus large pays d’Asie centrale. Quel avenir pour le Kazakhstan ? Éclairage avec Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS.

La démission de Noursoultan Nazarbaïev de la présidence du Kazakhstan est-elle une surprise ? Pourquoi intervient-elle maintenant ?

C’est une surprise dans la mesure où cette annonce télévisée du 19 mars n’avait pas vraiment été anticipée par les observateurs. Néanmoins, cette transition est dans les esprits depuis au moins une dizaine d’années, notamment du fait des problèmes de santé de Nazarbaïev. Depuis 2015, un certain nombre de signes montraient qu’elle devait survenir à court ou moyen terme : Nazarbaïev accoutumait son opinion publique à l’idée de son départ par des remarques, des petites phrases et une série d’ajustements législatifs et constitutionnels avait été mise en place pour lui permettre de conserver un certain nombre de prérogatives politiques ainsi qu’une immunité complète, après son départ du pouvoir.

Pourquoi partir maintenant ? Nazarbaïev souhaite probablement conserver l’image d’un président bâtisseur, qui a amené le développement économique et la prospérité à son pays – bien que relative – et qui a eu la lucidité de quitter le pouvoir lorsqu’il le fallait. Il a en la matière pour modèle le président singapourien Lee Kuan Yew, au pouvoir pendant 31 ans avant de démissionner dans les années 1990 : celui-ci avait lui aussi conservé un certain nombre de prérogatives après sa démission, contrôlant le processus de transition politique qu’il avait lui-même initié par son choix de retrait. Cette image de « leader éclairé » est importante pour Nazarbaïev. Alors que le climat socio-économique au Kazakhstan se dégrade, il a probablement tenu à ne pas entacher son règne d’une fin à la Bouteflika, marqué par des échecs économiques et une contestation sociale.

La transition politique en Ouzbékistan, engagée en 2016 suite à la mort de Islam Karimov (lui aussi au pouvoir depuis la chute de l’URSS), a également pu l’influencer. Son successeur, l’ancien Premier ministre, Shavkat Mirziyoyev, n’a pas traité avec une extrême bienveillance le clan politique et la famille du président défunt. Nazarbaïev, en conservant un rôle central dans l’État et la politique de son pays, contrôle la préservation de son héritage politique d’une part, et la préservation de ses intérêts économiques et ceux de ses proches d’autre part.

Qui lui succède et quels sont les enjeux de cette transition du pouvoir ?

Selon la Constitution, c’est le président du Sénat, Kassym-Jomart Tokaïev, qui assure l’intérim jusqu’aux prochaines élections en avril 2020. Il a 65 ans, plus ou moins de la même génération que Nazarbaïev, formé sous l’Union soviétique. Il a notamment été ministre des Affaires étrangères, et connait bien les questions de politique étrangère. Son rôle est probablement de préparer la transition d’ici aux élections d’avril 2020, qui peuvent soit faire émerger un autre successeur probablement plus jeune que lui, ou bien le légitimer en tant que candidat en avril 2020.

Sa première décision fut de renommer la capitale Noursoultan (prénom de Nazarbaïev), au lieu d’Astana.

À noter également que la fille du président Nazarbaïev, Dariga Nazarbaïeva, a été nommée présidente du Sénat quelques jours après la démission de son père. Elle est ainsi la personne susceptible de remplacer le président si celui-ci s’avérait incapable d’assurer ses fonctions. Il est cependant assez peu probable qu’elle succède à son père en 2020, car l’image d’une succession dynastique ne convient pas vraiment à l’image du Kazakhstan que Nazerbaïev souhaite projeter à l’international. Elle représente sans doute davantage une forme de filet de sécurité, pour s’assurer que la transition se déroule dans la préservation des intérêts familiaux, y compris si Nazarbaïev venait à décéder.

Quels seront les défis pour son successeur ?

Le premier défi sera d’ordre économique. Le Kazakhstan connait des difficultés depuis le milieu des années 2010, liées notamment à la chute des prix des hydrocarbures, aux sanctions à l’encontre de la Russie qui ont ralenti les échanges entre les deux pays, et au ralentissement de la croissance chinoise également. Le pays doit donc faire face à ces défis et y répondre notamment par la diversification, puisqu’une grande partie de son économie est basée sur l’exportation de matières premières. Or, la montée en gamme de son industrie et la diversification plus généralement de ses exportations est un défi qu’il sera difficile de relever dans les conditions actuelles.

Le deuxième défi sera de se construire une légitimité politique, qui ne sera jamais équivalente à celle dont bénéficiait Nazarbaïev en tant que bâtisseur du Kazakhstan moderne. Il s’agira de s’imposer non seulement aux yeux de la population, mais également au sein de l’élite politico-économique très diverse au Kazakhstan. Il n’est pas certain que cela s’accompagne d’une libéralisation en matière de droits de l’homme.

Le troisième défi est d’ordre diplomatique. Le président devra maintenir la diplomatie multivectorielle qu’avait instaurée Nazarbaïev.  Il s’agira de maintenir un équilibre entre la Chine, très présente économiquement en Asie centrale, la Russie, qui veut conserver une influence politico-sécuritaire, ainsi qu’avec les États-Unis et l’Union européenne.
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