ANALYSES

“Une réduction entre 1,3 et 1,5 mbj aurait été plus adaptée”

Presse
9 décembre 2018
À l’issue de leurs réunions de jeudi et vendredi à Vienne, l’Opep et ses alliés non-Opep ont convenu d’une réduction de leur production de 1,2 million de barils/jour. Cette coupe est-elle en mesure de contribuer au rééquilibrage du marché ?
Le fait qu’il y ait eu un accord à Vienne est déjà un succès, car ce n’était pas évident face à l’opposition entre l’Arabie saoudite et l’Iran, aux difficultés que traversent l’Iran, le Venezuela et la Libye, aux pressions américaines sur l’Arabie saoudite et sur l’Opep et au manque d’enthousiasme de la Russie concernant une baisse de sa production. Dans ce contexte très complexe, aboutir à un accord pour une réduction de 1,2 million de barils par jour (mbj) est un succès pour ces pays producteurs. 1,2 mbj, c’est sans doute un peu juste en termes d’équilibre entre l’offre et la demande pétrolières mondiales pour 2019. Une réduction comprise entre 1,3 et 1,5 mbj aurait été plus adaptée, mais il était difficile pour ces 25 pays Opep et non-Opep, dont 15 membres de l’Opep, d’aller au-delà de ce qui a été décidé. Encore reste-t-il à appliquer complètement cette décision pour réellement retirer du marché 1,2 mbj, ce qui ne va pas de soi.
Les marchés pétroliers suivront de près cet aspect des choses après avoir salué, par une hausse des prix, l’accord de Vienne.
Il y a un autre facteur-clé dans cette équation : les sanctions américaines contre l’Iran. Les exportations de pétrole brut de l’Iran ont déjà baissé de 40% depuis le printemps 2018 et Washington entend aller beaucoup
plus loin.
Plus ces sanctions seront efficaces, plus cela facilitera la tâche de l’Opep et de ses alliés non-Opep en 2019. La poursuite de la baisse de la production du Venezuela jouera aussi un rôle. L’équilibre du marché n’est donc pas impossible en 2019, compte tenu de ces divers éléments, mais il n’est pas garanti non plus.

L’Arabie saoudite semble accepter finalement de consentir un important effort. Outre le fait de soutenir l’essentiel de l’effort de réduction de l’offre de l’Opep, l’Arabie saoudite a osé défier le président américain qui a demandé à l’organisation, mercredi, de ne pas restreindre les flux de pétrole. Comment interprétez-vous l’attitude des Saoudiens à l’heure où le royaume est au centre de l’indignation de la communauté internationale suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ?
L’Arabie saoudite représente à elle seule un tiers de la production de brut de l’Opep et elle supporte souvent une bonne partie des réductions de la production décidées par l’organisation du fait de son poids considérable. De plus, trois États membres, l’Iran, le Venezuela et la Libye, sont exemptés de réductions de la production du fait de leurs difficultés spécifiques. L’Arabie saoudite est effectivement sous forte pression américaine et cette situation dure depuis plusieurs mois, mais elle a évidemment été aggravée suite à l’assassinat de Jamal Khashoggi. Le pays cherche à ménager le protecteur américain, d’autant plus que les relations étaient jusqu’à tout récemment excellentes avec l’Administration Trump et que les deux pays sont parfaitement en ligne pour affaiblir l’Iran, un sujet-clé pour Riyad et pour Washington. En même temps, l’Arabie saoudite ne veut pas laisser s’installer un excédent de l’offre sur la demande qui pourrait conduire à une chute des prix au-delà de ce qui s’est déjà passé depuis le début octobre (-30% environ). Chacun a encore en mémoire l’effondrement des cours du brut entre l’été 2014 et le début 2016. Le prix du Brent de la mer du Nord était alors tombé en dessous de $30 par baril au début 2016, contre un peu plus de $60/b actuellement, et personne, parmi les producteurs, ne veut prendre le risque de revivre ce scénario. Face à ces différentes contraintes, l’Arabie saoudite cherche la voie médiane et souligne, comme l’Opep, qu’elle empêchera toute pénurie de pétrole sur le marché afin de rassurer les consommateurs, y compris les États-Unis.

L’Arabie saoudite a accepté une autre concession, celle d’avoir exempté l’Iran des baisses de la production, alors que ce pays est sous le coup des sanctions américaines, rétablies depuis le 5 novembre dernier ? À quoi cette concession puisse-t-elle obéir ?
Certes, ce n’est pas le grand amour entre l’Arabie saoudite et l’Iran, mais il aurait été impossible d’imposer une réduction de la production à Téhéran. L’Iran y est totalement opposé, et c’est parfaitement compréhensible. Les exportations de brut de ce pays ont déjà baissé de 40% environ depuis le printemps 2018 suite à l’annonce, en mai dernier, du rétablissement des sanctions américaines, et cette situation est unique au sein de l’Opep. Lorsque l’Opep avait décidé,
il y a deux ans, de réduire sa production à compter de janvier 2017, l’Iran avait déjà été exempté alors que sa situation était moins difficile à l’époque.

L’évolution de la demande mondiale de pétrole et la croissance de la production américaine, dont le pays s’est remis depuis peu à exporter plus de brut qu’il en importe, une première depuis des décennies, demeurent les plus grandes inconnues des prochains mois. Comment ces deux variables vont-elles influer sur le marché pétrolier ?
Ce sont effectivement deux éléments-clés. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande pétrolière mondiale augmenterait de 1,3 mbj en 2018 et de 1,4 mbj en 2019. Ce n’est pas si mal puisque la hausse avait été de 1,4 mbj en 2017, selon la même source. Ces projections sont, bien sûr, révisées chaque mois et les tensions commerciales internationales, notamment entre les États-Unis et la Chine, pèsent sur cette évolution à travers la croissance économique mondiale. On a enregistré sur ce point un progrès lors du dernier G20 avec un accord temporaire entre ces deux grandes puissances, mais tout ceci reste fragile et il reste à voir si les concessions chinoises seront jugées suffisantes par Donald Trump. Du côté de l’offre, les États-Unis continuent à mettre plus de pétrole sur le marché, et ce n’est pas fini. Selon le département de l’Énergie de ce pays (US DOE), la production de brut augmenterait de 1,2 mbj en 2019 pour atteindre un niveau record de 12,1 mbj en moyenne annuelle (la production mondiale sera un peu supérieure à 100 mbj l’an prochain). Rappelons que la hausse de la production des États-Unis pour 2018 est estimée à 1,5 mbj et que ce pays est en train de devenir le premier producteur mondial de brut devant la Russie. D’où la nécessité pour l’Opep et ses alliés d’appliquer scrupuleusement les décisions qu’ils viennent de prendre à Vienne.
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