ANALYSES

« La réduction de la production de brut est temporaire »

Presse
9 décembre 2018
Quelles seront, selon vous, les retombées de la réduction de 1,2 million de baril par jour, et vers quel prix d’équilibre l’on s’oriente ?

Il est évidemment encore un peu tôt pour apprécier ces retombées mais la réaction immédiate des marchés a été une hausse des cours, ce qui est significatif. L’existence même de ces accords au sein de l’OPEP et entre l’OPEP et dix pays non-OPEP est important car cela n’allait pas de soi, notamment du fait des pressions américaines qui ne sont jamais négligeables. L’absence d’accord aurait très certainement conduit à une chute des prix et les pays exportateurs concernés ont évité cet écueil. Du point de vue des producteurs, une réduction de production un peu supérieure à 1,2 million de barils par jour aurait été souhaitable mais l’accord est quand même assez bon. N’oublions pas qu’il faut que 25 pays, dont 15 membres de l’OPEP, se mettent d’accord entre eux. Ce n’est pas une tâche aisée. Le prix du Brent de la mer du Nord est actuellement un peu supérieure à $60 par baril. Si le cours du Brent évolue entre $60 et $70 dans les prochains mois, ce sera un bon résultat pour les producteurs mais il faudra beaucoup de discipline dans l’application de ce qui a été décidé à Vienne les 6-7 décembre.

Est-ce que l’OPEP a tiré les leçons de son refus d’abaisser la production fin 2014 ?

Je le pense. Les États réunis à Vienne étaient conscients qu’après une chute des prix d’un peu plus de 30% entre le début octobre et le début décembre, le risque de la poursuite de la chute des cours était élevé. On peut dire en quelque sorte que le spectre de l’effondrement des prix du brut comme entre l’été 2014 et le début 2016 planait sur les réunions de Vienne de décembre 2018. Cela dit, lorsque l’OPEP a refusé de réduire sa production à partir de la fin 2014, cela a eu au moins pour conséquence de pousser des pays non-OPEP, dont la Russie, à coopérer, ce qui a permis la conclusion des accords de novembre-décembre 2016. Mais le coût de cette stratégie a été très élevé.

Existe-t-il des éléments permettant de croire qu’une entente Russo -Saoudienne est entrain de se renforcer ?

Oui et elle se renforce dans la durée. Cela fait maintenant deux ans que cette coopération pétrolière existe de façon continue, ce qui n’est pas rien. Les relations entre les deux pays sont assez bonnes même si Moscou n’a pas les moyens de remettre en cause l’alliance américano-saoudienne qui remonte au moins à 1945 et qui est capitale pour le royaume saoudien. Et il y a bien sûr des pommes de discorde politiques majeures sur l’Iran et sur la Syrie. Mais chacun a pu constater l’apparente chaleur de la rencontre entre le président Vladimir Poutine et le prince héritier Mohamed Ben Salmane lors du récent G20 en Argentine. Tant à Moscou qu’à Riyad on constate une volonté au plus haut niveau de poursuivre cette coopération pétrolière bilatérale et OPEP/non-OPEP.

Les exemptions décidées par l’administration américaine contre l’Iran, jettent une certaine incertitude sur la capacité des signataires de l’accord à respecter dans les faits leur engagement, pensez-vous que cette décision sera maintenue longtemps ?

Il faut distinguer la stratégie et la tactique. La stratégie des États-Unis consiste à affaiblir considérablement l’Iran et, pour cela, les sanctions portant sur le pétrole sont l’arme la plus efficace. Dans le cadre de cette orientation stratégique, Washington a montré un peu de souplesse dans l’application des sanctions en autorisant huit pays, dont cinq en Asie et trois en Europe, à continuer à importer du brut iranien. Mais c’est sous conditions: une condition de durée et des engagements de réduction des achats de pétrole iranien. L’OPEP ne le dira jamais, bien sûr, car c’est trop délicat mais, plus les sanctions américaines contre l’Iran seront dures, mieux ce sera pour les autres exportateurs.

Est ce que cette réduction arrange les producteurs américains ou pourrait plutôt, susciter une réaction négative de la part du président américain ?

Le président Trump est totalement opposé à une réduction de la production de la part de l’OPEP et il l’a fait savoir à de nombreuses reprises, notamment via Twitter. Il était donc particulièrement difficile pour l’Arabie Saoudite de prendre une telle décision. Mais, si les prix du brut remontent, ce sera une bonne affaire pour l’industrie pétrolière américaine. Les États-Unis sont un peu schizophrènes sur ce sujet car ils sont à la fois le premier consommateur et le premier producteur de pétrole dans le monde. C’est aussi un dilemme pour l’OPEP. Des prix du brut plus élevés généreront plus de production pétrolière aux États-Unis.

Est-ce que les Etats unis ont les moyens de faire pression sur l’Arabie Saoudite pour « rendre temporaire » la décision de réduction de la production décidée ce vendredi ?

La réduction de production est temporaire car l’OPEP et ses alliés non-OPEP se sont engagés à veiller à un bon approvisionnement du monde en pétrole. S’il y avait un risque de pénurie, l’OPEP, notamment l’Arabie Saoudite, interviendrait.

Quelles répercussions le retrait du Qatar a t il par rapport a l’organisation OPEP ?

La production de brut du Qatar est de 600 000 barils par jour environ alors que l’OPEP produit actuellement 33 millions de b/j. Ce n’est donc pas considérable. Mais le départ d’un pays qui était membre de l’organisation depuis 1961 est important sur le plan symbolique et qualitatif. L’OPEP doit être attentive à son attractivité.
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