ANALYSES

Andrés Manuel López Obrador et le Mexique à contre-courant face à la crise au Venezuela

Presse
5 mars 2019
Le Mexique serait-il entré en dissidence en privilégiant envers et contre tout et tous une sortie de crise vénézuélienne s’appuyant sur les vertus de la non-ingérence ? Andrés Manuel López Obrador (AMLO) serait-il au mieux un Ponce Pilate ? Refusant d’assister une population en détresse ? Et de condamner les responsables de ce drame, Nicolás Maduro et ses amis ? Aurait-il une complicité idéologique avec le «dictateur» comme l’insinuent ses opposants mexicains et le Secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) ?

Dés sa prise de fonction, le 1er décembre 2018, AMLO a posé ses marques diplomatiques. Le Mexique a invité tous les chefs d’État en exercice à la cérémonie. Et donc le président vénézuélien, Nicolás Maduro. Il était à Mexico le 1er décembre 2018. Le 4 janvier 2019, le Mexique participait au Pérou à une réunion du Groupe de Lima, composé de pays américains hostiles au Venezuela de Nicolás Maduro.

Au nom de son pays, le Secrétaire mexicain en charge de l’Amérique latine et de la Caraïbe, Maximiliano Reyes, a refusé de signer la déclaration finale de cette rencontre déclarant illégitime le président Maduro. Le 10 janvier suivant, à la différence de la majorité des pays des Amériques et de l’Union européenne, le Mexique était représenté à la prise de fonction de Nicolás Maduro par son chargé d’affaires à Caracas, Juan Manuel Nungaray. Le 23 janvier 2019, le Mexique réagissait à l’auto-proclamation de Juan Guaidó comme président du Venezuela. Le secrétariat d’État mexicain aux Affaires étrangères signalait dans un communiqué «qu’après avoir analysé la situation[…] le Mexique n’envisageait pas de changer quoi que ce soit dans sa relation avec le Venezuela et son gouvernement», se démarquant ainsi de la position prise par le Canada, les États-Unis et douze pays latino-américains qui, dès le 23 janvier, ont reconnu Juan Guaidó comme président du Venezuela.

Depuis sa prise de fonction, AMLO a défendu la nécessité de ne pas s’immiscer «dans les affaires internes du Venezuela». «Le dialogue et la recherche d’une solution diplomatique», a-t-il répété à plusieurs reprises, doivent être privilégiés. «Le Mexique», a précisé Maximiliano Reyes, encourage tout ce qui est «initiative de médiation, de dialogue et non d’isolement». À cet effet, il a défini une ligne de conduite diplomatique avec l’Uruguay privilégiant la recherche d’un compromis démocratique entre parties opposées. Il défend cette thèse au sein de tous les forums hostiles à Nicolás Maduro, dont il reste membre. Qu’il s’agisse du Groupe de Lima, ou du Groupe de Contact International constitué à Montevideo. Il en a rappelé le bien-fondé au président du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez qui, le 30 janvier 2019, à Mexico, plaidait la nécessité d’un dialogue passant par la reconnaissance préalable de Juan Gaidó comme chef de l’État.

La position du Mexique a fait l’objet de réserves et critiques. Mike Pence, vice-président des États-Unis, a signalé le 25 février 2019 «qu’il ne pouvait y avoir de spectateurs en ce qui concerne la défense des libertés au Venezuela. Les États-Unis, a-t-il poursuivi, attendent du Mexique, de l’Uruguay et des Caraïbes […] la reconnaissance du président intérimaire». Le Mexique d’AMLO, selon Luis Almagro, Secrétaire général de l’OEA, «ne devrait pas faire le pari de la neutralité, qui est permissivité et peut affecter toute la région». Au Mexique, le Parti d’action nationale (PAN) a regretté la présence «lamentable» du «dictateur» Nicolás Maduro à la prise de fonction d’AMLO le 1er décembre 2018. Il a, en ce qui le concerne, reconnu Juan Guaidó comme président légitime. Le PRD, Parti de la Révolution Démocratique, a également demandé au gouvernement de «rectifier» la reconnaissance accordée au «régime dictatorial» de Nicolás Maduro.

La non-ingérence active pratiquée par AMLO est une évidence confirmée par les faits signalés. Mais relève-t-elle d’une sympathie idéologique à l’égard du Venezuela bolivarien ? D’une neutralité irresponsable comme le disent les critiques de sa diplomatie ? Les émetteurs de réserves, volontairement ou par ignorance, ne se sont pas donnés les moyens de chercher les bonnes clefs permettant de comprendre le fil conducteur des positions et initiatives de la diplomatie d’AMLO. Cette diplomatie n’a pas d’atomes crochus avec le «chavisme» et le «madurisme». Et pour autant elle n’est pas indifférente. Pendant sa campagne électorale, AMLO avait été très clair à ce sujet. Le 3 mars 2018, par exemple, il avait fait la déclaration suivante : «Je ne suis ni « chaviste », ni « trumpiste ». Je suis « juariste » [référence au président Benito Juárez], je suis « maderiste » [référence au président Francisco Madero], « cardeniste » [référence au président Lázaro Cárdenas], mexicaniste en un mot.»

En clair, AMLO a réactualisé une tradition diplomatique mexicaine, écornée par ses prédécesseurs, la «doctrine Estrada». Genaro Estrada Félix, secrétaire aux Affaires extérieures en 1930, avait théorisé la non-ingérence, et son corolaire le respect de la souveraineté des États. «Le Mexique, avait-il écrit le 27 février 1930, n’a pas à accorder une reconnaissance quelconque […] attitude dénigrante, blessante pour les souverainetés, autorisant des autorités étrangères à décider de la légalité ou non de régimes d’autres pays.» Cette doctrine tirait la leçon des interventions étrangères, françaises et nord-américaines qui, au nom de principes universels, ont affecté dans le passé la souveraineté mexicaine. Et lui ont coûté occupation militaire, spoliations économiques, perte de territoires.

Un musée de Mexico est consacré aux malheurs provoqués par les interventions étrangères. Et aux présidents patriotes qui ont résisté : Benito Juárez qui a reconquis la République occupée par les troupes du IIe Empire français. Lázaro Cárdenas qui a nationalisé la richesse pétrolière accaparée par des sociétés nord-américaines. Francisco Madero qui a sacrifié sa vie à la consolidation d’un État mexicain fort et démocratique.

Au lendemain de la réunion du Groupe de Lima qui avait déclaré l’illégitimité de Nicolás Maduro, AMLO, le 5 janvier 2019, avait fondé sans le dire son refus de cette décision, sur la doctrine Estrada. «Nous allons [en cette affaire, agir] dans le respect des principes constitutionnels de non-intervention et d’autodétermination des peuples en matière de politique extérieure. Nous ne nous immisçons pas dans les affaires intérieures des autres pays parce que nous ne voulons pas que les autres mettent leur nez dans ce qui concerne les seuls Mexicains.»

Défendre les droits humains et les libertés, a-t-il dit en une autre occasion, c’est d’abord être exemplaire chez soi. Ce préalable acquis, un État peut ensuite, en concertation avec d’autres, proposer ses bons offices pour faciliter les sorties négociées de crises intérieures. C’est tout le sens de l’initiative prise avec l’Uruguay. Comme de l’appel lancé aux Nations unies. Si l’humanitaire est une priorité, si la population vénézuélienne a besoin d’un secours d’urgence, il faut, a-t-il dit le 26 février 2019, «dépolitiser l’aide. Lui ôter toute dimension violente, […] passer par le droit […] confier ce travail à l’ONU et à la Croix-Rouge».
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