ANALYSES

Donald Trump mériterait-il vraiment moins un prix Nobel de la paix que ses lauréats précédents ?

Presse
20 février 2019
En quoi Donald Trump pourrait-il mériter le Prix Nobel de la paix tout autant que d’anciens lauréats ?

Je ne sais pas comment fonctionne exactement la présélection des Prix Nobel pour la paix, mais il est intéressant de constater qu’il aurait fallu plusieurs mois entre le moment où le Premier Ministre japonais aurait agi -à quel titre et pour quelles raisons profondes ?- pour promouvoir la candidature du Président américain et la divulgation de cette action. Il semble aussi que les personnes émettant de telles recommandations se comptent par centaines, ce qui relativiserait beaucoup l’action de Shinzo Abe.
Quand on regarde l’historique des Prix Nobel de la paix, on est frappé par la diversité des lauréats. C’est un curieux mélange. On y trouve des organisations variées, des personnalités très impliquées dans des luttes peu contestables (dont les deux primés de 2018 sont un bon exemple) et des dirigeants de haut niveau dont le cursus est, pour certains d’entre eux, assez peu démonstratif en matière d’action pour la paix dans le monde.
La « nomination » de Donald Trump, si elle n’est pas simplement le fait d’une révélation (non étayée) par un média de l’action d’un responsable parmi des centaines d’autres, peut cependant se fonder sur quelques bases. Qu’on le veuille ou non et contrairement à un Obama récompensé « a priori » alors que ses actions par la suite ont été très largement négatives et/ou contraires aux annonces de début de mandat, Trump se bat pour mettre en application ses promesses de campagne. Ses décisions pour rapatrier les GI’s engagés au Moyen Orient ou en Afghanistan sont incontestables, même si leurs conséquences peuvent être remises en question. Mais c’est surtout, sur le plan factuel, l’évolution de la situation des proliférations nucléaires et balistiques en Corée du Nord qui peut être mise à son crédit. Jimmy Carter avait reçu le Nobel « pour l’ensemble de son œuvre », et en particulier pour ce qu’il avait fait, parfois contre le cours de la politique américaine du moment, pour gérer le problème Nord-Coréen. Sans le moindre résultat. Barak Obama avait aussi reçu ce prix alors que sa politique de « patience stratégique » vis-à-vis de la Corée du Nord a permis aux Kim de développer en toute tranquillité leurs moyens dans ces deux domaines. Au passif aussi de Barak Obama, l’utilisation immodérée des frappes ciblées par drones, le maintien des troupes US sur les terrains de bataille extérieurs et l’abandon de « lignes rouges » qu’il avait lui-même tracées.

A l’inverse, quelles sont les actions qui pourraient le mettre à l’écart de ce Prix ?

Hors de toute considération sérieuse sur les bilans factuels, Trump a surtout contre lui d’avoir été rendu haïssable dans beaucoup de cercles, tant cercles de pouvoir que cercles idéologiques. Même si ceux qui ont dit et écrit (et peut être même vraiment pensé) qu’il n’était qu’un crétin imprévisible tentent aujourd’hui de faire oublier leurs « analyses », il demeure une détestation du personnage qui pousse souvent à un refus binaire et souvent haineux de tout ce qu’il dit et fait.
Il existe pourtant nombre de bons arguments qui justifient une mise à l’écart du Nobel de la Paix. Le premier est fondamental. « Make America great again », tel qu’il est conçu aussi bien par le POTUS que par ses électeurs est un concept profondément égoïste, qui exclut toute solidarité envers le reste du monde, alliés compris. Pour ce qui est des actions plus précises, la volonté de construire un mur avec le Mexique, le retrait de l’accord avec l’Iran et le non renouvellement du traité INF sont aussi des points difficilement conciliables avec l’attribution d’un Nobel de la Paix.

Si les négociations avec la Corée du Nord pourraient jouer un rôle dans l’attribution du Nobel de la Paix à Donald Trump, quel point peut on faire sur la situation actuelle ? La situation est-elle réellement plus stabilisée qu’elle ne l’était auparavant ?

La crise nucléaire nord-coréenne a démarré en 1993, quand l’existence du programme nucléaire militaire de Pyongyang a été rendue publique. Elle a été très largement instrumentalisée par une partie de l’administration américaine, qui a largement désinformé et manipulé aussi bien la Corée du Nord que le reste du monde sur le sujet. Jusqu’à l’arrivée de Trump au pouvoir, le seul Président américain qui ait réellement tenté d’agir pour stopper les programmes proliférants a été Bill Clinton, d’abord par la menace, puis par la négociation. Son action a rapidement été bloquée par la partie de son administration qui pensait pouvoir exploiter la crise.
Les années de péripéties variées qui ont suivi ont été marquées par des épisodes de sanctions/négociations et de reprise des activités proliférantes et des essais tant nucléaires que balistiques. La gouvernance Obama, au cours de laquelle même les sanctions (minimalistes) acceptées du bout des lèvres par la Chine n’ont jamais été mises en œuvre, a donné du temps au régime des Kim. Il leur a offert la possibilité de passer, recherche, développement, essais et industrialisation compris, du bricolage à un ensemble de moyens, armes et lanceurs, suffisamment crédibles. Les premières interventions de Trump sur le sujet lui ont permis d’obtenir l’arrêt du soutien de Pékin à Pyongyang. Libre de ce côté, le POTUS a pu mettre en scène une rencontre bilatérale et il est difficile, même aux pires de ses adversaires, de nier une stabilisation de la situation.
Tout n’est pas réglé pour autant. Pour Kim JongUn, dont on oublie souvent que sa légitimité tient avant tout au maintien de son image de père protecteur de son peuple, le moratoire actuel sur les essais nucléaires et balistiques n’est qu’une étape. Il veut aussi obtenir un Traité de Paix et, si possible, la fin de la présence militaire US en Corée du Sud. Pour les Etats-Unis, la dénucléarisation de la Corée du Nord est un but annoncé. Et il ne faut pas oublier que Séoul, qui reste cependant beaucoup plus proche des Etats-Unis que certains observateurs ne l’avaient pensé, a un agenda qui n’est pas inféodé à celui de Washington.
Si la situation peut donc paraître stabilisée, elle ne l’est pas encore sur le long terme. Elle devrait idéalement évoluer vers quelque chose de plus pérenne, mais on peut en aucun cas exclure un retour des tensions qui pourrait être causé -par exemple- par l’impatience d’un des acteurs.
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