ANALYSES

Le Japon renforce ses liens militaires avec l’Asie du Sud-Est

Tribune
19 mars 2019


L’activité militaro-diplomatique du Japon au début du mois de mars 2019 est représentative d’une évolution de long terme en matière de structuration des alliances militaires du Japon. Elle témoigne aussi du renforcement des liens sécuritaires entre le Japon d’une part, et les Philippines et le Vietnam d’autre part.

Le site Vietnam Plus rapportait au début  du mois que « Le chef d’état-major général de l’armée populaire du Vietnam et vice-ministre de la Défense, Phan Van Giang, et l’amiral Katsutoshi Kawano, chef d’état-major des forces d’autodéfense du Japon, se sont entretenus à Tokyo le 4 mars ».

Ils ont convenu que la confiance et la compréhension mutuelles avaient été renforcées, ainsi que la coordination et le soutien mutuel lors de forums multilatéraux, en particulier lors du Forum régional de l’ASEAN (FRA), la réunion des ministres de la Défense de l’ASEAN élargie (ADMM ) ayant été encouragée.

Lors d’une visite au ministre japonais de la Défense, Takeshi Iwaya, Giang a informé son hôte des résultats de son entretien avec l’amiral, tout en affirmant que cette visite visait à concrétiser la déclaration de vision commune sur la coopération entre le Vietnam et le Japon en matière de défense, s’orientant vers la prochaine décennie entre les deux ministères de la Défense.

Le même jour que la rencontre au Japon, le général Koji Yamazaki, chef d’état-major de la force d’autodéfense terrestre japonaise, rencontrait son homologue philippin, le général de brigade Macairog Alberto, pour discuter de questions relatives à la coopération dans la défense et à la sécurité régionale.

Ils ont parlé de la situation en mer Orientale, de la lutte antiterroriste et d’autres questions d’intérêt commun.

Ils ont également débattu de questions telles que l’aide humanitaire et les interventions en cas de catastrophe, les plans d’entraînement logistique conjoints et les projets philippins d’achat d’équipements militaires japonais.

Ces deux rencontres témoignent du renforcement des relations sécuritaires entre le Japon et les pays de l’ASEAN (Association des nations du sud-est de l’Asie), dont font partie les Philippines et le Vietnam.

Montée en puissance de la coopération bilatérale

Avec un peu de recul, il apparaît que la coopération entre le Japon d’une part, et les Philippines et le Vietnam d’autre part, ne fait que se développer comme le souligne le dernier Livre blanc de la défense paru à l’été 2018.

Au sommet Japon-Vietnam de mars 2014, les dirigeants des deux pays avaient convenu d’élever la relation entre les deux pays au rang de « Partenariat stratégique étendu. » Au sommet Japon-Vietnam de mai 2018, les deux pays ont confirmé leur engagement à renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Lors de la réunion des ministres de la Défense du Japon et du Vietnam en avril 2018, le ministre de la Défense japonaise, Onodera, et celui de la défense du Vietnam, Lich, ont signé la « déclaration sur la Vision commune concernant la coopération entre le Japon et le Vietnam en matière de défense », qui sert de ligne directrice pour l’avenir de la coopération entre les deux nations.

S’agissant des questions régionales, les deux ministres ont appelé à l’autolimitation de la militarisation et à d’autres mesures unilatérales visant à modifier le statu quo dans la mer de Chine méridionale – ce qui vise clairement la Chine, qui construit des bases dans les îles Spratleys au mépris des autres pays de la zone – et ont convenu de l’importance de résolutions pacifiques des conflits, fondées sur le droit international, et la conclusion d’un code de bonne conduite en mer de Chine méridionale. Lors de la réunion des ministres de la Défense du Japon et du Vietnam durant le Dialogue Shangri-La en juin 2018, les deux ministres ont convenu de promouvoir la coopération de défense et les échanges dans des domaines spécifiques tels que les Opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU et le renforcement des capacités.

Des actions à forte portée symbolique ont eu lieu depuis quelques années. Ainsi, en avril 2016, un navire de la Marine japonaise (MSDF) a visité le port de Cam Ranh Bay au Vietnam. En avril 2017, les destroyers Izumo et Sazanami ont participé à l’exercice multilatéral « Pacific Partnership 2017 » à Cam Ranh Bay.

S’agissant des liens avec les Philippines, lors de la rencontre, en janvier 2015, entre les ministres de la Défense des deux pays, un mémorandum sur la coopération en matière de défense
et d’échanges a été signé. Ce mémorandum montre l’intention des deux pays de coopérer dans les domaines non traditionnels tels que la sécurité maritime, en plus des réunions régulières des ministres et vice-ministres de la Défense, des visites réciproques entre les membres de haut niveau des forces armées des deux pays.

À l’occasion du Sommet Japon-Philippines en novembre 2015, les dirigeants des deux pays sont parvenus à un accord de principe concernant le transfert d’équipement et de technologie de défense, accord qui a finalement été signé en février 2016.

Ainsi, lors de la réunion au sommet Japon-Philippines en septembre 2016, le Premier ministre Abe et le Président Duterte se sont mis d’accord sur un transfert d’avions TC-90 de la Marine japonaise
aux Philippines. Au total 5 avions ont été transférés. Le transfert inclut la formation des pilotes et l’appui au personnel de maintenance de la Marine des Philippines.

Il faut aussi noter que depuis plusieurs années, les gardes-côtes japonais transfèrent à leurs homologues philippins des navires opérationnels, ce qui participe  à la sécurisation des côtes des Philippines et de leur espace maritime. Une dizaine de navires doit être livrée au total jusqu’en 2021.

Au niveau des forces militaires terrestres, en juin 2018, le ministre de la Défense japonaise Onodera a informé son homologue philippin Lorenzana de la décision du Japon d’accorder des pièces détachées de l’hélicoptère de transport de troupes Bell UH-1H, qui ne sont plus utilisées par l’armée de terre japonaise (GSDF).

Les deux ministres ont convenu de promouvoir la coopération entre le Japon et les Philippines en matière de défense dans un large éventail de domaines, y compris l’entraînement interarmées et la coopération en matière d’équipement et de technologie. Une unité des GSDF a participé à l’exercice conjoint Kamandag avec les États-Unis et les Philippines sur l’île de Luzon, en septembre et octobre 2017. Autre action à forte portée symbolique : en juin 2017, le président Duterte est devenu le premier dirigeant étranger à monter à bord du porte-hélicoptères Izumo qui a fait escale au port de Subic Bay.

Cette coopération sécuritaire et militaire peut aussi offrir des perspectives pour l’industrie de défense japonaise. Comme le rapportait The Strait Times fin décembre dernier : « Le Japon a offert de vendre un système de défense aérienne aux Philippines dans le cadre d’un accord qui, s’il était scellé, serait la première fois que Tokyo exporte du matériel militaire depuis la levée d’une interdiction de 50 ans en 2014 ».

Ce renforcement des liens militaires entre le Japon et ces deux pays montre la volonté de Tokyo de constituer un réseau de partenariats avec les pays de l’Asie du Sud – un partenariat stratégique existe déjà avec l’Inde – pour contrer l’expansionnisme de la Chine, incluant tous les États qui se sentent menacés par Pékin. Il participe d’une modification du paysage stratégique où l’on passerait d’une atomisation des États face à la Chine à une plus grande unité entre ces pays face au géant chinois.
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