ANALYSES

La Thaïlande (enfin) de retour aux urnes, la panacée ?

Tribune
22 mars 2019


Le scrutin longtemps promis par les autorités aux sujets du royaume finit enfin, après moult détours et contretemps, par se matérialiser avec l’arrivée du printemps : dimanche 24 mars, la Thaïlande convie ses 51 millions d’électeurs aux urnes pour renouveler la chambre basse (Assemblée nationale, 500 sièges) et désigner un nouveau chef de gouvernement. Une première – repoussée ces dernières années à diverses reprises avec un argumentaire souvent ténu – depuis 2011 et le dernier scrutin démocratique organisé dans cette nation bouddhiste du sud-est asiatique, politiquement polarisée.

Arrivé au pouvoir un quinquennat plus tôt (printemps 2014) lors du dernier d’une longue série de coups d’État militaires[1], le Conseil national pour la paix et l’ordre (CNPO) du  Premier ministre (et ancien général) Prayut Chan-o-cha conçoit ce rendez-vous électoral comme un référendum validant ses cinq années à la tête du pays, espérant se maintenir en fonction à l’issue de ce scrutin en s’adossant au parti créé sur mesure dernièrement, le Palang Pracharat (PPRP) – soutenu par l’armée, le palais royal, les élites urbaines, les milieux d’affaires (establishment) – dans un cadre constitutionnel très favorable à ses intérêts[2] (Constitution de 2017). Nombreux sont ceux dans l’ancien Siam à manifester peu d’enthousiasme face à cette perspective, car sevrés depuis des années de démocratie au sens littéral du terme. Les détracteurs de l’ancien commandant en chef de l’Armée royale thaïlandaise dénoncent le risque de démocratie martiale associé à l’éventuel succès du PPRP et de ses alliés lors des élections de dimanche. À cette « Thaïlande d’en haut », réservée sur le bénéfice pour le royaume d’un gouvernement à l’agenda plus populiste (cf. « chemises rouges », sympathisants de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra), s’oppose un segment de la société aspirant au retrait de la junte de la vie politique nationale et au retour de la règle démocratique pour les 68 millions de Thaïlandais.

À quatre jours de l’événement, l’issue comptable de ce scrutin reste entourée d’incertitudes : si la formation politique du  Premier ministre Prayut dispose du confort d’une chambre haute (Sénat, 250 élus) désignée par la Royal Thai Military et non par l’électeur – donc rangée à ses intérêts -, le Democrat Party (DP) de l’ancien Premier ministre A. Vejjajiva, le Pheu Thai (PTP) du « clan Shinawatra », toujours présent dans les provinces du nord/nord-est, ou encore le plus atypique et récemment créé Future Forward Party (FFP) du quadragénaire et homme d’affaires T. Juangroongruangkit, populaire auprès des jeunes primo-votants, se posent en arbitres incontournables de ce rendez-vous. L’hypothèse d’un gouvernement de coalition associant le PPRP et le DP – réunissant ainsi à eux deux plus aisément les 376 sièges (en combinant les deux chambres) nécessaires à la composition d’une majorité absolue au Parlement et à la nomination du prochain Premier ministre – dispose d’un certain crédit, sans pour autant apparaître aujourd’hui comme l’issue garantie de cette consultation populaire. Ce, alors même que le Pheu Thai (la formation ayant remporté tous les scrutins nationaux depuis 2001) pourrait d’un point de vue comptable attirer le plus de voix[3] vers ses candidats et disposer à elle seule à l’Assemblée nationale d’une majorité relative. Une situation qui pourrait faire (re)naître un sentiment d’injustice et de déni de démocratie latents dans les rangs populistes, lassés du poids considérable de l’establishment et de l’armée dans la vie politique nationale et le quotidien des individus.

Nous n’en sommes pas encore là. Une estimation partielle des résultats devrait être communiquée dans les jours qui suivront ce premier scrutin organisé en huit ans, le 9 mai étant la date officiellement retenue par les autorités pour l’annonce des résultats définitifs. Entre ces deux dates, le royaume et ses 68 millions de sujets devraient – ainsi que l’espère ardemment le gouvernement – se dépassionner de la question politique pour se saisir du symbole, a priori plus consensuel et moins partisan, de la monarchie, les célébrations nationales du couronnement du souverain Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun[4] (Rama X) s’étirant du 4 au 6 mai. Une fois passé cet événement national transcendant les clivages et les résultats du scrutin connus, en fonction de leur issue comptable, il pourrait alors en aller bien différemment, dans les rues de Bangkok notamment.

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[1] Le 12e depuis l’instauration en 1932 de la monarchie constitutionnelle.

[2] Le nouveau système de vote instauré par le CNPO s’emploie – à dessein – à réduire la possibilité pour un parti politique de briguer à lui seul la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, l’influente institution militaire semblant bien plus à son aise avec un hémicycle multicolore donc divisé, plus aisé à manipuler.

[3] Certaines projections créditent le parti de 125 à 200 sièges (sur les 500 de l’hémicycle) à la chambre basse, une volumétrie nettement supérieure aux estimations du DP (entre 75 et 120 sièges) et du PPRP (environ 70 élus).

[4] Suite au décès de son père, le vénéré roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) en oct. 2016 après un règne de 70 ans, Maha Vajiralongkorn (Rama X) est monté sur le trône en décembre 2016, dans un enthousiasme populaire relatif.
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