ANALYSES

Pétrole : pourquoi l’Arabie saoudite et la Russie font front commun

Presse
7 janvier 2019
Interview de Francis Perrin - Les Echos

L’Arabie saoudite et la Russie sont-elles condamnées à s’entendre pour guider les prix du pétrole ?


Condamnées peut-être pas. On sait que ce n’est pas une alliance tout à fait naturelle, même si elle semble durable. Ces deux pays, qui sont aussi deux des trois principaux producteurs de pétrole au monde avec les Etats-Unis, ont estimé depuis deux ans que c’était leur intérêt commun de collaborer pour tenter de réguler le marché pétrolier compte tenu de ce que représente le pétrole pour leurs économies, leurs balances commerciales ou leurs budgets. Cela ne veut pas dire que ce soit le grand amour entre Moscou et Riyad, mais, après tout, au sein même de l’OPEP, les relations entre pays membres sont parfois très tendues, notamment entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Mais ces pays ont compris que l’union fait la force et cela passe par une collaboration. Les pays de l’OPEP + (l’OPEP + dix pays producteurs dont la Russie) représentent, ensemble, environ 50 % de l’offre mondiale de pétrole. Cela ne suffit pas pour faire la pluie et le beau temps sur les marchés pétroliers, mais cela leur permet d’avoir une réelle influence au profit des pays producteurs. Mais pas seulement. L’intérêt de ces Etats est aussi de prendre en considération les besoins des pays consommateurs et de l’économie mondiale, car ils ont besoin de clients en bonne santé. Cela implique de trouver le bon équilibre, pour que les prix ne soient ni trop bas, ni trop hauts. C’est la position de l’Arabie saoudite depuis longtemps et la Russie s’y est rangée.

Les Etats-Unis ont-ils aussi la capacité à terme d’exercer une influence sur les prix du pétrole ?


Quand vous êtes le premier producteur mondial, vous avez forcément une influence sur le marché. D’autant plus que, si les Etats-Unis étaient depuis quelque temps le premier producteur mondial de liquides (pétrole brut plus liquide associé au gaz naturel), ils viennent tout juste de devenir le premier producteur de pétrole brut devant la Russie et l’Arabie saoudite. En outre, les Etats-Unis, grâce au pétrole non conventionnel (le pétrole de schiste), ont surtout la capacité d’augmenter leur production, et pas seulement de la stabiliser, et cette hausse dure depuis dix ans. C’est aussi par ce biais qu’ils exercent une influence.

Les traders, qui interviennent sur ce marché, scrutent, mois après mois, semaine après semaine, les évolutions de la production américaine et des stocks de pétrole aux Etats-Unis. Cela pèse sur les anticipations et les positions se font et se défont dans les portefeuilles aussi, mais pas seulement, en fonction de ces chiffres.

Cela dit, il y a une différence importante entre la Russie, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Les deux premiers pays peuvent mener une politique pétrolière nationale. Riyad via la compagnie publique Saudi Aramco et Moscou via son influence sur les compagnies russes publiques, mais aussi privées. On n’imagine pas le PDG d’un pétrolier russe aller contre la volonté du Kremlin. Aux Etats-Unis, Donald Trump, pas plus que Barack Obama avant lui, ne peut donner des ordres aux centaines de compagnies qui exploitent le pétrole. C’est un secteur complètement privé, un tissu très diversifié d’entreprises dont les décisions dépendent de leur capacité à augmenter la production et de leur rentabilité. Depuis 2008, la production américaine a augmenté tous les ans, à l’exception de 2016 lorsque la chute du prix du pétrole avait fortement réduit la rentabilité du secteur.

Le prix du pétrole pourrait jouer un rôle dans les élections américaines en 2020 ?


C’est certain. On a déjà pu le voir avant les élections de mi-mandat au Congrès en novembre 2018. Donald Trump s’en est pris à l’OPEP sur Twitter concernant le prix du pétrole, qu’il trouvait trop élevé. Il a aussi appelé directement le roi Salmane d’Arabie saoudite pour lui demander de mettre plus de pétrole sur le marché. C’est un enjeu politique important pour le président américain compte tenu de la place de l’automobile dans l’économie, la mythologie et la culture américaines. Le prix de l’essence est donc très sensible auprès des électeurs. Il y a un ressenti très fort de la population, mais aussi des entreprises, lorsque les prix augmentent fortement – on a pu aussi le constater en France – car le monde reste dépendant du pétrole. Les prix des produits pétroliers, notamment des carburants, sont donc très politiques.

Pour être réélu, Donald Trump devra miser sur la bonne santé de l’économie américaine et celle-ci dépend en partie de cours du pétrole qui ne soient pas trop élevés. Et l’on peut être sûr qu’il n’hésitera pas à intervenir à nouveau sur ce sujet.

Mais il y a aussi aux Etats-Unis une forme de schizophrénie par rapport au prix du brut. Contrairement à la France qui doit importer 99 % du pétrole qu’elle consomme, les Etats-Unis sont à la fois le premier producteur et le premier consommateur de pétrole au monde. L’industrie pétrolière américaine a besoin d’un prix assez élevé et les automobilistes d’un prix bas. Donald Trump a fait son choix en se prononçant pour de bas prix du pétrole afin de contenter les électeurs et de favoriser la croissance économique.
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